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Un nouveau récit du Titanic apparaît après 100 ans

Dans son récit, Anton Kirk déclare que les canots de sauvetage étaient à moitié vides. Keystone

«Un tremblement de terre!» C’est ce qui a traversé l’esprit d’Anton Kink, 29 ans, un Zurichois d’origine autrichienne qui voyageait en 3e classe, lorsque le Titanic a heurté un iceberg dans la nuit fatale du 14 avril 1912. Son récit vient d’être rendu public.

Le choc réveilla Anton Kink juste avant minuit; lorsqu’il sortit de sa cabine pour voir ce qui se passait, il vit des hommes jouer au football avec des morceaux de glace qui était tombés sur le pont.

«Ils ont dit que notre bateau avait touché un iceberg, mais qu’il n’y avait aucun danger. Que je pouvais me calmer et retourner dans ma cabine.» De nombreuses personnes ne cessaient de répéter que le Titanic était insubmersible.

Anton Kink, son épouse et leur fille de quatre ans ont survécu au désastre. Leur récit n’était cependant pas connu. Son compte-rendu, une lettre de 20 pages envoyées deux semaines après le drame, depuis le Milwaukee, à l’agence de voyage de Bâle qui avait vendu les billets à la petite famille, vient d’être retrouvé.

La découverte, dans les archives de l’agence de voyage, est due à Günter Bäbler, un expert suisse du Titanic. De larges extraits en ont été publiés dans le journal dominical SonntagsZeitung.

Anton Kink écrivait pour obtenir un dédommagement. A la fin de sa missive, il demande à l’agence de «bien vouloir lui faire savoir s’il est possible d’obtenir quelque chose de la White Star [la compagnie exploitant le Titanic], ce qui se passe avec l’assurance des bagages et aussi ce qu’il en est de l’héritage de mon frère et de ma sœur.» Le journal ne dit pas si le Zurichois a obtenu satisfaction.

Etonnement de sa petite-fille

«Je n’en revenais pas», explique à swissinfo.ch la petite-fille d’Anton Kink, Joan Randall, pour décrire sa réaction lorsqu’elle a appris l’existence de cette lettre. Vivant aujourd’hui en Californie, elle ajoute qu’elle a connu sa grand-mère, mais pas son grand-père.

Le couple Kink s’était séparé en 1919 et Anton était retourné en Autriche, son pays d’origine lorsque sa mère avait 11 ans. Il s’était remarié et avait émigré au Brésil avec sa nouvelle famille.

Anton Kink est resté en contact avec sa fille, la mère de Joan Randall, jusque vers 1930. La correspondance s’est ensuite arrêtée. Mais sa petite-fille sait qu’il est mort en 1959, à Graz, sa ville d’origine.

Joan Randall ne sait pas quels métiers son grand-père a exercés. Il semble être passé de l’un à l’autre. Lorsqu’il avait déménagé à Zurich, alors qu’il avait entre 20 et 30 ans, il avait d’abord travaillé comme magasinier.

Sa grand-mère, Luise, n’était pas aussi agitée. Née près de Stuttgart en Allemagne, elle a émigré en Suisse pour ne pas participer à la guerre du «Kaiser», l’empereur allemand.

«Après la naissance de ma mère, ils ont décidé d’émigrer aux Etats-Unis, raconte Randall. C’était une histoire typique de l’époque: un oncle de mon grand-père vivait à Milwaukee, dans le Wisconsin, et ils décidèrent de le rejoindre.»

Les Kink avaient décidé de faire le voyage sur le Titanic avec le frère d’Anton, Vinzenz, sa sœur Maria et un ami, Albert Wirz, un paysan d’Uster (ZH). Ces trois derniers n’ont pas survécu.

Deux heures d’errance

Les femmes et les hommes avaient des cabines séparées. Lorsque la collision a eu lieu, Anton a couru avertir les femmes puis est retourné chercher ses affaires dans sa cabine. Selon son récit, lui et sa famille ont erré pendant deux heures avant de réussir à trouver des passages dans le bateau pour se frayer un chemin vers le pont supérieur où les canots de sauvetage – en nombre très insuffisant – étaient arrimés.

«Je vous aurais été si reconnaissant si vous aviez pu me dire que mon frère et que ma sœur avaient été sauvés… C’est tellement triste de mourir d’une manière si tragique». C’est ainsi qu’Anton Kink commençait sa lettre.

Rugissement et tonnerre

Anton, Luise et leur fille, également prénommée Luise, ont été la seule famille des passagers de 3e classe à survivre. Ils ont pu monter dans l’avant-dernier canot de sauvetage, mais seulement parce qu’Anton a sauté dedans au moment où il s’éloignait.

«Un marin a pressé son poing sur ma poitrine et m’a dit de rester à l’arrière. Je n’ai pas résisté à son injonction; mais j’ai sauté lorsqu’il n’a plus regardé, écrit Anton Kink dans sa lettre. «Ils auraient pu sauver beaucoup plus de monde», ajoute-t-il, affirmant que le canot, qui aurait pu accueillir 40 personnes, n’en comptait que 17.

«J’ai entendu les cris de 2000 personnes et le rugissement de l’air venant de l’intérieur du bateau lorsque celui-ci s’enfonça dans l’océan, avec un bruit effrayant, comme le tonnerre, qui a peu à peu mis un terme aux cris.»

Une nuit si belle…

Le contraste n’aurait pu être plus grand avec la scène qui a suivi. «La nuit était magnifique. Pas de brouillard, les étoiles brillaient, la mer était calme. C’était comme sur le lac de Zurich.»

Comme beaucoup d’autres, les Kink ont été recueillis par le Carpathia, seul navire qui changea sa course après avoir reçu les signaux de détresse du Titanic. Mais les conditions, à bord, étaient loin d’être idéales pour les survivants.

«Nous étions servis comme des cochons, raconte Anton Kink dans sa lettre, et nous étions dégoûtés par la nourriture. Nous comptions les heures jusqu’à New York. Le dernier soir, les serveurs ont commencé à se battre et nous avons dû fuir pour ne pas recevoir une assiette sur la tête.»

Les Kink ont eu beaucoup de chance. Ils comptent parmi les 12 Suisses, sur 27 ayant pris place sur le Titanic, à s’en être sortis. «Ma mère ne s’est jamais souvenue de la fameuse nuit, raconte Joan Randall. Ses premiers souvenirs datent de l’école. Mais elle a longtemps eu de terribles cauchemars.»

Appartenant à la compagnie White Star Line, le Titanic effectuait sa traversée inaugurale lorsqu’il heurta un iceberg par tribord à 23h40, le 14 avril 1912.

La collision se produisit à environ 375 miles au sud-est de Terre-Neuve.

Le Titanic s’est enfoncé pendant plus de deux heures et demie, finissant par couler à une profondeur de près de 4000 mètres.

Un peu plus de 2200 personnes, dont 885 membres d’équipage, se trouvaient à bord, bien moins que le nombre total de places à disposition. Entre 1490 et 1520 passagers ont péri. Un tiers environ a survécu.

Le Titanic ne disposait de canots de sauvetage que pour environ la moitié des passagers. Pourtant, la plupart d’entre eux ont quitté le lieu de la catastrophe sans être pleins.

Etant donné la règle «les femmes et les enfants d’abord», un nombre proportionnellement plus élevé d’hommes ont péri. Seuls 20% d’entre eux ont survécu, contre 75% des femmes. La moitié des enfants ont été sauvés. 61% des passagers de 1e classe en ont réchappé, contre 24% de ceux de la 3e classe.

De nombreuses personnes sont mortes d’hypothermie en attendant les secours.

Les survivants ont été recueillis par le paquebot Carpathia, qui se trouvait à 4 heures de navigation lorsque les appels de détresse du Titanic ont été envoyés.

L’épave du Titanic a été repérée en 1985; depuis, de nombreux objets ont été ramenés à la surface.

Vingt-sept Suisses ou ayant des liens avec la Suisse étaient montés à bord du Titanic. Douze d’entre eux ont survécu.

Sept Suisses avaient été embauchés dans les restaurants de luxe du paquebot. L’un était vice-chef des cuisiniers.

L’épave du Titanic est désormais protégée par l’UNESCO.

«L’épave du Titanic se trouvant dans les eaux internationales, aucun Etat ne peut revendiquer une juridiction exclusive sur le site», a rappelé l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). 

Jusqu’ici, le Titanic ne pouvait bénéficier de la protection de la Convention adoptée par l’Unesco en 2001, celle-ci ne s’appliquant qu’aux vestiges immergés depuis au moins cent ans.

Désormais, les Etats parties à la Convention pourront interdire la destruction, le pillage, la vente et la dispersion des objets trouvés sur le site. Ils peuvent prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour protéger l’épave et faire en sorte que les restes humains soient traités dignement.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Ariane Gigon)

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