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Poussepin, place au débat…

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Le Centre culturel suisse de Paris a 20 ans. A quoi sert-il? A quoi devrait-il servir?

A l’occasion des 20 ans de la présence suisse à l’hôtel Poussepin, dans le Marais, réflexion avec ceux qui sont présents… et ceux qui sont absents.

Depuis jeudi et jusqu’à samedi soir, le Centre culturel suisse de Paris (CCSP) fait la fête, histoire de commémorer ses vingt ans d’existence.

Un cas unique dans la politique culturelle fédérale. Il fut le premier centre culturel à être lancé à l’étranger par la Fondation Pro Helvetia. Il est le dernier, puisque la fondation n’est plus engagée ni à New York, ni à Milan, et que sa politique actuelle est plutôt axée sur le développement de petites agences, plus légères, servant de têtes de pont pour les artistes helvétiques.

Poussepin est donc un «Sonderfall». Qui a sa raison d’être selon l’écrivain et journaliste Jean-Pierre Moulin, présent jeudi soir Rue des Francs-Bourgeois.

«Je crois que la Suisse est un pays qui a beaucoup de qualités, notamment ses talents commerciaux, mais un défaut: dans tout ce qui est culturel, la Suisse a une espèce de modestie dont la conséquence est que d’autres pays, plus exhibitionnistes, font plus de bruit qu’elle.»

Et d’ajouter: «Je crois qu’il est donc nécessaire que la Suisse puisse s’exprimer sur le plan culturel, à l’extérieur, pour qu’elle existe au-delà des clichés. Et notamment au niveau francophone: la Suisse doit exprimer sa francophonie».

Il y a débat et débat

Du temps où il était rédacteur en chef de l’Hebdo, Jacques Pilet a participé à la création du CCSP. Joint par téléphone, il constate que «la justification de ce Centre est amplement prouvée. Cela a permis non seulement à des artistes suisses de se faire entendre à Paris, mais, à certaines périodes, cela a été un véritable lieu de débat et de rencontres, avec des personnalités françaises également».

Mais l’actuel responsable du secteur développement et nouveaux produits chez Ringier place un bémol quant aux activités présentes du Centre: «L’actuel directeur a fait du CCS une sorte de galerie d’art contemporain qui ne laisse qu’une très faible place au débat. Le débat, la rencontre, l’échange, me paraissent sous-estimés aujourd’hui.»

Un avis partagé par de nombreuses personnalités, mais auquel s’oppose vigoureusement Michel Ritter. «C’est faux! Toutes les disciplines sont représentées. Il faut arrêter de dire que c’est une galerie d’art: lors de chaque événement, il y a bien sûr une exposition, mais il y a aussi du théâtre, du cinéma, des discussions.»

Le débat sociétal est-il aussi pertinent, et surtout intelligible, à travers les chocs de l’art contemporain qu’à travers des plateformes réunissant écrivains et intellectuels? «L’art actuel est parfois accessible, parfois plus compliqué. Je pense que le débat peut avoir lieu sous différentes formes», répond Michel Ritter.

Le combat des anciens et des nouveaux?

Dans le dernier numéro du journal du CCSP, l’écrivain Daniel de Roulet met en opposition la période ‘identitaire’ de la culture suisse, marquée par une profonde crise, de l’après-guerre jusque vers 1995… Puis le fait que la culture suisse se serait libérée, affranchie de cette problématique notamment suite à l’affaire des fonds juifs et du Rapport Bergier. «De la crispation à la mondialité», selon le titre de l’article.

Atteint par téléphone, il constate que «du temps de Daniel Jeannet, celui-ci avait à faire face à toute la mauvaise conscience des intellectuels et des artistes suisses par rapport au passé. Et ils avaient en grande partie raison – les reconnaissances historiques type rapport Bergier ont montré que ce travail de mémoire était nécessaire. Je constate qu’il y a moins, dans la jeune génération, de crispation identitaire.»

Sur l’article de Daniel de Roulet, Jacques Pilet a son point de vue: «Le propos de Daniel de Roulet est en partie fondé. Mais je pense qu’il y a aujourd’hui encore de nombreux artistes, de nombreux penseurs qui seraient prêts à débattre de toutes sortes de thèmes, en France, avec des partenaires français ou d’ailleurs, sur des chemins qui sont à cheval entre des thèmes de société et des thèmes culturels.»

Malgré tout, Daniel de Roulet regrette aussi la dissolution du débat au CCSP: «On y perd. Mais je pense que ce n’est pas la faute de Michel Ritter, plutôt celle de la politique que mène Pro Helvetia, à qui l’on donne très peu de crédits».

La politique culturelle nationale en cause

Une question de moyens, vraiment? Chaque directeur a imprimé une profonde marque personnelle au Centre, Michel Ritter comme ses prédécesseurs. «Oui, parce que je crois que Pro Helvetia n’a jamais eu une idée très claire de l’usage qu’on pouvait faire de ces antennes à l’étranger. Alors à chaque fois, dans chaque pays, avec chaque directeur, ces antennes ont pris un cours qui leur était propre», explique Jacques Pilet.

Qui ajoute: «Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas une conception plus cohérente de la présence suisse à l’étranger. Pro Helvetia est très accaparé par ses problèmes de fonctionnement interne. J’ai l’impression qu’on parle beaucoup d’organisation, de structure, de finance, mais assez peu de définition des contenus».

Grand absent des cérémonies du 20ème, le directeur ‘historique’ de Poussepin, Daniel Jeannet, a décliné l’invitation. «Le Centre culturel, je n’y vais plus, sinon à la bibliothèque, pour mes travaux personnels. Ce que j’observe de loin, et ce n’est pas mon successeur qui est dans mon champ de mire, c’est plutôt l’action culturelle de Pro Helvetia, et la stratégie de présence culturelle suisse à l’étranger telle qu’elle se développe aujourd’hui».

C’est bel et bien un problème structurel qu’entrevoit Daniel Jeannet. «Une politique de repli est à craindre: sous le couvert d’une plus grande indépendance donnée au CCSP par Pro Helvetia, j’ai peur que, petit à petit, le travail de 20 ans, la mise en réseau colossale réalisée par les équipes successives, que tout cela se dilue.»

Et Daniel Jeannet de rappeler les trois fonctions du Centre: «D’abord être un forum. Mais aussi une agence artistique pouvant alimenter les festivals, les théâtres, les éditeurs en France. Enfin, une vitrine des valeurs artistiques et culturelles helvétiques et un ban d’essai pour la création. Pro Helvetia n’a pas pris en compte ces objectifs que le Conseil de Fondation avait lui-même définis, et ne les a pas remplacés par quelque chose de très clair».

Souhait d’une politique globale cohérente contre pari individualiste. «Chaque lieu se construit grâce à des personnalités, et il faut que ces personnalités agissent en étant le plus proche de leur sensibilité pour que les programmations soient cohérentes», relève Michel Ritter.

swissinfo, Bernard Léchot à Paris

Le CCS Paris fête ses 20 ans en trois soirées, les 15,16 et 17 décembre à 20h00. Chaque soirée est conçue comme un spectacle-fête intégrant des interventions d’artistes.
Centre culturel suisse de Paris, 32-38 rue des Francs-Bourgeois, Paris 3ème.

1982-1984: A la suite d’une récolte de fonds et de signatures organisée par L’Hebdo, le Conseil fédéral, donne son accord à Pro Helvetia pour l’achat de l’Hôtel Poussepin.

1985: Inauguration du Centre culturel suisse à Paris (CCSP). Daniel Jeannet fait partie de l’équipe fondatrice.

1986: Otto Ceresa, vice-directeur de Pro Helvetia, dirige provisoirement le centre.

1988: L’ex-directeur artistique du Theater Basel, Werner Düggelin, reprend la direction.

1992: Le dramaturge et journaliste Daniel Jeannet devient le nouveau directeur.

2002: Michel Ritter, fondateur de Fri-Art à Fribourg, lui succède.

2003: Opposé à la politique de Michel Ritter, le personnel en place est licencié.

2004: Le travail de l’artiste Thomas Hirschhorn suscite la colère du parlement. Il aura pour conséquence une coupe de 1 million de francs dans le budget 2005 de Pro Helvetia.

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