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Révolutions, la prémonition des cinéastes arabes

Une image tirée de «Grenades et myrrhe», film germano-palestinien de Najwa Najjar. SP

Du 11 au 17 avril se tient la 6e édition du Festival international du film oriental de Genève. Cette manifestation qui croise les cultures et les regards s’inscrit cette année dans un contexte politique bouleversant. Entretien avec Tahar Houchi, directeur du festival.

Ce contenu a été publié le 10 avril 2011 - 06:00
Ghania Adamo, Genève, swissinfo.ch

Climat chaud pour cette 6e édition du FIFOG (Festival international du film oriental de Genève) dont la programmation fut dévoilée le 5 avril par une journée ensoleillée. A la température estivale répondait l’effervescence d’une salle  agitée par des questionnements sur les événements au  Moyen-Orient et au Maghreb.

Le mot «révolution» était sur toutes les lèvres. On en parla et on ne parla que de cela. Pourtant le festival n’est pas réservé aux seules cinématographies arabes. Mais l’actualité a éclipsé le reste de l’affiche occupée par des réalisateurs turcs, iraniens, bengalis… et aussi par des cinéastes orientaux installés en Occident ou occidentaux établis en Orient.

Si certains films jouent sur l’ouverture, instaurant un dialogue entre les peuples, d’autres éclairent les consciences au sein de leur propre communauté, annonçant les soulèvements à venir. Pour en parler, voici Tahar Houchi.

 

swissinfo.ch: En fonction de quels critères avez-vous établi le programme de l’édition 2011 ?

Tahar Houchi: Nous fixons des axes de travail longtemps à l’avance. Nous avons donc décidé pour cette 6e édition de nous concentrer sur les minorités linguistiques et religieuses en Orient, sachant que celles-ci sont en général les premières à revendiquer davantage de démocratie et à inspirer les révolutions.

Je parle notamment des pays arabes dont certains leaders, aujourd’hui disparus ou chassés du pouvoir, ont pu, un temps, rassembler leurs peuples derrière la seule bannière de l’Islam et de l’«arabité», ignorant le multiculturalisme de leurs sociétés. Or les temps ont changé. Ces peuples, qui se composent également de chrétiens, de berbères, de kurdes, de juifs,  parlent aujourd’hui. Et  leurs paroles, nous avons voulu les laisser entendre dans les films que nous programmons.

 

swissinfo.ch: Bon nombre de ces films ont été tournés il y a plusieurs années. Peut-on dire que leurs auteurs annonçaient déjà les révolutions arabes?

T.H.: Oui, absolument.

swissinfo.ch: Ils se sont donc montrés prophétiques comme vous. Au moment où vous avez conçu cette édition vous ne saviez pas ce qui allait se produire au Moyen-Orient…

T.H.: Bien sûr que je ne le savais pas, sinon j’aurais fait beaucoup d’argent, vous pensez bien! Mais bon, ce qui compte ce n’est pas moi, mais les cinéastes à l’affiche, qui font preuve d’une lucidité effrayante. Hélas, personne ne sait écouter les artistes!

Je pense ici à l’Egyptien Youssef Chahine dont le film «Le Chaos», à l’affiche du festival, est passé totalement inaperçu lors de sa sortie en  Europe, en 2007. Entre les images de Chahine et celles de la place Tahrir, vues dans le monde entier, il n’y a presque pas de différence. Dans le film comme dans  la réalité, vous avez des jeunes qui se battent contre un pouvoir policier corrompu jusqu’à l’os. «Le Chaos» portait en lui les germes d’une révolution à venir.

Idem pour «Cinecitta», du Tunisien Ibrahim Letaief que nous programmons également. Le film raconte le braquage d’une banque par de jeunes cinéastes à qui le pouvoir refuse les subventions. Là aussi c’est une jeunesse en effervescence face à un système vieillissant et moribond. Le film est l’allégorie d’un Etat miné par sa cécité.

 

swissinfo.ch: Vous consacrez cette année une section au Liban. Pourquoi ce choix précisément?

T.H.: Chaque année nous braquons les projecteurs sur un pays. Or le Liban cadre très bien avec la thématique de cette 6e édition. C’est justement un pays «mosaïque» où cohabitent plusieurs religions et plusieurs cultures, parfois dans la violence il est vrai, mais tout de même dans un esprit démocratique puisque toutes les minorités y sont reconnues. C’est le seul pays arabe doté d’une Constitution confessionnelle: le président de la République est maronite, le Premier ministre est sunnite et le chef du Parlement, chiite. Je trouve que les Libanais mènent bien le jeu démocratique, avec un équilibrage des intérêts  et des sensibilités assez juste qui se reflète chez les cinéastes.

 

swissinfo.ch: Un exemple?

 

T.H.: Nous projetons une série de courts métrages sur la jeunesse branchée de Beyrouth. C’est une jeunesse qui réfléchit sur notre époque et sur la mondialisation. Un cinéma-vérité en quelque sorte. A l’opposé, une autre série de films met en scène des quadras restés dans la problématique de la guerre civile. C’est un cinéma «remue-mémoire», si je puis dire, dont le meilleur exemple est «Chou Sar?», un documentaire signé De Gaulle Eid, dans lequel l’auteur revient sur son passé et s’interroge sur le meurtre de ses parents.

swissinfo.ch: Ce festival, c’est aussi le regard de l’Occident sur l’Orient. Vu de Suisse, le monde oriental c’est quoi?

T.H.: Nous parlions du Liban, restons-y encore un instant avec cette comédie libano-suisse  intitulée «Yanoosak» et réalisée par Elie Khalifé et Alexandre Monnier. C’est l’histoire d’un Alémanique qui décide un jour de s’installer à Beyrouth et d’y monter sa petite entreprise.  Le film retrace un parcours, avec ses embûches, mais croise également les regards et les cultures.

Même «croisement» dans « Tamurt Idurar », un documentaire de l’Algérien Rabah Bouberras, tourné à Verbier. Ici, la perspective s’inverse néanmoins, avec un regard oriental sur l’Occident. Verbier y est vu non pas comme une station touristique mais comme une montagne cachant dans ses flancs la poésie d’un pays et, par-delà, son identité.

 

swissinfo.ch: Plusieurs films sont projetés à Lausanne et en France voisine. Pourtant, le festival se dit genevois

T.H.: Oui, mais cela ne sous empêche pas d’abattre  les cloisons. Nous n’aimons pas les frontières, ça va dans le sens de notre thématique.

6ème fifog

80 films. La 6e édition du Festival international du film oriental de Genève  propose, du 11 au 17 avril, 80 films projetés à Genève, à Lausanne et en France voisine.

Diversité. Le festival explore les sociétés orientales dans leur diversité et interroge les rapports entre Orient et Occident.

 

Fictions. Dans le domaine de la fiction, les longs métrages parlent surtout de jeunesse, d’amour, et de besoin de liberté.

 

Courts. Quant aux courts métrages, ils aident à comprendre les différentes sociétés qui composent des pays comme le Liban, l’Egypte, ou la Tunisie. Dans cette catégorie, un des films à l’affiche est destiné aux enfants.

 

Docus. Les documentaires ne sont pas en reste. Dédiés aux minorités chrétiennes, juives, berbères, kurdes… ils traitent de sujets sensibles : la religion, les femmes.

 

Guantanamo. A noter que l’édition 2011 propose un colloque sur le camp de Guantanamo, qui se tiendra le 13 avril à L’Institut de Hautes Etudes Internationales, à Genève.

 

Révolutions. Un débat sur les révolutions arabes est également prévu le 17 avril aux cinémas Grütli, à Genève. Dans ce même lieu est présentée également une exposition collective intitulée «Dialogue». 

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