«L’État social ne va pas être démantelé»
La Suisse devrait revoir son mécanisme du frein à l’endettement, selon les invités de notre débat Let’s Talk. Cela pourrait contribuer à rééquilibrer les finances de la Confédération sans miser uniquement sur des coupes budgétaires, estiment les économistes Marius Brülhart et Nils Soguel.
La Confédération prévoit de se serrer la ceinture pour rééquilibrer ses finances. Elle compte économiser 3 à 4,5 milliards de francs par année dès 2027. Politique climatique, crèches, recherche, coopération internationale: les coupes touchent tous les domaines, à l’exception de l’armée.
Marius Brülhart, professeur d’économie à l’Université de Lausanne, reconnaît la nécessité d’agir: «Il est important d’avoir des finances publiques saines et un budget équilibré». Il souligne cependant que la science ne dit rien sur la nature des mesures à prendre. «Faut-il faire des économies comme le propose le Conseil fédéral? Doit-on plutôt augmenter les recettes par des hausses d’impôts ou encore s’endetter davantage? Il s’agit de décisions politiques», affirme-t-il.
L’économiste préconise d’assouplir les règles qui régissent le frein à l’endettement, un mécanisme introduit en 2003 après avoir été accepté par le peuple à 85%. Celui-ci prévoit que le montant total des dépenses ne doit pas dépasser le montant total des recettes, sur l’ensemble d’un cycle conjoncturel.
«Notre frein à l’endettement est déjà le plus strict du monde. En plus, au niveau de la loi d’application de ce mécanisme, nous avons encore renforcé sa sévérité», constate Marius Brülhart. Il considère qu’il ne s’agit pas seulement d’un frein, mais d’«une marche arrière de l’endettement», puisqu’il fait baisser le taux d’endettement.
>> Pour Marius Brülhart, le frein à l’endettement doit être repensé:
Nils Soguel, professeur de finances publiques à l’Institut de hautes études en administration publique, se montre plus enthousiaste à l’égard du frein à l’endettement. À ses yeux, il s’agit de l’une des clés du succès du modèle helvétique.
Grâce à ce mécanisme, la Confédération se distingue en effet par la faiblesse de sa dette en comparaison internationale. Elle s’élevait à près de 15% en 2023, selon les données du Fonds monétaire internationalLien externe (FMI), un taux bien inférieur à celui de la plupart des pays du monde.
«Le frein à l’endettement est avec le chocolat et les montres, un bon produit d’exportation de la Suisse», affirme Nils Soguel. Le spécialiste rappelle qu’il offre des limites à la politique budgétaire, mais également des marges de manœuvre pour faire face aux variations conjoncturelles et aux crises.
Il estime néanmoins que le mécanisme souffre d’un biais de conception qui devrait être corrigé. «Ce mécanisme a été élaboré à la fin des années 1990, des années terribles pour les finances publiques. À ce moment-là, personne n’avait toutefois imaginé que la Confédération allait être confrontée non plus à des déficits, mais à des excédents systématiques», indique-t-il.
«Une question de marchandage politique»
Les deux économistes ne craignent pas que le plan d’économies du gouvernement ne ralentisse la croissance helvétique. «Les dépenses étatiques sont certes utiles et créent de l’emploi, mais augmenter ou diminuer les dépenses de 1% dans un domaine ou un autre n’a qu’un impact marginal», relève Nils Soguel.
Marius Brülhart partage cet avis. «C’est une question de marchandage politique et de distribution des coûts et des avantages, mais on ne peut pas dire que la croissance de la Suisse sera fondamentalement différente, si on fait ceci ou cela», affirme-t-il.
Ce dernier note cependant que plusieurs études ont conclu qu’en cas de grave problème budgétaire, il est plus durable et meilleur pour la croissance de le corriger via des coupes dans les dépenses qu’en ayant recours à des hausses d’impôts. «Ces résultats ne peuvent toutefois pas être utilisés dans le contexte suisse, car ils reposent sur des crises budgétaires beaucoup plus graves que celle à laquelle doit faire face la Confédération», remarque Marius Brülhart.
«Les réactions sont caricaturales»
Le programme d’allégement budgétaireLien externe de la Confédération est très discuté au niveau politique, avec une opposition classique entre la gauche et la droite. À droite, on estime que la Suisse a un problème de finances, alors que la gauche considère que les finances fédérales se portent bien.
>> Regarder les réactions des parlementaires au paquet d’économies:
«Les réactions sont caricaturales, mais les élus devront parvenir à trouver une solution consensuelle. Ils devront prioriser. Si on n’a pas davantage de recettes fiscales, il va falloir renoncer à certaines choses», commente Nils Soguel.
Il note toutefois qu’il est difficile pour l’État d’abandonner des tâches, comme le réclame la droite libérale. Le professeur de finances publiques constate que les mesures d’économie proposées dans le rapport GaillardLien externe, sur lequel s’est basé le Conseil fédéral, ne prévoient pas de renoncer complètement à une tâche.
«Avec le temps, certains besoins disparaissent, mais les structures restent. Il est difficile de biffer une structure d’un organigramme, car derrière se trouvent des intérêts», constate Nils Soguel. Il prend l’exemple du Haras national suisse (HNS)Lien externe à Avenches, créé en 1898 afin d’élever des chevaux pour répondre aux besoins de l’armée et de l’industrie. «Aujourd’hui, les moteurs ont remplacé les équidés, mais on a trouvé une nouvelle mission au haras, celle de conserver la race Franches-Montagnes», relève-t-il.
Maria Silletta, qui représentait les Suisses de l’étranger dans notre débat, s’est dite inquiète des coupes budgétaires qui touchent la diaspora. Elle a notamment cité la réduction du budget de l’Organisation des Suisses de l’étranger et la suppression de la contribution fédérale aux services de la Société suisse de radiodiffusion et télévision destinés à l’étranger (dont fait partie swissinfo.ch).
«Ces coupes sont des peccadilles dans le budget de la Confédération, mais cela s’inscrit dans la ligne du rapport du groupe d’experts qui préconise de supprimer les micros subventions, car elles apportent peu et coûtent cher à distribuer», explique Nils Soguel.
Il relève cependant que les efforts de la Suisse vis-à-vis des Suisses de l’étranger, le réseau des ambassades ou encore l’aide publique au développement, contribuent à la bonne image de notre pays dans le monde. «Il s’agit d’un bien commun mis à disposition de tous les Suisses. On perd parfois ce genre de choses de vue», souligne l’économiste.
«Donald Trump ne mène pas une politique d’austérité»
Les coupes budgétaires ne se manifestent pas seulement en Suisse, mais aussi dans d’autres régions du globe. «C’est dans l’air du temps. Il y a certains mouvements populistes qui ont le vent en poupe», observe Marius Brülhart.
Le professeur met toutefois en garde contre l’utilisation abusive du mot «austérité». «En ce qui concerne le gouvernement Trump, par exemple, on ne peut pas vraiment parler de politique d’austérité, car il envisage d’importantes baisses d’impôts, ce qui va encore faire augmenter le déficit déjà considérable aux États-Unis», estime Marius Brülhart. Concernant la Suisse, les économies prévues ne sont, à ses yeux, pas suffisamment importantes pour parler d’austérité.
>> Pour Nils Soguel, les dépenses militaires ne seront pas uniquement compensées par des coupes dans le social:
Alors que les États-Unis se distancient de l’Europe, les États européens sont toutefois contraints d’augmenter leurs dépenses militaires au détriment d’autres domaines. «On ne va toutefois pas démanteler notre État social. C’est une crainte qu’il ne faut pas avoir», estime Nils Soguel.
Il considère que les États européens ont bénéficié d’un «dividende de paix» à la suite de la chute du mur de Berlin. «Celui-ci a été utilisé pour renforcer les dépenses sociales. Aujourd’hui, nous sommes retombés dans une aire plus pugilistique et le balancier des dépenses publiques devra être réorienté vers les dépenses militaires, comme l’a décidé le Parlement».
Marius Brülhart ne craint pas non plus un démantèlement de l’État social. «On pourrait financer les dépenses militaires en coupant dans le social. C’est un scénario. J’ai toutefois de la peine à imaginer que ce soit le scénario qui ralliera la majorité du peuple suisse.»
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Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg
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