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La Suisse attend toujours son opération «mani pulite»

Des chercheurs du Fonds national de la recherche scientifique ont pour la première fois brossé un tableau de la corruption en Suisse, assorti d´un catalogue de mesures. Présentée jeudi à Fribourg, l´étude montre du doigt les milieux de la construction.

Cette étude a été réalisée par les professeurs Nicolas Queloz et Marco Borghi, de l’université de Fribourg, et Maria Luisa Cesoni, de l’université de Genève. Le phénomène de la corruption a été étudié sur une période de dix ans (1987-1997) et plus particulièrement dans trois cantons: le Tessin, le Valais et Genève.

Les chercheurs ont constaté que les condamnations pénales pour des affaires de corruption sont assez peu nombreuses. En dix ans, 133 condamnations seulement ont été prononcées dans l’ensemble du pays, soit une quinzaine chaque année. Dans 80,5 pour cent des cas, il s’agissait de personnes privées. Avec seulement 19,5 pour cent des cas, les membres de la fonction publique semblent beaucoup plus épargnés.

Une analyse plus approfondie dans les trois cantons de référence montre par ailleurs que les actes de corruption concernent surtout les marchés publics de la construction (plus de la moitié des cas). La très forte proximité entre entrepreneurs et responsables politiques explique ce résultat. Mais la corruption touche aussi les fournitures, le secteur des activités policières et douanières, ainsi que celui de l’octroi des autorisations et permis divers.

Au premier abord, le nombre de condamnations peut sembler très peu élevé. «Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg», relève Nicolas Queloz. Dans les faits, les pratiques assimilables à de la corruption sont extrêmement nombreuses.

La Suisse n’est certes pas gangrenée par la corruption avérée. Les cas où des personnes sont font «acheter» en échange de faveurs ne sont pas très nombreux. Mais les chercheurs mettent le doigt sur une autre forme de corruption, plus douce et beaucoup plus répandue.

«Ce qui est typique chez nous, c’est le trafic d’influence et le copinage», affirme Nicolas Queloz. Et ces pratiques sont d’autant plus courantes que le pays est petit. Souvent, les personnes d’influence se connaissent: elles ont fait leur service militaire ensemble ou sont membres des mêmes sociétés locales. De plus, la «politique de milice» pratiquée en Suisse favorise également le renforcement des liens personnels.

Pour lutter contre la corruption, les chercheurs proposent un catalogue de 50 mesures. Il s’agirait notamment d’ériger en infraction le trafic d’influence et de sanctionner le copinage. Le financement des partis politiques devrait également être plus sévèrement réglementé.

Les condamnations ne devraient en outre pas relever du seul code pénal. Et Marco Borghi de citer un exemple: un entrepreneur peut pénalement écoper de prison avec sursis ou d’une amende, mais le juteux contrat qu’il aura réalisé, même entaché de corruption, reste valable. Pour lutter contre la corruption, il serait donc plus utile de créer une législation capable d’annuler ce contrat.

Mais il convient surtout de modifier les mentalités. «Il y a en Suisse un blocage culturel face à la corruption». Les prises de conscience faites dans d’autre pays, comme en Italie avec «mani pulite», n’ont jamais eu lieu en Suisse. La très forte proximité entre entrepreneurs, responsables politiques et membres de l’administration publique fait que l’hypothèse de la corruption a du mal à être formulée.

Olivier Pauchard

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