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Un Afro-européen n’est pas un Africain

Calixhte Beyala, Noire de France et non pas Noire en France. swissinfo.ch

La très remuante Calixhte Beyala était présente au Salon du Livre de Genève, sur le stand de son éditeur, mais aussi en marge du Salon africain.

Cette Afrique, où elle est née, mais qui ne lui appartient plus. L’un de ses nombreux combats est en effet la reconnaissance de la culture «afro-européenne».

Faites une recherche sur Internet avec le nom de Calixhte Beyala. Vous y trouverez une multitude de références, et surtout, moult forums où ses propos et prises de position sont développés, critiqués, controversés.

Calixhte Beyala, née au Cameroun, vivant en France depuis une trentaine d’années, est une voix qui compte. Elle milite pour la cause des femmes, la Francophonie, les droits des ‘Minorités Visibles’.

Elle fascine et irrite. Même ceux de la communauté noire de France, qui, néanmoins, finissent toujours par l’appeler ‘Maman’, dit-elle. On tire à boulets rouges sur elle à travers le web? «C’est la mise à mort de la mère», répond-elle. «Ils l’ont fait avec Césaire, avec Senghor, ils le font avec moi. Et je le prends finalement avec beaucoup de bonheur: c’est une forme de reconnaissance».

swissinfo: Vous venez au Salon de Genève depuis une quinzaine d’années…

Calixhte Beyala: Ce qui étonne quand on arrive ici, c’est qu’on constate que le peuple helvétique est un peuple ouvert sur l’autre, qui n’a pas à priori d’agressivité à l’encontre de l’autre. Ici, je ne suis pas sur mes gardes, je sais que le regard porté sur moi est un regard humain, et pas un regard porté d’abord sur une femme noire.

swissinfo: Votre point de vue sur la présence à Genève d’un ‘Salon africain’?

C.B.: Très positif ! C’est un salon qui marche bien, il y a énormément de visiteurs, de curieux. C’est une très bonne initiative à encourager. Mais ce que je constate, c’est que la représentation africaine est fortement afro-européenne. Et c’est là l’ambigüité du Salon.

swissinfo: Il est vrai que si l’on est habitué à l’idée d’une culture ‘afro-américaine’, qui s’est exprimée notamment à travers le blues, la soul music, on l’est moins au concept de culture ‘afro-européenne’…

C.B.: La culture des peuples n’est pas quelque chose de génétique. La culture évolue en fonction des lieux, des rencontres. Les identités se transforment. Des Noirs qui vivent en France depuis des décennies – nous en sommes parfois à la 5e ou 6e génération – on ne peut pas dire qu’ils sont des Africains.

Etre africain implique une culture, une manière de voir le monde, un particularisme que les Noirs d’Europe n’ont pas. Un Noir d’Europe ressemble davantage à un Européen – dans sa façon de concevoir le mariage, l’amour, la culture. A quel titre devrait-on rattacher des peuples à des terres parce que ces peuples ont une couleur?

swissinfo: Ainsi un Blanc d’Afrique peut-il se revendiquer africain. Pourtant le racisme anti-blanc existe en Afrique.

C.B.: On ne saurait se battre contre le racisme anti-noir sans se battre contre le racisme anti-blanc. Le racisme, c’est le racisme, quelle que soit la personne qui l’exprime. Il est évident qu’un Blanc qui est né en Afrique, qui y vit depuis des générations, y a plus de droits que Calixhte Beyala, qui vit en France avec ses enfants et qui y sera enterrée. Il partage le même destin que les Africains, et moi je partage le même destin que les Européens.

J’ai rencontré des blancs au Zimbabwe et en Afrique du Sud… Ce sont des Africains! Certains Blancs africains sont plus proches de mes parents que de moi. Aujourd’hui, les humains ressemblent davantage à leur milieu, à leur époque, qu’à leurs parents.

C’est comme ça que je vois l’avenir des peuples et ce n’est que comme ça qu’on parviendra à créer la notion de paix dans le monde. Tant que les humains considéreront que les Blancs sont en Europe, les Noirs en Afrique, les Jaunes en Asie, nous aurons toujours des frictions. La couleur ne doit pas rattacher les peuples à des terres. La terre appartient à ceux qui la travaillent et qui y sont attachés.

swissinfo: C’est cette réflexion (et la crise au Zimbabwe) qui vous ont amené à écrire ‘La Plantation’, où vous vous glissez dans le point de vue des Blancs? Quel accueil a-t-il eu en Afrique?

C.B.: Dans un premier temps, cela a jeté un froid, même auprès de certains Noirs de France. Ils voulaient se cacher derrière une revendication identitaire afro-centriste, pour pouvoir exister. Et ce livre venait leur dire globalement ‘non, vous n’avez pas de revendication afro-centriste à développer, mais bien des revendications afro-européennes! Peu à peu, ils ont adhéré à mon point de vue.

Si je ne peux pas défendre un Blanc malmené, je ne peux pas défendre un Noir malmené non plus. Etre humaniste transcende les religions, les cultures, la couleur de la peau. Ce qui me rapproche d’un être humain, ce n’est pas la couleur, c’est la pensée, la sensibilité, des objectifs communs. Je suis plus proche de vous que de Bokassa, c’est aussi simple que ça!

swissinfo: Est-ce à travers la reconnaissance de la culture afro-européenne qu’on parviendra selon vous à trouver des solutions aux problèmes que connaissent nos sociétés – la France en particulier?

C.B.: Oui, il y a un véritable problème de reconnaissance de cette culture: on ne veut pas la nommer. Et lorsqu’on ne nomme pas quelque chose, cette chose n’existe pas. On a alors des peuples errants. Aujourd’hui, nos enfants sont presque schizophrènes. Comme on ne veut pas les rattacher à une terre, ils n’ont pas d’identité.

Il faut savoir que ces enfants-là sont aussi totalement rejetés en Afrique, car ils ont une vision du monde totalement différente de celle d’un Africain. C’est pour ça que les mouvements que j’anime, notamment le ‘Club Elite’, qui regroupe la plupart des intellectuels afro-français de tous les secteurs, a décidé par exemple de créer une Maison des cultures afro-françaises.

Pour que le gouvernement comprenne que les Afro-français ne doivent pas être traités comme des enfants d’immigrés, mais comme des enfants français, nés en France, avec un surplus identitaire que sont les racines africaines.

swissinfo, Bernard Léchot à Genève

Le 20ème Salon international du livre et de la presse de Genève se termine s’est terminé lundi soir.
Il s’est tenu à Geneva Palexpo, ainsi que plusieurs salons parallèles, dont Europ’Art et le Salon de l’étudiant SwissUp.
Le nombre de visiteurs est estimé à environ 115’000 visiteurs, c’est-à-dire une dizaine de milliers de plus que l’an passé.

Calixthe Beyala est née à Douala au Cameroun. Sixième d’une famille de douze enfants, elle a été marquée par l’extrême pauvreté de son milieu.

Ecole et lycée à Douala, qu’elle quitte à 17 ans pour la France. Elle s’y marie, passe son bac pour ensuite effectuer des études de gestion et de lettres. Avant de s’installer à Paris où elle réside actuellement, Calixthe Beyala a vécu à Malaga et en Corse.

Calixthe Beyala a écrit son premier livre à vingt trois ans. Quelques-uns de ses ouvrages:
– «C’est le soleil qui m’a brûlée» (1987)
– «Lettre d’une africaine à ses sœurs occidentales» (1995)
– «Lettre d’une Afro-française à ses compatriotes» (2000)
– «Femme nue, femme noire» (Albin Michel 2003)
– «La Plantation» (Albin Michel 2005)

Elle milite pour la cause des femmes, la Francophonie et les droits des ‘Minorités Visibles’ à travers le ‘Collectif Egalité’.

A Genève, elle était membre du jury du Prix Ahmadou Kourouma. Celui-ci a été décerné à Koffi Kwahule pour le roman ‘Baby Face’.

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