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La réinsertion sociale passe par la carotte et le bâton

Un jour de prison coûte une énorme somme d'argent. Keystone

La révélation d’un luxueux programme de réinsertion offert à Carlos, jeune délinquant violent, a déclenché une vague d'indignation dans le public et le monde politique suisses. Et pourtant, si décrié soit-il, ce genre de traitement semble produire de bons résultats à terme, pour les individus et pour la société.

Que faire des adolescents violents? Faut-il les punir? Les réhabiliter? Un peu des deux? En Suisse, la priorité officielle est «de protéger et d’éduquer» les jeunes délinquants. «Dans notre système, on mise fortement sur la réadaptation et la réinsertion», explique Allan Guggenbühl, psychologue et fondateur de l’Institut pour le management des conflits IKM.

«En comparaison avec des pays comme les États-Unis, on met davantage l’accent sur la réinsertion de l’adolescent», ajoute-t-il, avant de préciser que le pourcentage des jeunes condamnés qui ne commettent qu’un seul délit est «très élevé» en Suisse.

«Certains programmes comportent des sessions régulières de gestion de la colère. Dans d’autres, les délinquants juvéniles font des sorties à la campagne, en montagne. Ils faisaient même des séjours à l’étranger, mais ce n’est plus le cas désormais. D’autres programmes les font travailler.»

On considère que l’éducation est plus importante que la punition, mais Allan Guggenbühl ajoute que très peu de jeunes délinquants suivent une filière universitaire, parce qu’ils ont généralement été des élèves peu performants à l’école. «Le but principal est d’obtenir une forme de formation professionnelle.»

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Réhabilitation cinq étoiles pour un jeune délinquant

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Faible taux de récidive

L’année dernière, 11’883 individus de 10 à 18 ans ont été reconnus coupables de délits divers, contre 14’464 en 2010. Parmi ceux-ci, 80% étaient de sexe masculin et 68% étaient suisses.

Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), le taux de récidive dans les trois ans d’une condamnation précédente a oscillé pendant des années autour de 35%. En Grande-Bretagne, la statistique des récidives pour 2011/2012 atteint 73% durant la première année après la sortie de détention.

Cela revient-il à dire que le système suisse fonctionne? «En général, oui, parce que le taux des délinquants juvéniles qui doivent être emprisonnés est inférieur à celui de la Grande-Bretagne ou des autres pays de l’UE. Le nombre de délits est aussi plus bas. Donc le système marche pour beaucoup de jeunes», répond Allan Guggenbühl.

Les jeunes font l’objet de mesures éducatives.

Depuis le 1er janvier 2011, la procédure pénale applicable aux mineurs est uniforme en Suisse.

La majorité pénale est fixée à 10 ans.

La loi sur la protection des mineurs préconise deux types de sanction:

Mesures de protection: surveillance et assistance personnelle, raitement ambulatoire, placement dans une famille ou une institution.

Peines: réprimande, prestation personnelle (maximum 10 jours, mais trois mois pour les 15-18 ans); amende jusqu’à 2000 francs, détention jusqu’à un an pour les 15-18 ans; ou jusqu’à 4 ans pour crimes graves pour les 16-18 ans.

Sur 635 jeunes enregistrés dans le système 556 ont été placés en institution et 14 en détention.

(Source: ch.ch)

De grands défis

Cependant, ce système présente des défis de taille, notamment le choix de la forme de placement qui convient le mieux à chaque jeune délinquant, le manque de coordination entre les cantons, une régulation plutôt maigre (la plupart des institutions sont privées) et les coûts élevés, politiquement difficiles à défendre face à un public sceptique.

«Nous essayons toujours de trouver la meilleure solution, mais les institutions ne sont pas toujours faciles à convaincre, indique Beat Burkhardt, président du tribunal des mineurs de Bâle. Si nous leur amenons une jeune personne qui a des problèmes de comportement et qu’on mentionne les différents endroits déjà testés, beaucoup disent non.»

Pour Christian Perler, responsable de l’unique unité de psychiatrie forensique juvénile, créée à Bâle en 2011, le plus difficile est de trouver le juste milieu entre discipline et flexibilité.

Une facture «scandaleuse»

Mais ce qui provoque le plus de gros titres, c’est la facture. Carlos a coûté 29’300 francs par mois au contribuable, dont 1000 d’argent de poche et des leçons quotidiennes de boxe thaïe. Ce qui a été interprété par beaucoup de gens et de commentateurs comme profondément injuste et comme le signe que, en réalité, le crime paie. Le programme a été interrompu et Carlos est retourné en prison.

Mais même les programmes les plus modestes ne sont pas bon marché. Marcel Riesen, procureur général des mineurs du canton de Zurich, estime le coût moyen d’une personne en détention fermée à 20’000 francs par mois. Un séjour dans l’unité de Christian Perler à Bâle, qui offre une thérapie intensive pour dix délinquants, souvent rejetés par toutes les autres institutions, coûte 1450 francs par jour.

Allan Guggenbühl admet que c’est «un peu un problème» que de convaincre les contribuables de l’efficacité de ce genre de programme. «La somme dépensée pour Carlos était scandaleuse. Mais absolument exceptionnelle. J’ai affaire à beaucoup de programmes et ils coûtent beaucoup, beaucoup moins cher. La majorité des tribunaux pour mineurs ne permettrait jamais des leçons de boxe, c’est absurde. J’ai eu moi-même plusieurs jeunes qui voulaient payer des leçons de leur poche, mais ils n’y ont pas été autorisés. Ce qui s’est passé avec Carlos dépasse complètement les bornes.»

Hansueli Gürber, procureur des mineurs de la ville de Zurich, qui aurait reçu des menaces de mort à la suite de l’affaire Carlos, a réduit son temps de travail suite à des problèmes cardiaques. Néanmoins, il reste convaincu que le programme de Carlos a été un succès. «Nous avons réussi à lui faire passer vingt-quatre mois sans récidive, alors qu’il avait commis 34 délits en cinq ans. Cette méthode aurait marché», a-t-il maintenu.

Un investissement

Tandis qu’Allan Guggenbühl critique l’énormité des sommes versées dans le cas de Carlos, il estime pourtant que ces programmes sont en principe un bon investissement, à court et à long terme. «D’abord ils permettent d’économiser de l’argent parce que les délinquants ne sont pas en prison. Car un jour de prison coûte une fortune. Par exemple, l’Etat américain de Californie est en train de réaliser qu’il ne peut plus payer pour tous les jeunes qu’il a incarcérés.»

Quant au long terme, «ce que nous devons empêcher, c’est que ces jeunes se socialisent à travers des activités criminelles. Il faut trouver le moyen de les remettre sur la bonne voie d’une façon ou d’une autre, c’est-à-dire qu’ils trouvent un travail, un revenu régulier et une place dans la société».

(Adaptation de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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