La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935

Genève dispose d’une Université populaire africaine

Kanyana Mutombo, directeur de la première Université populaire africaine d'Europe swissinfo.ch

Les jeunes Africains de Suisse ont besoin d'aide pour redécouvrir leurs racines. C'est ce qu'explique Kanyana Mutombo le directeur de la nouvelle Université populaire africaine créée à Genève. Interview

L’Université populaire africaine de Genève est la première du genre en Europe. Elle vise l’enseignement de l’histoire et de la culture africaines tout en proposant des conseils et un soutien juridique aux nouveaux immigrants, pour les aider à s’adapter à la vie suisse.

Financée par le canton et les communes de Genève, de même que par la Confédération, l’université a ouvert ses portes le 20 février. Elle est aussi le fruit du travail de l’association Regards Africains et de son magazine, co-fondés par Kanyana Mutombo en 1986. La nouvelle université est aussi une petite sœur de l’Université populaire albanaise de Genève.

swissinfo: Pourquoi créer un centre de formation africain à Genève?

Kanyana Mutombo: La mission de l’Université sera de servir de lieu de rencontre pour les communautés africaines et les autres communautés, y compris suisses.

Les premiers Africains qui sont venus en Suisse étaient des jeunes gens venus pour étudier. Ils obtenaient leur diplôme puis repartaient. Aujourd’hui en revanche, de nombreux Africains restent et ils sont plus âgés. Ils vivent ici sans encadrement susceptible de les aider.

Il y a pourtant beaucoup d’Africains talentueux et très qualifiés, même surqualifiés. Ces talents ne sont pas exploités. L’Université populaire peut les mettre à contribution. Mais il y a aussi des besoins, surtout parmi les jeunes et les adultes.

swissinfo: Quels sont ces besoins?

K.M.: Les jeunes de familles africaines acquièrent une bonne éducation dans les écoles suisses mais ils ne savent rien de leur continent d’origine. Leurs parents ont émigré très jeunes et ne savent peut-être eux-mêmes pas grand-chose de l’Afrique. Ils n’ont pas transmis leur culture et leurs connaissances à leurs enfants.

Leurs enfants sont un peu perdus. Nous voulons leur offrir l’opportunité de redécouvrir leur identité africaine.

swissinfo: Quels genres de cours propose votre école?

K.M.: Pour la première fois, cette Université concernera presque toutes les branches, toutes les nationalités et presque tous les groupes ethniques.

Notre approche vise l’intégration en mettent les gens en contact les uns avec les autres. Nous insistons sur la co-intégration. Beaucoup de gens pensent qu’ils connaissent l’Afrique et les Africains mais c’est souvent via des clichés ou des préjugés, plus que par des faits. C’est pourquoi nous voulons mettre en place des séminaires et des rencontres entre Africains, Suisses et personnes d’autres nationalités, pour mieux connaître l’Afrique et ses habitants.

Pour les jeunes Africains, qui ne connaissent bien souvent que ces clichés, il y aura des cours sur l’identité et l’histoire positive de l’Afrique. Plutôt que des cours académiques, nous enseignerons l’histoire grâce aux expériences des aînés.

Les jeunes se plaignent parce qu’ils ne trouvent pas de logement ou de travail. En sollicitant les plus anciens, nous apprendrons comment ils s’y sont pris.

swissinfo: Quelle a été votre propre expérience en Suisse?

K.M.: Je suis venu du Congo à Genève en 1975 pour faire un diplôme postgrade en relations internationales. A l’époque, les noirs n’avaient pas tellement de problèmes en Suisse, les relations étaient plus tendues avec les Italiens et les Espagnols.

La question de l’intégration ne m’a jamais tellement posé de problème, comme c’est le cas pour beaucoup d’Africains. J’étais intégré avant d’arriver en Suisse! Je parlais le français et, à l’école, j’avais surtout appris l’histoire européenne. Pour moi, c’était comme aller d’une région africaine à une autre.


La question portait davantage sur mon acceptation par les Suisses. Au début, ce n’était pas le cas, mais le problème a pris de l’importance au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux immigrants et de la montée de sentiments racistes.

swissinfo: Comment percevez-vous le racisme en Suisse?

K.M.: Un Africain peut bien oublier ses origines et parler un dialecte suisse mais tant qu’il ne changera pas la couleur de sa peau il ne sera pas complètement intégré. Je ne suis pas accepté à cause de cette différence.

Le racisme augmente en Suisse car il n’y a pas de mécanisme adéquat [pour lutter contre ce phénomène]. Les gens agressés ne représentent aucun intérêt électoral pour les politiciens. Le Code pénal sanctionne bel et bien le racisme, mais seulement les propos proférés en public. Le Parquet doit déposer plainte, mais personne ne peut le contraindre à mener l’enquête.

Ceux qui subissent des propos racistes en cherchant un appartement ou un travail n’ont nulle part pour déposer plainte. Ils n’ont de toute façon pas assez d’argent pour un avocat ou laissent tomber. Il y a quantité d’affaires de ce genre et leur impunité permet au racisme de se développer. Les victimes n’ont pas les moyens de se battre et la structure légale et judiciaire est insuffisante.

Mais malgré cela, il y a aussi beaucoup de signes positifs. Les Africains qui prennent part à la vie politique en Suisse sont de plus en plus nombreux et on commence à les reconnaître. Ricardo Lumengo [un ancien requérant d’asile d’Angola devenu en 2007 le premier député noir au Parlement fédéral] a été élu au moment même où la droite nationaliste conservatrice obtenait un score record dans les urnes.

C’est encourageant. Car Lumengo n’est pas le seul. De plus en plus d’Africains bénéficient de l’«effet Obama». Je pense que le phénomène va se maintenir.

swissinfo: Vous avez désormais vécu plus longtemps en Suisse qu’au Congo. Vous sentez-vous plus suisse que congolais?

K.M.: Je suis sûrement devenu un peu suisse, mais je ne le remarque que quand je suis à l’étranger. Ce sont des clichés… Par exemple, je n’aime pas quand les choses ne fonctionnent pas comme il faut et j’aime la propreté. Ce qui ne veut pas dire que ces éléments n’existent pas en Afrique!

J’apprécie aussi certaines valeurs suisses, comme le consensus, qui est aussi important en Afrique, et la diversité culturelle.

Peut-être la création de cette Université contribuera à renforcer les liens entre Suisses et Africains, car nous partageons de nombreuses valeurs.

Interview swissinfo: Simon Bradley, Genève
(Traduction de l’anglais : Ariane Gigon)

Quelque 144’000 étrangers se sont installés en Suisse en 2007, soit 45% de plus qu’en 2005.

Trois. Les 3 cantons comptant le plus d’étrangers avec titre de séjour de longue durée sont Zurich (299’842), Vaud (195’071) et Genève (163’951).

Durée. Les trois cantons comptant la plus forte proportion d’étrangers avec titre de séjour de longue durée sont Bâle-Ville (33,3%), Schaffhouse (31,6%) et Bâle-Campagne (29,9%).

Origine. Selon l’Office fédéral des migrations, seuls 3% des étrangers avec titre de séjour de longue durée en Suisse sont d’origine africaine (état fin août 2008).

Couleur. Les élus noirs sont très rares en Suisse. Le Parlement fédéral en compte un seul, Ricardo Lumengo, élu en 2007. Carl-Alex Ridoré, né en Haïti, est en outre préfet du district fribourgeois de la Sarine depuis juillet 2008.

Cantons. Nathalie Fellrath, née en Suisse d’une mère du Gabon, siège au Parlement cantonal neuchâtelois et Rupan Sivaganesan, du Sri Lanka, s’est fait un nom comme politicien dans le canton de Zoug.

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision