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Rolf Kesselring: la patate!

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«Cartes postales» de créateurs suisses expatriés... Rolf Kesselring, écrivain, ancien éditeur, nous adresse son courrier de la région de Nîmes.

Il y a des jours où l’on s’ennuie. Quelquefois, même, on se laisse prendre par le mal du pays. Pour combattre le spleen traître, chacun a sa solution. Certains boivent pour oublier, d’autres marchent ou travaillent pour ne pas penser, moi je fais la cuisine.

C’est ainsi que l’autre jour, une crise de nostalgie me prit en traître. Cela commença le matin lorsque j’ouvris la porte de la maison de pierre et que je fis quelques pas dans le jardin.

La température avait chuté vertigineusement durant la nuit. Les acacias et les mûriers et la touffe de genêts qui déborde de la murette de pierres sèches étaient au garde-à-vous. Figés. Blanchis de givre. Sans doute surpris par tant de froidure inhabituelle.

Cela sent la Suisse

Même mon copain, le grand chêne qui monte la garde à l’entrée de la vallée de la Cèze (La Venoge du coin), était vêtu de dentelle cristalline. J’ai humé cet air vif: «cela sent l’hiver, cela sent Suisse!», me suis-je dit.

Au cours de la matinée, j’ai employé mon couteau suisse. Sur le manche rouge se détachait la petite croix blanche. Plus tard, je suis tombé sur un des nombreux manuscrits que je commence et ne finis jamais.

C’était une histoire où Guillaume Tell réapparaissait, à notre époque, à la gare de Lausanne. Il descendait d’un train fantôme qui arrivait tout droit de Flüelen à des heures où plus aucun train n’entre en gare. Je perdis deux heures à me relire, légèrement ému. Ensuite, du courrier arriva de là-bas. Il me disait des affections helvétiques…

Crics (ou criques?) contre rösti

Ce qui devait arriver arriva… À la nuit tombée, alors que le soleil s’était glissé derrière les Cévennes, j’étais mûr pour une crise de cafard mahousse. Afin réagir, je décidai de me confectionner une gigantesque poêlée de rösti.

J’étais à table, admirant le chef-d’œuvre rissolé posé devant moi: «Ah, les rösti c’est vraiment la Suisse, ça!»… «Que non pas, mon pote», fit une voix caillouteuse derrière moi, « c’est tout ardéchois, ça, et cela s’appelle le cric (ou crique?)».

Des amis venaient de surgir et réclamaient une paternité méridionale pour mes rösti. Le coup était dur. Sans gêne, ils s’installèrent et m’expliquèrent que ce que j’avais cuisiné n’était autre qu’une spécialité traditionnelle ardéchoise et que cela n’avait rien d’exclusivement helvétique.

Légèrement meurtri par leurs assertions assassines, je les ai regardés faire honneur aux crics (ou criques?). La discussion allait bon train. Le vin des coteaux d’Ardèche aidant, j’avais repris du tonus, oublié ma crise de nostalgie, bref, j’avais à nouveau la patate!

Rolf Kesselring

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