La fondue, un plat national… fruit du marketing
La fondue au fromage est considérée comme l'un des plats nationaux par excellence en Suisse. Mais tout le monde ne sait pas que jusqu'à il y a quelques décennies, il était pratiquement inconnu dans la plus grande partie du pays.
Dissipons d’emblée tout malentendu: non, la fondue au fromage n’était pas le plat typique des Helvètes. Nous n’en voulons pas à René Goscinny et Albert Uderzo. D’ailleurs les coucous non plus n’ont pas grand-chose à voir avec la Suisse. Mais c’est une autre histoire.
Précisons également que quiconque perd un morceau de pain dans le «caquelon» – le récipient spécial dans lequel le fromage est fondu avec du vin – n’est pas jeté dans le lac, comme le malheureux personnage de la bande dessinée Astérix chez les Helvètes. Cette personne risque tout au plus un petit gage.
La fondue n’était donc pas le plat typique des Helvètes, avons-nous dit. Ni, plus largement, des Suisses jusqu’à il y a quelques décennies. Pour parler franchement, la fondue était pratiquement inconnue dans la plupart des régions helvétiques jusqu’au milieu du XXe siècle.
«Si son origine remonte aux environs de 1699 et que sa mention dans les livres de cuisine remonte au 18e siècle, il faut attendre le 20e siècle pour que l’équipement nécessaire fasse son apparition dans la plupart des foyers», peut-on lire sur le portailLien externe dédié aux traditions vivantes en Suisse. Une origine, d’ailleurs, qui n’est pas 100% suisse: en Savoie (France) et dans le Val d’Aoste (Italie), la fondue est aussi un plat typique.
Le succès de cette recette – et son accession à l’Olympe de la gastronomie suisse – est principalement dû à une opération marketing de l’Union syndicale suisse du fromageLien externe (USCF).
Le lait et le fromage, rappelle l’historien Peter Moser dans un articleLien externe publié sur le site du Musée national, étaient réservés aux classes supérieures jusqu’au début du XXe siècle.
Ce n’est qu’entre les deux guerres que leur consommation commence à se généraliser. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, pour tenter de stimuler les ventes de fromages – et en particulier celles de gruyère et de vacherin, les plus utilisés pour la fondue – l’USCF lance une campagne qui va connaître un succès phénoménal.
«La Fondue, c’est bon et ça met de bonne humeur» ou dans sa version suisse allemande – même connue sous l’acronyme FIGUGEGL – «Fondue isch guet und giet e gueti Luune». Grâce à ce slogan qui est entré dans l’histoire, ce qui n’était jusqu’alors qu’un plat régional devient le plat suisse par excellence.
Sur le blog du Musée national, Peter Moser écrit: «Le succès rencontré par cette initiative s’explique en grande partie par la facilité de préparation de la fondue et – simple supposition – notamment par le fait que beaucoup d’hommes s’en chargeaient, voyant leur temps libre augmenter. Manger une fondue constituait un événement très convivial, dont la préparation s’est masculinisée, car elle était valorisée socialement.»
L’armée, qui l’a inscrite sur sa liste de recettes dans les années 1950, a également joué un rôle décisif dans la popularisation du plat.
Aujourd’hui, la traditionnelle fondue au fromage se décline sous mille formes: avec des tomates, des champignons, voire des morceaux de jambon ou avec des bières plus ou moins exotiques à la place du vin. Et bien sûr, comme si la pizza hawaïenne ne suffisait pas, on peut aussi trouver de la fondue à l’ananas et au curry sur les menus de certains restaurants. Mais avant que cette dernière version ne devienne un plat national à part entière, un autre énorme effort de marketing sera certainement nécessaire.
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Emilie Ridard
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