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Le documentaire en état de grâce commercial

«War Photographer» de Christian Frei (photo: Filmproductions). RTS

Depuis 2002, quatre des cinq plus gros succès au box office du film suisse sont des documentaires. La longue tradition helvétique en la matière débouche maintenant sur son âge d'or.

A l’étranger aussi, on cherche à comprendre les raisons de ce succès.

L’intérêt des journalistes étrangers pour le documentaire suisse est de plus en plus évident, souligne Francine Brücher, du Centre suisse du cinéma destiné à soutenir la production nationale.

Consultante pour la vente et le marketing, elle explique que, Outre-Atlantique et ailleurs, on veut comprendre pourquoi les Suisses sortent autant de bons films et s’il existe un modèle à importer.

Il faut dire que les chiffres attestent d’un petit miracle du documentaire, selon le réalisateur et formateur Christian Iseli.

En seize mois, 24 documentaires suisses sont sortis sur les écrans du pays. Ce qui dénote une solide productivité qui va chercher ses racines dans les années 30, rappelle Jean Perret, directeur du Festival Visions du Réel.

Dès cette époque, la Suisse – alémanique surtout – a cherché à s’affirmer par le documentaire face aux cultures voisines majoritaires. Ce qui a lancé une tradition aujourd’hui plus solide que jamais de films en prise avec la réalité.

Les Romands en retrait

En Suisse romande, c’est longtemps la fiction – aujourd’hui malade – qui a occupé les réalisateurs. Les choses ont un peu changé, reste que le public romand n’est pas aussi féru de documentaire que son voisin alémanique.

Car plus encore que l’ampleur de la production, c’est le succès des films du réel auprès du public – à la télévision mais surtout en salles – qui réjouit la branche du cinéma.

Alors que la star suisse toute catégorie depuis janvier 2002 est une fiction – «Ernstfall in Havanna» (309 000 entrées) – les trois viennent ensuite au box office helvétique sont des documentaires – «Mani Mater – warum syt dir so truurig» (133 000), «Elisabeth Kübler-Ross – Dem Tod ins Gesicht sehen» (61 000), «Hirtenreisen ins dritte Jahrtausend» (38 000) et «War Photographer» (17 000).

En comparaison, «Etre et avoir» de Nicolas Philibert a fait 93 000 entrées en Suisse, et «Bowling for Columbine» de Michael Moore, 243 000.

Le réalisateur Christian Iseli reconnaît une «coïncidence de trois succès suisses». Mais il souligne que plus de la moitié des 24 documentaires helvétiques récents ont enregistré des chiffres de fréquentation entre bons et excellents.

Les Etrangers conquis

Chez les distributeurs et exploitants de salles étrangers aussi, la production documentaire suisse rencontre une vague d’intérêt encore inexistante il y a cinq ans.

Des succès comme «War photographer» ou «La caravane du sel» ouvrent des portes pour les autres documentaires, note Francine Brücher. Et pas seulement en Europe.

Cette spécialiste ne cache pas aussi que la langue (l’anglais) et le sujet (un photographe américain, les Tibétains) jouent un rôle clé dans l’exportation d’une oeuvre.

Autre signe de l’impact des films du réel helvétiques à l’étranger: les oeuvres suisses sélectionnées lors des deux dernières éditions du Festival de Berlin étaient des documentaires.

Des réalisateurs entêtés

Hormis la tradition suisse du documentaire, on peut mettre le succès actuel sur le compte de plusieurs éléments.

La forte densité des petites salles et ciné clubs en Suisse a son importance. La capacité, voire l’entêtement des réalisateurs à coller à la sensibilité du public ou à trouver des publics niche aussi.

Dans un pays qui compte le plus grand nombre de sorties de documentaires – suisses et étrangers – en salle au monde, le public cinéphile est particulièrement «formaté» pour ce genre.

Ce n’est pas tout. Les exploitants de salles courageux, les distributeurs et surtout les diverses formes de subventions des pouvoirs publics jouent un rôle essentiel.

Enfin, le documentaire profite de la difficulté des réalisateurs à financer leurs oeuvres de fiction. Ceux-ci se rabattent alors sur moins cher.

L’avenir dira si ce succès perdurera. Mais comme il vaut mieux prévenir que guérir, le directeur de Visions du Réel rappelle que la balle est avant tout dans le camp des réalisateurs et des producteurs.

«Or, j’ai parfois le sentiment d’un léger assouplissement – pour rester poli et nuancé – dans les choix thématiques et esthétiques», avertit Jean Perret.

swissinfo, Pierre-françois Besson

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