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Un Genevois parmi les fondateurs des Etats-Unis

Albert Gallatin (5e depuis la gauche) lors de la signature de la paix de Gand entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. (DR)

Comme 2e ministre des finances, le Genevois Albert Gallatin a marqué de son empreinte la naissance de la future grande puissance américaine. Dans un livre, l'ancien diplomate Bénédict de Tscharner met en lumière un hyperactif aux multiples talents. Interview.

Comme le soulignait le quotidien Le Temps le 15 mars dernier, le Congrès américain vient de rendre un vibrant hommage à l’homme d’Etat Albert Gallatin sous la forme d’une résolution rappelant son rôle fondateur de planificateur visionnaire.

Un hommage qui coïncide avec la parution d’un ouvrage grand public sur l’illustre Genevois émigré aux Etats-Unis en 1780 à l’âge de 19 ans.

Ancien diplomate et président de la Fondation pour l’histoire des Suisses dans le monde, Bénédict de Tscharner raconte en un peu plus de 100 pages le destin hors du commun du 2e Secrétaire au Trésor des Etats-Unis.

swissinfo: Le jeune Gallatin se sentait-il à l’étroit à Genève?

Bénédict de Tscharner: Il y a des traces qui montrent que Gallatin estimait peut-être que Genève manquait de débouchés, alors que cette petite république pas encore suisse traversait une passe difficile. Mais sa motivation principale tient d’abord à son âge et à son envie de découverte, d’autant qu’il était orphelin.

Formé par des hommes de science comme Horace Bénédict de Saussure, Albert Gallatin avait un fort intérêt pour la nature, un penchant typique de cette Genève des Lumières. Ce qui a également pu le pousser à partir pour le continent américain réputé sauvage.

Cela dit, Gallatin ne s’est pas tellement expliqué sur les raisons de cette fuite vers l’Amérique, puisqu’il est parti sans avertir sa famille.

swissinfo: Tout au long de sa longue vie, le Genevois a entrepris un grand nombre d’activités. Est-ce typique d’un homme des Lumières?

B de T: C’est sans doute vrai. Mais il faut distinguer le Gallatin d’après son départ de la vie politique – période durant laquelle il a présidé une banque, cofondé l’université de New York, cofondé la Société américaine d’ethnologie – et la période où il fut Secrétaire au Trésor (ministre des finances).

En fait, le point le plus intéressant, le quasi-mystère de sa vie, c’est le passage entre la vie de pionnier et de fermier qu’il menait comme beaucoup d’autres et sa carrière de politicien et de membre du gouvernement américain.

Il s’est laissé prendre dans des réunions politiques comme représentants des paysans et a ainsi découvert qu’il n’était pas un si mauvais politicien. Il s’est donc plongé dans une activité qu’il n’avait pas prévue. Mais une fois enclenchée, sa carrière politique est allée très vite, d’abord comme parlementaire de l’opposition anticentralisatrice. Gallatin a donc joué les porte-parole de ce courant parfois féroce opposé à un Etat central fort et à des impôts élevés.

Suite aux élections présidentielles de 1800, qui donnent la victoire à Thomas Jefferson, Gallatin est nommé Secrétaire au Trésor, ayant été le spécialiste des finances de son parti, ancêtre des Démocrates actuels.

Gallatin peut être considéré comme un libéral, mais également comme un promoteur de l’Etat interventionniste, comme le montre par exemple son «Rapport sur les routes et les canaux», un vaste programme public d’infrastructure.

De fait, il y a une différence de tempérament entre Thomas Jefferson et Albert Gallatin. Le Président américain était un aristocrate de Virginie. Et ce grand propriétaire terrien était habité par une sorte de romantisme agraire.

Gallatin était beaucoup plus visionnaire. New Yorkais, proche des milieux financiers, des banques et des investisseurs, le migrant Gallatin incarnait l’Amérique moderne et entrevoyait son grand avenir industriel.

Cela dit, le Genevois était souvent opposé aux investissements militaires. Une dimension importante du rôle futur de grande puissance des Etats-Unis.

swissinfo: L’action de Gallatin a-t-elle eu un impact durable sur les Etats-Unis?

B de T: Gallatin était un gestionnaire très méticuleux. Il a introduit toute une série de règles concernant les dépenses publiques. En fait, Alexander Hamilton et Albert Gallatin – les deux premiers Secrétaires au Trésor – ont été les fondateurs de toute une série de méthode de gouvernement, de prise de décision.

Les Etats-Unis ont eu la chance d’avoir à leur début ces deux serviteurs de l’Etat, extrêmement doués et créatifs. Ils ont posé les bases d’une gestion efficace des deniers publiques, alors que les Etats-Unis reposaient sur une structure encore assez faible.

swissinfo: Quelle est la modernité de Gallatin?

B de T: Il a exercé toute une série de métiers. Il a été fermier, politicien, financier, diplomate ou scientifique. Il évoluait avec aisance dans toute sorte de milieux aux Etats-Unis et en Europe. C’était un homme international.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand, Genève

1761: Naissance à Genève au sein d’une famille de notables.

1780: Départ clandestin pour l’Amérique.

1789: Député à la Convention constitutionnelle de l’Etat de Pennsylvanie.

1795-1801: Député à la Chambre des représentants.

1801-1813: Secrétaire au Trésor américain.

1814: Négociateur et signataire du traité de paix de Gand entre Londres et Washington.

1816-1827: ministre des Etats-Unis en France, puis en Grande-Bretagne.

1831: Cofondateur de l’Université de New York.

1842: Cofondateur de la Société américaine d’ethnologie.

1849: Mort d’Albert Gallatin à Long Island, non loin de New York.

Albert Gallatin, Genevois au service des Etats-Unis d’Amérique, éditions Infolio & Editions de Penthes, collection: Suisses dans le Monde, 2008.

Le livre a été traduit en anglais et en allemand.

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