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Les deux mensonges du camouflage

swissinfo/SRI: Jusqu’où peut se nicher la «tendance»… swissinfo.ch

Le «mu.dac», Musée de design et d'arts appliqués contemporains à Lausanne, s'intéresse à la mode du camouflage. Les errances occidentales en question.

L’exposition, à voir jusqu’19 mai, s’intitule «Cache-cache camouflage». Et elle s’affiche de loin: la Maison Gaudard, siège du «mu.dac», juste à côté de la cathédrale, est drapé d’un filet du meilleur effet. «Le filet de camouflage printemps/automne de l’armée suisse, posé par ses soins d’ailleurs», précise Chantal Prod’Hom, directrice du musée. Comme quoi le camouflage souligne parfois davantage qu’il ne cache.

Etre «tendance» ou ne pas l’être

La mode occupe deux salles du rez-de-chaussée. D’un côté, le «street wear». De l’autre, les grands créateurs. Ces dernières années, les vestes «camouflage» ont fleuri dans nos cités, et les pantalons, les t-shirts… Les grands couturiers se sont alors saisi de ce courant pour signer des objets improbables, qu’il s’agisse de Castelbajac, de Galliano pour Christian Dior ou de Gaultier (notamment une robe de bal froufroutante). Le comble de l’absurde a été atteint avec les strings et autres petites culottes féminines, voire les bavettes pour bébé.

Souvenir… A la fin des années 60, début des années 70, les vestes militaires avait déjà conquis la rue. A l’époque, c’était plutôt le vert olive de l’armée allemande ou de l’armée américaine qui dominaient. Avec les punks étaient apparus les premiers «treillis». Dans un cas comme dans l’autre, c’était à l’évidence une certaine forme de rébellion (pacifiste, puis nihiliste) qui se saisissait d’un objet exécré pour le railler.

La mode de ces dernières années a-t-elle eu le même objectif? C’est peu probable. Le 11 septembre a d’ailleurs coupé court à la récupération effectuée par les stylistes. «Tout à coup, l’origine militaire des motifs a sauté aux yeux, alors qu’elle avait toujours été là» constate Chantal Prod’Hom.

Et d’ajouter: «Dans le domaine de la mode, il y a eu tout à coup une sorte de bouffée éthique qui a fait réaliser qu’on ne pouvait plus utiliser cela. A Paris, on voyait soudain des petites en body camouflage sexy côtoyer des militaires qui essayait d’assurer la sécurité».

Mauvaise conscience qui nous confirme que cette mode-ci ne consistait pas en un détournement critique et politique, mais bien en une récupération strictement mercantile, bêtement «tendance». Et donc cynique.

Camouflage tous azimuts

A l’étage, le «mu-dac» aborde d’autres secteurs que la mode, en distinguant tout d’abord entre milieu naturel et milieu urbain. Côté nature, on trouve le design (un canapé en paille), l’architecture (photos de bâtiments «intégrés» à leur environnement naturel), ou l’humour de la photographe Annie Leibovitz: une famille américaine typique habillée de gazon artificiel.

Et côté urbain? Un film signé Frédéric Florey et Sandra Hebler sur les innombrables faux chalets et fausses villas – mais vrais bunkers – que compte la Suisse. Des photos du fameux costume briques sur fond de briques (Adelle Lutz et Annie Leibovitz), ou encore la salle «eco mimetico» d’Alessandro Mendini, un salon entièrement constitué de meubles à l’esthétique camouflage.

Plus extrême: la salle intitulée «peau sur peau». Le bustier réalisé par l’artiste Nicola Costantino a l’apparence de la peau humaine, et arbore moult mamelons d’hommes. Les photos de Thierry Perez montrent des modèles dont on ne sait plus si on voit la peau nue, ou le latex qui la recouvre. «Le camouflage ultime» selon Chantal Prod’Hom.

Une autre zone du «mu.dac» met en relation le camouflage et l’anonymat, le fait de se fondre dans la masse. Photo aérienne de Tokyo (Balthazar Burckhard), image de la bourse de Chicago (Andreas Gursky) ou vidéos de passants… qui passent (Beat Streuli). Et à l’arrivée, un constat: pour passer inaperçu, rien de tel que le costard là où on porte un costard et le T-shirt là où on porte un T-shirt.

Le camouflage comme signe de reconnaissance

Les tenues de combat de nos pioupious viseraient au même but? A voir… Pourquoi chaque armée a-t-elle, en matière de camouflage, son propre dessin et ses propres couleurs, comme le démontrent à Lausanne les innombrables échantillons d’un collectionneur? Pour se reconnaître, tout simplement.

Preuve par la négative: quand un Croate et un Serbe tous deux revêtus de surplus de l’armée suisse se croisaient, comment pouvaient-ils être sûrs d’avoir vraiment affaire à un ennemi? Le camouflage est un double mensonge. Une façon de se cacher et simultanément de s’identifier. A l’armée comme dans la rue

Le «Kiosque» de Michel Aubry, entouré d’une palissade créée par les élèves de l’Ecole d’art de Lausanne, est une tente constituée de toiles de camouflages. Des toiles issues de différentes armées mais unies par le fait qu’elles sont toutes équipées de la même technique de «boutonnage»… Armées de tous les pays, unissez-vous grâce au boutonnage!

A noter que «Cache-cache camouflage» a été monté en partenariat avec Le Museum Bellerive à Zurich, qui propose en parallèle une exposition intitulée «Gewaltbilder», sur l’esthétique de la violence. «C’est un peu comme une montagne qu’on a gravi des deux côtés, explique Chantal Prod’hom. A Zurich, on parle de montrer, moi je parle de cacher. Mais on parle les deux de violence».

Bernard Léchot

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