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Chagall, la femme et le Livre

Sylvie Forestier... Chagall, ou le rêve de l'unité originelle. swissinfo.ch

Pour sa 20ème édition, le Salon du livre et de la presse de Genève consacre sa grande exposition au peintre français, d'origine russe, Marc Chagall.

Chagall vu à travers un prisme bien particulier: la femme, «à la fois fiction et figure» selon le commissaire de l’exposition, Sylvie Forestier.

Marc Chagall au Salon international du livre et de la presse à Genève? Quel rapport entre le peintre de Saint-Paul de Vence, qui a bénéficié d’une phénoménale célébrité de son vivant, et la grand messe genevoise de l’écrit?

«Chagall a été un amoureux des livres, un extraordinaire illustrateur de livres. Et tous ses amis étaient plus que des peintres – des philosophes, des poètes, des écrivains. Il y avait donc là un sens à présenter Chagall et le livre», répond la Française Sylvie Forestier, commissaire de l’exposition.

Sylvie Forestier, Conservateur général du patrimoine, qui en matière de Chagall, en connaît un rayon: elle est l’ancienne directrice du ‘Musée national message biblique Marc Chagall’, à Nice, inauguré en 1973.

L’exposition genevoise présente 105 lithographies tirées de la collection Sorlier, Charles Sorlier ayant été le Maître lithographe de Chagall à l’atelier Mourlot, à Paris. S’y ajoutent sept œuvres, deux huiles sur toile et cinq gouaches provenant de la famille de l’artiste, par l’intermédiaire de sa petite-fille, Meret Meyer-Graber.

C’est sous un angle bien précis que l’œuvre de Chagall est présentée à Genève. Celui de la figure féminine, qui habite nombre de ses œuvres. Un angle souhaité par le patron de la manifestation genevoise lui-même.

Pierre-Marcel Favre, frappé non par une crise de militantisme féministe, ce que d’aucunes souhaiteraient, mais par le simple constat que l’image de la femme est omniprésente dans l’œuvre du peintre, né en 1887 à Vitebsk, en Biélorussie.

La femme – trois femmes

«Dans l’œuvre de Chagall, la femme est à la fois une fiction et une figure», constate Sylvie Forestier. Elle emprunte les traits de Bella, c’est certain, parce que Bella a été l’épouse, l’amante, l’amoureuse, l’amante, la muse, l’inspiratrice, le grand amour de Chagall».

Mais Bella disparaîtra en 1944, laissant Chagall anéanti. A Bella succéderont – sans la remplacer pour autant – Virginia McNeal, qui lui donnera un fils (l’auteur David Mc Neal) puis Valentina Brodsky, qu’il épousera. «Vava», la compagne de fin de vie.

Des «périodes» picturales de Chagall sont-elles attachées à ces trois femmes? «Pas du tout! Contrairement à Picasso, qui est inspiré par la passion, qui broie les femmes de sa vie pour en faire une espèce de matière picturale, qui ‘identifie’ les périodes. Il y avait dans la relation puissante, pulsionnelle, charnelle, profondément érotisée que Picasso avait à la femme, quelque chose que n’a pas Chagall», analyse Sylvie Forestier.

Qui poursuit: «L’image de la femme chez Chagall est réellement une figure picturale. Même si, au début, elle emprunte au visage de Bella – brune, teint clair, toujours habillée de blanc ou de noir.»

«Chez Chagall, la femme est un être qui a des ailes, une figure qui flotte, qui vole. Les nus sont toujours ‘nuageux’, même quand ils sont réellement dessinés comme tels! Ces nus sont toujours non identifiables, non personnalisables. La femme devient une figure picturale, qui porte tout entière le sens qu’il lui donne: c’est un être essentiellement d’espérance et de promesse.»

Retrouver l’unité originelle

Alors que la figure féminine est incontestablement très érotisée chez Picasso – et le mâle bien armé, qu’on pense à la figure du Minotaure – la nudité chez Chagall ne semble en effet avoir qu’un rapport très lointain avec la sexualité.

Une nudité féminine sage, éthérée, que côtoient les personnages masculins dans un sentiment qui semble relever davantage de la communion, de l’apaisement, que du désir.

Sylvie Forestier souligne deux types de représentation féminine chez Chagall: «Soit la femme apparaît accompagnée d’un personnage, qui est en général un autoportrait du peintre. Soit elle apparaît dans l’unité de l’androgyne originel… insérée, unie circulairement à l’homme. Une sorte d’union parfaite, c’est-à-dire, ce que le mariage représente chez Chagall.»

Et que traduit donc, en termes philosophiques, cette vision idéaliste des choses? «Il ne faut pas oublier que la culture de Chagall est une culture judéo-slave. Et que la représentation de la figure humaine était un interdit dans la religion juive», répond Sylvie Forestier.

Avant d’ajouter: «Chagall a, je crois, la conception philosophique de cette culture-là. L’être est destiné à être un. La disparité homme-femme, sexuellement marquée, doit disparaître dans l’union, dans l’amour, et retrouver l’identité originelle, du couple originel – c’est-à-dire Eve tirée de la côte d’Adam. Eve et Adam sont ‘uns’. La finalité est le ‘un premier’ et le ‘un final’, si j’ose dire!»

swissinfo, Bernard Léchot à Genève

Le 20ème Salon international du livre et de la presse de Genève a lieu du 27 avril au 1er mai.
Il se tient à Geneva Palexpo, ainsi que plusieurs salons parallèles: Europ’Art, le Salon de la musique et le Salon de l’étudiant SwissUp.
Hôtes d’honneur: l’Algérie et la Franche-Comté.
Parmi les autres expositions: «100 ans de Robert Hainard, 100 ans de nature à Genève», «Ramuz cinéma», «Swiss Press Photo 2005», «Suisse romande: terre du livre», «La BD, une histoire belge».

Marc Chagall, de son vrai nom Moishe Zakharovich Shagalov, naît en 1887 à Vitebsk, en Biélorussie (qui appartient alors à la Russie tsariste).

Aîné d’une famille de 9 enfants, il commence à travailler dans des ateliers à la fin de ses études. En 1910 il part étudier à Paris grâce à une bourse, et expose ses travaux pour la première fois en 1914. Il retourne ensuite en Russie à cause de la guerre.

Il retourne en 1922 à Berlin, puis à Paris. Ses œuvres sont connues aux États-Unis, où des expositions sont organisées. En 1935 il prend la nationalité française pour fuir l’antisémitisme de l’Europe centrale. En 1941, devant l’avancée allemande il part pour l’Amérique. Sa femme, Bella, meurt en 1944.

Après la guerre les œuvres de Chagall sont à nouveau exposées en Europe. Il retraverse l’Atlantique en 1948, pour s’installer à Vence, en France. Il se remarie en 1952 avec Valentina Brodsky.

En 1973 à lieu l’inauguration du ‘Musée national Message Biblique Marc Chagall’ à Nice, pour son 86e anniversaire. Il finit sa vie à Saint-Paul de Vence, reconnu dans le monde entier. Il y meurt en 1985.

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