Des perspectives suisses en 10 langues

«Je défends le français là où il est minoritaire et menacé»

Francesca Mantovani / Editions gallimard

Aujourd’hui, plus besoin de descendre à Paris pour se faire connaître comme auteur de langue française, affirme Pierre Assouline. L’écrivain français, journaliste et membre de la vénérable Académie Goncourt souligne la nécessité de défendre les éditeurs francophones dans le monde, à l’occasion de la Semaine de la francophonie du 16 au 24 mars.

La francophonie culturelle dans toute sa diversité. Chaque pays la fête à sa manière, programmant ici des spectacles, là des lectures, ailleurs des concerts; ou encore la remise d’un prix qui récompense l’œuvre d’un auteur francophone, comme cela se fera à Berne, à l’Ambassade de France, le 22 mars. 

Là, Pauline Delabroy-Allard, Française, recevra le Goncourt suisse des étudiants pour son roman «Ça raconte Sarah» (Editions de Minuit), une histoire d’amour entre deux jeunes femmes. Le jury de ce prix est composé d’étudiants issus de différentes universités suisses dont celles de Bâle, Berne, Fribourg, Neuchâtel, Zurich, Tessin… 

Ce prix constitue une partie seulement des manifestations culturelles organisées dans le pays. Mais il est suffisamment prestigieux pour que swissinfo.ch en parle avec Pierre Assouline, qui y voit un moyen important de donner un éclat à la Semaine de la langue française et de la francophonieLien externe.  

swissinfo.ch: Comment l’Académie Goncourt soutient-elle la langue française?  

Pierre Assouline: Par l’attribution de prix, entre autres. Le plus connu mondialement est celui remis à Paris au mois de novembre de chaque année, qui inclut dans ses listes des romans d’auteurs francophones, sans distinction de nationalité. A cette récompense, accordée pour la première fois en 1903, est venue s’ajouter, bien des années plus tard, la volonté d’ouvrir le Prix Goncourt à l’espace francophone européen, canadien, africain, oriental… C’est ainsi que sont nés «Les Choix Goncourt à l’étranger», inaugurés il y a 21 ans en Pologne. Un jury d’étudiants polonais devait alors voter et choisir son lauréat à partir d’une sélection de romans établie par l’Académie Goncourt.

De nombreux pays ont depuis rejoint ces «Choix». La Suisse l’a fait en 2015 seulement. Pourquoi avoir attendu tout ce temps?

La Suisse, comme beaucoup d’autres pays, ne savait tout simplement pas que ces «Choix» existaient. J’en avais moi-même parlé à l’Ambassadeur de France à Berne, lequel en a informé les  autorités helvétiques concernées. Un mois après, naissait «Le Choix de la Suisse»; jamais opération n’avait été aussi vite menée. Robert Kopp, professeur de littérature française à l’Université de Bâle, que je connais, a réalisé un excellent travail à cet effet. Très efficace, il s’est chargé du contact avec les universités, qui lui ont répondu oui. 

Le Choix de la suisse pour l’année 2018 se porte sur «Ça raconte Sarah». C’est aussi le Choix de la Pologne et de la Roumanie. La culture du pays influence-t-elle le vote des étudiants?

La culture exerce une influence il est vrai, mais dans leur choix les étudiants sont beaucoup plus incertains et inattendus qu’on ne le croit. J’ai interrogé bon nombre d’entre eux quand je me suis rendu en Suisse pour la proclamation des résultats du vote. Tous m’ont parlé de «Ça raconte Sarah», comme s’il n’y avait que cet ouvrage-là sur la liste du Goncourt. J’ai constaté donc une unanimité de voix sur ce roman intemporel, dont l’auteur est très jeune, comme la narratrice d’ailleurs et comme les étudiants votants. Il n’est pas étonnant dès lors qu’une empathie se crée et qu’elle favorise l’identification. Disons que le Choix de la Suisse est ici moins national que générationnel.

«Je dis et redis aux Romands: que l’auteur soit genevois ou publié à Vevey importe peu, ce qui compte c’est le texte. Envoyez-nous vos livres!»

Ce pays compte environ 2 millions de francophones. Comparé aux 300 millions de personnes qui parlent français dans le monde, quel est le poids de la Suisse?

 Oh! ce n’est pas une question de chiffres, mais de combat à mener. Deux millions par rapport aux Africains francophones ce n’est rien, mais cela n’empêche pas la Suisse de demeurer une terre très importante pour le français. Je suis moi-même très helvétophile, et j’ai à cœur de soutenir la langue française là où elle est minoritaire et menacée, comme en Suisse ou en Belgique où le flamand gagne du terrain.

Et en Suisse?  

Je prends un exemple: la votation fédérale de 2012 sur le prix unique du livre. La plupart des opposants à la loi étaient alémaniques. Le non l’a emporté, il fut préjudiciable aux auteurs, éditeurs et libraires romands. Je parlais tout à l’heure de combat, il est à mon avis politique et consiste à soutenir de toutes les manières possibles les éditeurs francophones à l’étranger. Vous savez, on me demande partout en France de préfacer des livres. Je refuse très souvent parce que je n’ai pas le temps. En revanche, j’ai tout de suite accepté de signer la préface d’un texte de Charles-Ferdinand Ramuz, qui paraîtra prochainement chez Zoé, à Genève. C’est ma manière à moi de défendre le français et la littérature qu’il porte, hors des frontières hexagonales.

Que dites-vous aux Romands qui ont l’impression que leur littérature est méconnue ou mal comprise en France?

N’exagérons rien! Ramuz est quand même dans la prestigieuse collection de La Pléiade, chez Gallimard. Néanmoins, je dis et redis aux Romands: que l’auteur soit genevois ou publié à Vevey importe peu, ce qui compte c’est le texte. Envoyez-nous vos livres. Autrefois, un jeune écrivain francophone était obligé de monter à Paris pour se faire connaître; je pense ici au Belge Georges Simenon et à deux Suisses Bernard Comment et Roland Jaccard. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’accès à la reconnaissance ne connaît pas de frontières.  

A l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, qui s’est tenu le 20 mars 2019 autour du thème “En français, s’il vous plaît”, retrouvez le message de la Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo:

Contenu externe

L’avenir de la francophonie est en Afrique 

La part des francophones dans le monde reste «très stable», faisant mentir la pensée selon laquelle la langue de Molière perd le combat face à celle de Shakespeare. 

Avec 300 millions de locuteurs, soit une progression de 10% depuis 2014, le français conforte sa place de cinquième langue la plus parlée dans le monde. Il est précédé du chinois, de l’anglais, l’espagnol et l’arabe, révèle le rapport Lien externequadriennal de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). 

Ce dynamisme va s’amplifier. D’ici à 50 ans, le français sera parlé par 477 à 747 millions de personnes dans le monde, le faisant «peut-être» passer devant l’espagnol, grâce au dynamisme «fulgurant» de la francophonie en Afrique, explique Alexandre Wolff, coordinateur du rapport et responsable de l’Observatoire de la langue française à l’OIF, basée à Paris. 

L’Afrique, planche de salut 

L’Afrique était encore en 2015 le deuxième continent francophone derrière l’Europe, abritant un peu plus de 40% des locuteurs du français. En 2070, près de 80% des francophones vivront en Afrique. 

Mais, pour réaliser les projections les plus optimistes, il faut relever le défi «énorme» de la scolarisation, souligne Alexandre Wolff. «Pour l’instant, le niveau est loin d’être atteint», avertit-il: 71% des enfants en deuxième année du primaire en Afrique subsaharienne francophone ne maîtrisent pas le français.

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