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Après la fronde, les pistes d’une sortie de crise

Blocage d’une raffinerie à l'est de paris, le 17 octobre. AFP

Après le Sénat mardi, l'Assemblée nationale a approuvé aujourd’hui le texte, controversé, de la réforme des retraites en France. Le mouvement de contestation semble marquer le pas, du moins provisoirement. Regards croisés de deux politologues suisses.

Jour J. Ou plutôt jour R, comme réforme des retraites. Ce jour, le gouvernement et le président de la République Nicolas Sarkozy l’attendaient depuis longtemps.

Leur projet, si contesté, qui repousse l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, a été enfin voté, mercredi après-midi, à l’Assemblée nationale. Cette approbation a été obtenue par 336 voix contre 233. La veille, le Sénat avait confirmé son vote positif de la réforme.

Ce vote ouvre la voie à la promulgation de la loi, prévue à la mi-novembre. La promulgation du texte par le président français permettra de la mettre en oeuvre.

Le bout du tunnel en somme pour la majorité qui a craint le pire ces dernières semaines. Vraiment?

Les signes d’espoir

Le gouvernement français veut désormais croire à la sortie de crise. Quelques signes semblent lui donner raison. Le leader du syndicat réformiste CFDT, François Chérèque, paraît vouloir tourner la page: l’accent est désormais mis sur l’emploi des jeunes et des seniors. Bernard Thibault, secrétaire général de la plus radicale CGT, ne le contredit qu’à moitié. Le mouvement «continuera, dit-il, il prendra d’autres formes, les sujets soulevés par ce mouvement ne sont pas clos, quels que soient les épisodes des prochains jours».

Difficile de prendre le pouls du «terrain». Les vacances de la Toussaint ont interrompu les manifestations des lycéens, très en pointe du mouvement ces derniers jours. Le pourcentage de grévistes à la SNCF semble marquer le pas. Le travail a repris dans cinq des douze raffineries françaises. On en saura plus demain, à l’occasion de la nouvelle journée d’action: un bon test du niveau de mobilisation.

La partie n’est pas gagnée

Malgré les cris de victoire du parti au pouvoir (UMP), la partie n’est pas gagnée pour Nicolas Sarkozy.

«Le vote du texte n’est qu’une étape, remarque Pascal Sciarini, professeur de sciences politiques à l’Université de Genève. En 2006, quand le ‘contrat premier embauche’ (CPE) voulu par le premier ministre d’alors, Dominique de Villepin, déclencha un fort mouvement contestataire, le vote du texte n’avait pas mis fin à la fronde. Au contraire: sous la pression de la rue, notamment des lycéens, le pouvoir avait dû abroger la loi.» L’affaire n’est donc pas terminée. Le parti socialiste a annoncé hier qu’il allait déposer un recours au Conseil constitutionnel.

La crise sociale française ne laisse pas indifférents les politologues suisses. De ce côté-ci du Jura, on est souvent frappé par la résistance hexagonale à toute réforme. «En Suisse, où prévaut déjà la retraite à 65 ans, le combat français contre les 62 ans peut sembler d’arrière-garde, note Pascal Sciarini. Mais le coup de force du gouvernement, qui n’a pas voulu négocier son projet avec les syndicats, nous choque tout autant. »

S’attaquer à un symbole laissé par Mitterrand

Une logique bien française de confrontation. «Cette crise nous rappelle celle de décembre 1995, lorsque Alain Juppé avait voulu réformer les retraites et la sécurité sociale sans tenir compte des partenaires sociaux», constate Giuliano Bonoli, professeur à l’Institut de hautes études en administration publique, à Lausanne. Des grèves monstres avaient alors contraint Juppé à renoncer à son plan.

Le passage en force n’est pourtant pas la seule voie possible, même en France, rappelle Giuliano Bonoli. En 1993, Édouard Balladur avait pris en compte, dans sa réforme des retraites du système privé, certaines propositions syndicales.

«Le gouvernement actuel aurait pu se contenter d’allonger le nombre de trimestres nécessaires à l’obtention d’une retraite, comme cela s’est déjà fait en 2003, note M. Bonoli. En faisant cela, on aurait laissé plus de liberté à chacun tout en réduisant les déficits. Mais Nicolas Sarkozy a voulu s’attaquer un symbole: la retraite à 60 ans, instaurée en 1981 par François Mitterrand».

Pourquoi? «Pour rassurer les marchés financiers, sans doute. Mais aussi pour des raisons électorales». Un pari incertain. D’un côté, en 2012, « le Président pourra se prévaloir de cette réforme, notamment auprès de son électorat conservateur », remarque Pascal Sciarini. De l’autre, « Balladur en 1995 comme Juppé un peu plus tard ont payé cher leurs velléités réformistes », rappelle Giuliano Bonoli.

Pas avec trop de condescendance

Ce qui frappe aussi en Suisse, c’est l’ampleur de la mobilisation. «On apprend en sciences politiques que le taux de syndicalisation en France est très faible et l’unité syndicale plutôt rare. Aujourd’hui pourtant, ce qui surprend le plus, c’est la remarquable capacité de mobilisation», note Pascal Sciarini.

Pendant ces quelques semaines, les syndicats, de la modérée CFDT jusqu’à la radicale SUD, ont réussi à surmonter leurs divergences. Oubliées, les divisions de 2003 entre CGT et CFDT, qu’avait habilement su exploiter François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, chargé de réformer les retraites des fonctionnaires. Visiblement, les Français apprécient cette harmonie: selon un récent sondage, 57% d’entre eux sont satisfaits de leur action.

« On aurait tort, en Suisse, de regarder la situation en France avec trop de condescendance, estime Pascal Sciarini. Après tout, chez nous, droite et gauche ne sont toujours pas parvenues à un accord sur la révision de l’assurance vieillesse.»

Equilibre. Le projet de loi prévoit une série de mesures visant à assurer l’équilibre du système de retraites en 2018.

62 ans. Dès juillet 2011, l’âge minimum légal sera relevé de 4 mois tous les ans, pour atteindre 62 ans en 2018.

Age minimum. Parallèlement, la durée de cotisation continuera d’augmenter, comme prévu par la réforme de 2003. Elle devrait atteindre 41,5 ans en 2020. L’âge minimum pour bénéficier d’une retraite à taux plein, quelle que soit la durée de cotisation, passera également de 65 à 67 ans.

Le taux de cotisation des fonctionnaires sera progressivement aligné sur celui des salariés du privé. Ainsi, il passera de 7,85 à 10,55 % d’ici 2020.

Des euros en moins. Selon le gouvernement, cette hausse devrait se traduire par une baisse moyenne de salaire de 6 euros par mois. Le principe d’un départ anticipé pour les personnes ayant commencé à travailler tôt sera également révisé.

Réserve. Les salariés ayant commencé à 14, 15 ou 16 ans pourront prendre leur retraite à 58, 59 ou 60 ans, sous réserve d’avoir validé le nombre minimum de trimestres requis majoré de deux ans

Un Français sur trois aura plus de 60 ans en 2060 et le nombre des centenaires devrait exploser, selon les dernières projections de l’Insee publiées mercredi. L’Insee prévoit aussi que l’Hexagone comptera alors 73,6 millions d’habitants, soit 11,8 millions de plus qu’en 2007 (dernier recensement définitif).

Le nombre des 60 ans et plus «augmenterait à lui seul, de 10,4 millions entre 2007 et 2060», écrit l’Institut national de la statistique et des études économiques. Ils seraient alors 23,6 millions, soit une hausse de 80% en 53 ans.

La hausse du nombre des plus de 60 ans sera particulièrement forte jusqu’en 2035, année «où toutes les générations du baby-boom auront atteint 60 ans», avant de ralentir, a expliqué lors d’une conférence de presse Olivier Chardon, de l’Insee.

Les «baby-boomers» sont nés entre 1946 et 1974.

Alors qu’ils représentaient 21% de la population en 2007, les plus de 60 ans en représenteront donc déjà 31% en 2035, une proportion stable ensuite (32% en 2060). L’âge moyen passera de 39 ans en 2007 à 45 ans à 2060.

L’augmentation de la population de plus de 60 ans devrait être «la plus forte pour les plus âgés: le nombre de personnes de 75 ans ou plus passerait de 5,2 millions en 2007 à 11,9 millions en 2060; celui des 85 ans et plus de 1,3 à 5,4 millions», note l’Insitut.

Dès 2014, la proportion des moins de 20 ans sera inférieure à celle des sexagénaires.

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