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Le cyclisme n’en finit pas de succomber au dopage

Le lien entre cyclisme et dopage est de plus en plus décrié. Keystone

Avec le contrôle positif du Kazakh Alexandre Vinokourov et le retrait de l'équipe Astana, le Tour de France cycliste est à nouveau en proie à ses démons.

Expert reconnu de la lutte antidopage dans le monde, Alessandro Donati répond aux questions de swissinfo.

Pour la deuxième année consécutive, le Tour de France (TdF) est rattrapé par les affaires de dopage. Après le contrôle positif à la testostérone du vainqueur virtuel Floyd Landis en 2006, c’est au tour de l’un des favoris de l’édition 2007 d’être pris dans les mailles du filet.

Selon les analyses pratiquées sur un échantillon recueilli après sa victoire dans le contre-la-montre d’Albi samedi, le Kazakh Alexandre Vinokourov a eu recours à une transfusion sanguine homologue (transfusion du sang d’un tiers).

La formation Astana (basée en Suisse) et son leader quittent la Boucle alors que l’incertitude plane aussi sur le porteur actuel du maillot jaune. Michael Rasmussen a été averti à deux reprises par l’Union cycliste internationale (UCI) pour ne pas avoir fourni son emploi du temps afin de subir des contrôles inopinés.

Pendant ce Tour, l’Allemand Patrik Sinkewitz et l’Italien Cristian Moreni ont également été testés positifs. Le regard d’Alessandro Donati, consultant auprès de l’Agence mondiale antidopage (AMA).

swissinfo: Bien avant la fin du TdF, vous avez affirmé que le vainqueur ne serait pas «propre». Sur quoi se base votre conviction?

Alessandro Donati: Pratiquement la totalité des directeurs sportifs actuels sont d’anciens coureurs qui ont vécu la grande époque du dopage. Il y a donc une continuité absolue.

Ensuite, les différentes équipes se montrent des plus discrètes sur leurs activités. Chacun craint que l’adversaire continue, voire même intensifie la pratique du dopage. Par conséquent, personne n’ose s’arrêter.

Enfin, les cyclistes professionnels qui pratiquent le dopage depuis des années ne connaissent même plus leurs limites réelles. Arrêter de prendre des substances dopantes serait donc un saut dans l’inconnu, tant physiquement que psychologiquement.

swissinfo: Certaines chaînes allemandes ainsi que le quotidien suisse «Le Nouvelliste» ont décidé de cesser de couvrir le TdF suite au cas Sinkewitz. Pensez-vous que ce soit le bon choix?

A. D. : Certainement. Les médias qui aiment le cyclisme doivent assumer une position claire. Je dirais même plus: ce choix est en partie une autocritique, dans le sens que les médias se sont rendus compte que, pendant trop longtemps, ils ont amplifié un spectacle aussi faux que dangereux.

Si, au contraire, ils font un pas en arrière, le monde du sport est perdu. Et les politiciens – très sensibles aux médias – sont amenés à prendre position. Et puis, nous ne devons pas oublier que si les télévisions ne sont plus présentes, la valeur commerciale de l’événement diminue, ce qui met une certaine pression sur les sponsors.

Ceux-ci ont en effet réalisé que le scandale du dopage ne représente pas forcément un dommage économique. Lors de l’affaire Ben Johnson, aux Jeux olympiques de Séoul de 1988, son sponsor (Diadora) avait même augmenté ses ventes.

swissinfo: Qu’est-ce qui manque à la lutte antidopage pour être plus efficace?

A. D. : Il manque une chose à la lutte antidopage: l’engagement des gouvernements et du système judiciaire. Les responsables politiques ont toujours courtisé le sport de haut niveau. Non seulement ils ne sont jamais intervenus, mais ils ont au contraire délégué toutes les responsabilités à l’appareil sportif.

Cela a eu pour unique conséquence de minimiser le problème. Le retard de 10 à 15 ans que la lutte antidopage a pris par rapport aux nouveaux produits n’a, par exemple, jamais été expliqué.

Je suis d’avis qu’il faudrait introduire une sorte de passeport sanitaire digital sur lequel seraient enregistrés les résultats d’analyses sanguines périodiques. Si les paramètres physiologiques s’avéraient anormaux lors d’un contrôle, l’athlète devrait être arrêté jusqu’à ce que ces paramètres reviennent à la normale.

swissinfo: Quel est le rôle de grands organismes comme l’UCI, le Comité international olympique (CIO) ou encore l’AMA?

A. D.: L’UCI et le CIO sont trop conditionnés par la valeur économique du sport, qui surpasse désormais de loin l’éthique. L’AMA est en revanche sur la bonne voie. Mais son statut d’organisme privé rend encore difficile son dialogue avec les pouvoirs publics.

De plus, l’AMA s’est retrouvée cantonnée dans les analyses antidopage, comme s’il s’agissait de l’unique solution au problème… Actuellement, nous sommes en train d’étudier des mesures alternatives, comme le passeport sanitaire, justement.

swissinfo: Vous soutenez que, tout comme pour l’argent sale, la Suisse a été au centre du commerce mondial des produits dopants. Comment l’expliquez-vous?

A. D.: Le rôle de la Suisse a été important et très négatif. Par le passé, il était extrêmement facile de se procurer des produits illégaux dans les pharmacies suisses où les ventes n’étaient pas limitées.

Désormais, ce sont surtout les pays de l’Est ainsi que la Grèce, l’Espagne, les Pays-Bas et l’Allemagne qui sont impliqués. Quelques pays européens – la France, l’Italie et l’Autriche notamment – se sont dotés de normes pénales antidopage. Il est temps que la Suisse en fasse autant.

Interview swissinfo, Luigi Jorio
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

Alessandro Donati (60 ans) est l’un des plus grands experts mondiaux en matière de lutte contre le dopage.

Ancien responsable de l’équipe italienne d’athlétisme, il s’est fait connaître pour avoir révélé divers scandales sportifs.

Parmi ceux-ci: le saut en longueur truqué de Giovanni Evangelisti aux Mondiaux de Rome en 1987, l’utilisation systématique d’EPO dans le cyclisme et le recours au dopage dans le football.

Dans un récent rapport, il a quantifié pour la première fois le marché noir de produits dopants au niveau mondial.

Actuellement, il est consultant auprès de l’Agence mondiale antidopage (AMA) créée à Lausanne en 1999.

Dans un entretien accordé à swissinfo, le patron de la Fédération suisse de cyclisme explique qu’à l’image du système des pavillons de complaisance dans la marine, certains pays octroient des licences aux coureurs choisissant de se doper.

Pour Lorenz Schläfli, les fédérations qui veulent éradiquer le dopage se battent contre une mafia constituée de gens qui ont des intérêts financiers dans le sport.

Pour le Suisse, nettoyer le cyclisme est possible. Mais à la seule condition de tout changer dans l’entourage de ce sport – les médecins, les directeurs sportifs, les managers. «Il nous faut nous montrer très durs, (…) et repartir de zéro», estime Lorenz Schläfli.

Après les chaînes de TV allemandes ARD et ZDF, les journaux zurichois «Tages Anzeiger» et valaisan «Le Nouvelliste» ont décidé d’abandonner leur couverture de la grande boucle.

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