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Des preuves et des indices contre la CIA

Dick Marty estime que son enquête a provoqué la fermeture de centres de la CIA en Europe. Keystone

Pour le sénateur suisse Dick Marty, il est prouvé que la CIA a fait transiter des personnes enlevées par l'Europe avant de les «torturer» dans d'autres pays.

Mais dans un rapport intermédiaire publié mardi à Strasbourg, l’enquêteur du Conseil de l’Europe reconnaît qu’aucune «preuve formelle» ne confirme l’existence de centres secrets de la CIA en Europe.

L’utilisation par les services secrets américains (CIA) du territoire européen pour transférer vers les Etats-Unis ou des pays tiers des personnes illégalement détenues aurait atteint une telle ampleur que les gouvernements européens ne pouvaient l’ignorer, estime Dick Marty.

«Il n’est simplement pas vraisemblable que les gouvernements européens ou du moins leurs services secrets n’aient pas été au courant», affirme le sénateur suisse dans son rapport intérimaire de 25 pages.

«Les ‘restitutions’ (transferts de détenus vers les Etats-Unis où des Etats tiers) intéressant l’Europe semblent concerner plus de cent personnes au cours de ces dernières années. Des centaines de vols d’avions affrétés par la CIA sont passés par de nombreux pays européens», ajoute-t-il.

Des centres secrets?

Les Américains sont depuis longtemps soupçonnés de disposer en Europe même de centres secrets où ils interrogent leurs prisonniers.

Le sénateur et ancien procureur tessinois reconnaît toutefois qu’à ce stade de l’enquête, «il n’y a pas de preuves formelles et irréfutables de l’existence de centres de détention secrets de la CIA en Roumanie, Pologne ou tout autre pays» européen.

Se référant notamment aux déclarations de fonctionnaires américains, Dick Marty relève toutefois dans son rapport que «de nombreux indices, cohérents et convergents, permettent de conclure à l’existence d’un système de ‘délocalisation’ ou de ‘sous-traitance’ de la torture».

Des informations «détaillées»

Dans son rapport, il indique encore avoir reçu des informations «détaillées» lundi d’Eurocontrol, l’Agence européenne du trafic aérien, ainsi que des images satellites du Centre satellitaire de l’UE, notamment de sites en territoire roumain.

«Nous ne pourrons nous prononcer que par la suite sur l’importance et la portée de telles informations», a-t-il déclaré.

Selon un fax égyptien intercepté par les services secrets suisses, un centre d’interrogation a été mis sur pied par les Américains en Roumanie.

Une affaire sérieuse et inquiétante

Rendu public récemment par le SonntagsBlick, ce document révèle que 23 Irakiens et Afghans auraient été interrogés dans cette base américaine sur sol roumain. Des centres similaires existeraient en Ukraine, au Kosovo, en Macédoine et en Bulgarie.

Lors de sa conférence de presse à Berthoud (Berne) à la mi-janvier, l’enquêteur du Conseil de l’Europe avait exprimé son intérêt à obtenir une copie du fax égyptien. Ce document est un «élément significatif» car il représente «une source différente».

«Les éléments dont je dispose aujourd’hui montrent à quel point toute cette histoire est sérieuse et inquiétante, conclut Dick Marty dans l’édition de mardi du quotidien suisse Le Temps. Politiquement, le faisceau d’indices concordants est tellement solide qu’il y a matière à agir. Mais seuls les gouvernements peuvent faire la lumière sur toute cette histoire.»

La Suisse…une autorité morale

Il semble que des vols transportant des prisonniers de la CIA aient aussi transité par la Suisse. Berne a d’ailleurs demandé des explications à Washington.

Mais Dick Marty déplore le manque de réaction en Suisse. «On attend depuis des mois une réponse de Washington qui n’arrive pas. Je m’étonne que mes collègues ne s’alarment davantage du fait qu’un pays considéré comme ami ne daigne pas même fournir les informations exigées», a-t-il déclaré au quotidien Le Temps.

Le sénateur se désole par ailleurs de la réaction du ministre suisse de l’Intérieur Pascal Couchepin.

«Qu’un conseiller fédéral dise que nous ne sommes pas le Vatican des droits de l’homme me désole. Notre histoire, notre statut de dépositaire des Conventions de Genève et de pays hôte du siège du CICR va à l’encontre de ces propos. La Suisse a une responsabilité particulière. Celle d’autorité morale», a-t-il dit au Temps.

Des procédés «inacceptables»

Dans son rapport intermédiaire, Dick Marty – qui a lancé ses investigations en décembre – condamne une nouvelle fois vivement les moyens utilisés depuis le 11 septembre par l’administration Bush pour lutter contre le terrorisme, les qualifiants d’«inacceptables».

«Je ne le cache pas, mon intervention vise notamment à accroître la pression sur les membres du Conseil de l’Europe, institution qui défend des principes que certains Etats semblent prêts à abandonner sans scrupule», a-t-il expliqué au Temps.

L’enquêteur du Conseil de l’Europe a toutefois une consolation: son action semble porter des fruits.

«D’après mes informations, des centres de détention ont été fermés quelques heures après nos communications, au mois de novembre. C’est un des mérites de l’enquête. Si elle pouvait maintenant provoquer une véritable mobilisation au sein de la société civile, un pas supplémentaire serait franchi», a estimé Dick Marty dans les colonnes du Temps.

swissinfo et les agences

– Le sénateur suisse Dick Marty est président de la Commission pour les affaires juridiques et les droits de l’homme de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

– A ce titre, il est notamment chargé d’enquêter sur les prisons secrètes de la CIA en Europe de l’Est. Il doit présenter un premier rapport intermédiaire à fin janvier.

– Il existerait une centaine de personne séquestrée illégalement par la CIA, dont certaines habitant en Europe.

– Le cas de l’imam de Milan Abu Omar est exemplaire. Soupçonné de terrorisme, il a été envoyé en Egypte où il a été torturé.

– Autre cas très médiatisé: celui du citoyen allemand Khaled Al Masri. Séquestré et déporté en Afghanistan, il y a été maltraité durant 5 mois avant que les services américains ne constatent qu’il y avait erreur sur la personne.

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