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Un petit canton ose: des zones à bâtir pour riches

L'idée de créer des zones à bâtir pour les riches dans le demi-canton d'Obwald suscite la polémique. Keystone

Le demi-canton d'Obwald, en Suisse centrale, lance un nouveau pavé dans la mare: il veut créer des zones à bâtir spéciales, dites «pour une qualité d'habitat élevée», afin d'attirer les riches contribuables. Critique unanime, mais Obwald se défend bec et ongles.

Le coureur automobile Michael Schumacher retentera-t-il sa chance? En 2000, il aurait voulu se construire une résidence dans une zone partiellement agricole du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures. Le Conseil fédéral (gouvernement suisse) avait refusé. Schumacher est resté dans le canton de Vaud.

Mais désormais, c’est un canton qui prend lui-même l’initiative: Obwald, 34’000 habitants et sept communes, déjà connu pour avoir voulu introduire l’impôt dégressif (annulé par la Cour suprême suisse), propose l’instauration de zones à bâtir «avec qualité d’habitat élevée.» Le parlement cantonal a déjà accepté le projet.

Situé à 20 kilomètres au sud de Lucerne, sur l’axe du Gothard, comptant le point topographiquement le plus central de Suisse, Obwald est aussi une destination touristique (Engelberg surtout), sans être la plus recherchée de la région. Trois lacs ou bras de lacs agrémentent son paysage, une sorte de plateau-terrasse s’écoulant dans le Lac des Quatre-Cantons.

Un ex-mouton noir

Jusqu’il y a quelques années, Obwald se distinguait surtout par la charge fiscale la plus élevée de Suisse. D’où la décision des autorités de lancer une stratégie résolument agressive pour attirer particuliers et entreprises – stratégie qui débouche aujourd’hui sur la création de zones à bâtir d’un nouveau genre.

Le demi-canton a en effet trop de terrains en réserve, pas toujours bien placés, thésaurisés à des fins de patrimoine ou de spéculation. Et il a décidé d’en faire bon usage.

Le Conseil fédéral a même accepté le principe d’une utilisation du sol «attrayante pour l’habitat et l’économie», en approuvant le plan directeur cantonal en février 2008. Mais il s’est fâché tout rouge lorsque les propositions concrètes ont été connues.

«Forme d’apartheid»

Sur son blog, le ministre des transports et de l’environnement Moritz Leuenberger écrit que la nouvelle loi obwaldienne «n’est rien d’autre qu’une forme d’apartheid». Le principe de l’égalité devant le droit est bafoué, renchérit le constitutionnaliste Rainer Schweizer, de l’Université de St-Gall.

De plus, ajoute-t-il: «le mélange des finalités est très problématique. L’aménagement du territoire ne peut pas être utilisé à des fins de politique fiscale.»

Autre problème: les critères d’attribution et les prescriptions à respecter seront fixés individuellement pour chaque requête. La loi se contente d’évoquer au moins neuf «zones pour une qualité d’habitat élevée dans l’intérêt du canton». Des zones à bâtir avec places de travail, «dans l’intérêt du canton» toujours, sont également prévues.

Rentrées fiscales? «Une illusion»

C’est précisément contre l’«illusion» de plus-value fiscale que Christa Perregaux DuPasquier, vice-directrice de l’Association suisse pour l’aménagement national (ASPAN) met en garde: «Les communes sous-estiment les coûts que cela entraîne», dit-elle.

«Car qui dit famille supplémentaire, à fortiori si ce sont de nombreuses familles supplémentaires, dit aussi infrastructures supplémentaires, poursuit-elle. De plus, quand ils construisent, les nouveaux propriétaires peuvent déduire de gros montants de leur déclaration d’impôts.»

Mais Obwald se défend becs et ongles. «Nous voulons une croissance qualitative, pas des quartiers entiers de villas qui défigurent les paysages», soutient Hans Wallimann. Pourquoi les contribuables qui en ont les moyens ne pourraient-ils pas obtenir – si cela est disponible – des terrains adaptés?»

Le magistrat insiste aussi sur le petit nombre de personnes qui seront concernées par ces terrains de 3000 à 4000 mètres carrés. «Il faut garder le sens des proportions», plaide-t-il.

Les CFF aussi…

Et le principe de l’égalité? «Les CFF offrent bien des billets de 2e et des billets de 1e classe», répond Hans Wallimann. Le conseiller d’Etat accepte aussi que «certaines personnes veulent pouvoir se couper du monde et ne pas être vues des voisins. Moi aussi, j’ai fait installer une haute haie délimitant mon jardin…»

Ne craignant ni référendum ni plainte au Tribunal fédéral, le Conseil d’Etat ne «comprend pas pourquoi une idée innovatrice déjà réalisée dans plusieurs cantons ne pourrait pas être possible.»

«Les zones de villas existent en de nombreux endroits, y compris en Suisse romande, admet Christa Perregaux DuPasquier mais c’est le marché qui les occasionne, avec des prix très élevés, pas la loi.»

Le demi-canton devra très vraisemblablement voter. Les Verts ont récolté plus des deux tiers des 100 signatures nécessaires à l’aboutissement d’un référendum. Selon un sondage sur le site internet du parti, 78% des internautes sont opposés aux «zones spéciales.»

Ariane Gigon, Sarnen, swissinfo.ch

Le demi-canton d’Obwald compte 34’000 habitants répartis dans sept communes.

Plus grand en superficie que son jumeau Nidwald, Obwald affichait en revanche un revenu moyen par habitant bien plus faible en 2005: moins de 40’000 francs contre 73’000 à Nidwald.

Obwald était également connu pour sa charge fiscale la plus lourde de Suisse.

Confronté au «cercle vicieux» de la fuite des contribuables l’empêchant de financer ses tâches de base, Obwald a réagi en lançant une stratégie à long terme, 2012+.

La «Stratégie 2012+» destinée à enrayer ce mouvement repose sur trois piliers: stratégie fiscale, marketing cantonal et aménagement du territoire.

Bilan provisoire: depuis 2006, le nombre d’habitants a augmenté, des places de travail ont été créées et, malgré des réductions d’impôts de 26,5%, les rentrées fiscales sont restées – à 3% près – identiques.

La révision partielle de la Loi obwaldienne sur les constructions prévoit:

«Avec l’accord des communes, le canton a la possibilité de déterminer:
a. des zones pour une qualité d’habitat élevée d’intérêt cantonal et
b. des zones de travail d’intérêt cantonal.»

Le message explicatif du gouvernement donne quelques précisions, sans énumérer toutefois des critères d’attribution.

Les zones «de haute qualité», qui seraient au nombre de neuf au moins, doivent notamment être adossées à des zones à bâtir existantes «pour empêcher un morcellement de l’espace».

Les Verts d’Obwald ont lancé un référendum contre cette révision.

swissinfo.ch

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