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Le jour où l’armée suisse a «envahi» le Liechtenstein

Soldats suisses
Image d'archives. Keystone / Jean-christophe Bott

Par une sombre nuit de mars, il y a 15 ans, 170 recrues de l’armée suisse – vêtues de tenues de camouflage et armées, sans munitions il est vrai - ont pénétré sur le territoire de la Principauté du Liechtenstein. C’était la première fois que l’armée suisse remettait le nez hors du territoire national depuis une brève occupation de la Franche-Comté après la chute de Napoléon, en 1815.

De toute évidence, l’invasion de mars 2007 n’était pas une invasion planifiée par les échelons supérieurs de l’armée suisse pour conquérir la petite principauté située à l’est de la Confédération. L’invasion de l’armée suisse était, comme s’il était besoin de le préciser, un oubli, une erreur.

De son côté, le Liechtenstein, qui ne compte qu’un peu moins de 40’000 habitants, n’a plus d’armée depuis plus de 150 ans. Les 41 kilomètres de frontière qu’il partage avec la Confédération, presque tous traversés par le Rhin (à l’exception d’une dizaine de kilomètres de hautes montagnes et de moins de deux kilomètres de fausse plaine qui auront toute leur importance dans notre histoire), ne sont même pas habités. Il est donc facile de comprendre que pénétrer sur son territoire n’est pas du tout compliqué, même et surtout si on le fait de manière involontaire.

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Mais une chose est sûre: aucune armée – même celle de la très neutre Suisse – ne peut entrer sur un territoire étranger pour quelque raison que ce soit.

C’est finalement la Suisse qui a signalé le passage de frontière au Liechtenstein. Le commandant de l’école de recrues de l’infanterie de montagne s’est personnellement excusé auprès du maire de Balzers, la commune de la Principauté sur laquelle ses soldats ont «débordé». De leur côté, les autorités du Liechtenstein ne s’étaient rendu compte de rien et aucun habitant n’avait remarqué la présence des soldats suisses.

Cette nuit de 2007

Mais revenons à cette nuit-là, il y a 15 ans. C’est la nuit du 1er au 2 mars 2007. Les recrues sont engagées dans une marche de nuit consistant à traverser vers minuit la commune de Fläsch dans le canton des Grisons, un village situé à l’est du Rhin, à la limite de la commune liechtensteinoise de Balzers.

Comme déjà dit, il s’agit d’une marche de nuit, comme il y en a beaucoup pendant l’école de recrue. Mais c’est une nuit particulièrement sombre: le ciel est couvert de lourds nuages noirs qui ne permettent pas à la lune et aux étoiles d’éclairer la marche des soldats. Puis il commence à pleuvoir. Le mauvais temps réduit considérablement la visibilité. Les soldats portent des imperméables de camouflage, qui ne sont pas très pratiques et nuisent à leur mobilité. Ils marchent néanmoins d’un bon pas sur un chemin de montagne, l’un des nombreux sentiers de randonnée qui se ressemblent tous un peu. Le village grison de Fläsch se trouve juste en aval des soldats, comme indiqué sur le plan de route, mais les lumières lointaines du village sont assourdies par la pluie battante. Il n’est pas facile de s’orienter.

Carte de géographie de la frontière entre la Suisse et le Liechtenstein
L’itinéraire par lequel les recrues sont entrées sur le territoire du Liechtenstein. Franciolli, Riccardo (swissinfo)

Le capitaine, à la tête des 170 recrues, continue de montrer avec assurance le chemin à ses soldats. Il a peut-être perdu ses repères, mais ne le montre pas. À un croisement, sans s’en rendre compte, il s’engage sur la mauvaise voie. Ils auraient dû tourner à gauche, mais la troupe tourne à droite sur un chemin qui les mène directement dans la Principauté de Liechtenstein. Personne ne remarque l’erreur. La marche continue et les soldats pénètrent en territoire étranger sur de nombreux kilomètres supplémentaires. Les premières lueurs de l’aube surprennent les recrues suisses juste au-dessus du village de Balzers. Le Rhin coule dans le mauvais sens et le capitaine, mais pas seulement lui, se rend compte de l’erreur: sans équivoque, ils marchent sur le sol de la Principauté. Bien qu’épuisées par la marche de nuit, les recrues suivent leur capitaine presque en courant vers le canton voisin des Grisons.

Pas un cas isolé

L’erreur, comme mentionné, n’a été remarquée par personne. De retour à la caserne, le capitaine a immédiatement fait un rapport au commandant de l’école de recrues, qui a informé les échelons supérieurs de l’armée suisse, lesquels ont à leur tour rapporté l’incident au Conseil fédéral, qui a présenté ses excuses à la Principauté.

Ce n’était pas la première fois que l’armée suisse s’aventurait en territoire étranger. Comme l’a déclaré le porte-parole de l’armée à l’époque, il y a chaque année un ou deux cas de membres de l’armée suisse qui se retrouvent par erreur en territoire étranger. La plupart du temps, cela s’est produit dans le Jura et le canton de Schaffhouse (dont les frontières sont particulièrement tortueuses). Les conséquences auraient pu être bien plus fâcheuses dans ces cas-là, puisque c’est la France et l’Allemagne qui ont été envahies: des pays qui ont, contrairement au Liechtenstein, une armée, et une armée bien armée.


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