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Un Thurgovien ministre éthiopien en 1900

L'empereur Mélénik II en 1896. Völkerkundemusuem Zürich

Le destin d’Alfred Ilg est pour le moins étonnant. A la fin du 19e siècle, cet ingénieur suisse a vécu en Ethiopie, où il a longtemps conseillé l’empereur Mélénik II.

A l’occasion des 150 ans de sa naissance, le Musée d’ethnographie de Zurich lui consacre une exposition.

Alfred Ilg a tout quitté à 25 ans, séduit par l’occasion de travailler comme ingénieur à la cour du roi d’Ethiopie.

Il n’était pas le seul à répondre à l’appel du roi Ménélik II. Pour moderniser son pays, celui-ci avait fait venir d’Europe et d’Inde nombre d’artisans, de techniciens et de conseillers militaires. Ménélik voulait une nouvelle capitale, des routes, des ponts et des canalisations.

Témoignages photographiques

Né en 1854 à Frauenfeld, en Thurgovie, au sein d’une famille modeste, Alfred Ilg a étudié à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) avant d’entreprendre son voyage vers l’Ethiopie, voyage qui dura… huit mois!

Le jeune homme se mit rapidement au travail. Il construisit des ponts, dessina des routes, participa à la construction d’Addis-Abeba («nouvelle fleur») et posa la première canalisation du palais royal. Il installa diverses machines, construisit une fabrique de munitions, enseigna le maniement de nouvelles armes, etc.

L’ingénieur a aussi eu la bonne idée de photographier son travail et sa vie quotidienne. Environ 1000 tirages ont été retrouvés.

Une sélection de ces images est à découvrir au Musée d’ethnographie de l’Université de Zurich. On y voit une société imprégnée de traditions, mais irrésistiblement attirée par la modernité.

Conseiller de l’empereur

Malgré tout cela, l’histoire n’aurait peut-être pas retenu son nom si Alfred Ilg n’avait pas aussi embrassé une carrière politique. Maîtrisant la langue amharique, ayant démontré sa loyauté à plusieurs reprises, le Thurgovien fut appelé par le roi comme conseiller.

En ces temps de colonialisme agressif, l’ingénieur était servi par sa nationalité suisse, synonyme de neutralité et d’esprit non-colonisateur. Elle l’aida à gagner la confiance du souverain.

«Je l’ai aimé comme un père», a dit par la suite Alfred Ilg à propos de Ménélik II. En retour, le roi appréciait «les sages conseils du Suisse», auquel il se fiait totalement.

A la tête du seul pays africain qui n’ait pas encore été colonisé, Ménélik se sentait en effet menacé par la politique impérialiste de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne.

Ainsi, c’est Alfred Ilg qui le rendit attentif aux incohérences du Traité d’amitié et de coopération signé avec l’Italie en 1889. Et non des moindres: en langue italienne, le texte de 1889 précisait que l’Ethiopie était un protectorat italien, un point qui ne figurait pas dans le texte amharique.

L’affaire provoqua une crise, qui déboucha elle-même sur la guerre. «J’ai sous-estimé la volonté impérialiste des Européens», écrit Alfred Ilg dans une lettre.

Bataille gagnée

Lors de la bataille d’Adoua, l’armée éthiopienne réussit à mettre en déroute les forces italiennes. Le retentissement fut énorme: pour la première fois, une armée africaine était parvenue à vaincre une grande puissance européenne!

Pour l’anticolonialiste qu’était Alfred Ilg, cet événement représentait une double satisfaction. D’abord, l’indépendance éthiopienne était sauvée, mais de plus, les investissements nécessaires arrivaient enfin d’Europe pour construire le chemin de fer qu’il projetait

Le premier tronçon de la voie entre Addis-Abeba et la ville côtière de Djibouti a pu être inauguré en 1902. Avec une locomotive fabriquée à Winterthour.

Nomination officielle

Le Thurgovien était alors au faîte de sa carrière à la Cour. Il co-rédigea le traité de paix avec l’Italie, recevait les émissaires européens, traduisait les discussions.

En mars 1897, Alfred Ilg fut nommé officiellement «conseiller d’Etat avec titre d’excellence» et reçut la plus haute distinction du pays, l’Etoile d’Ethiopie.

Mais le pouvoir attire les intrigues, ce qui ne manqua pas d’arriver. Pour Alfred Ilg, la situation se dégrada lorsque Ménélik tomba malade, en 1906.

Voyant son influence écornée, le Thurgovien, déçu, préféra rentrer en Suisse. Jusqu’à sa mort en 1916, il vécut à Zurich avec sa femme et ses quatre enfants. Sa tombe, à Zurich, rappelle aujourd’hui encore le souvenir de cet étonnant «Premier ministre d’Ethiopie».

swissinfo, Katrin Holenstein
(Traduction: Ariane Gigon Bormann)

L’Ethiopie (Afrique de l’Est), l’un des pays les plus pauvres du monde, compte aujourd’hui 66 millions d’habitants et a une surface de 1,1 million de km2, soit 27 fois la Suisse.
Multiethnique, le pays connaît plus de 100 langues différentes. Jusqu’en 1995, l’amharique était la langue principale.
Près de la moitié des habitants sont sunnites (musulmans), 40% sont orthodoxes (religion d’Etat jusqu’en 1974).

– Alfred Ilg (1854-1916) a vécu en Ethiopie de 1879 à 1906.

– Il avait répondu à l’appel du roi Ménélik II, qui engageait des artisans et techniciens étrangers pour moderniser son pays.

– Ménélik a fondé Addis-Abeba et a œuvré à la réunification du royaume.

– Le projet le plus ambitieux d’Alfred Ilg a été la construction du chemin de fer entre Djibouti et Addis-Abeba.

– Sa nationalité suisse, garante de neutralité, lui permit de devenir conseiller politique de l’empereur.

– Jusqu’en mai 2005, le Musée ethnographique de l’Université de Zurich consacre une exposition au destin exceptionnel de l’ingénieur thurgovien. Elle présente une sélection des 1000 photographies et des 600 objets que compte la Collection Ilg.

– Un film de Christoph Kuhn («Alfred Ilg, le Blanc d’Abyssinie») retrace aussi la vie de l’ingénieur par le biais de sa correspondance.

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