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Prisons de la CIA: la Suisse relativise

La CIA est suspectée d'avoir implanté des prisons secrètes sur des bases comme celle-ci, en Roumanie. Keystone

Après un long silence, trois membres du gouvernement ont réagi à l'affaire des sites de la CIA en Europe et du fax intercepté par les services secrets helvétiques.

Ils se distancent de Dick Marty, enquêteur du Conseil de l’Europe, qui avait critiqué la Suisse et d’autres pays européens pour leur passivité face aux USA.

C’est dans la presse dominicale (NZZ am Sonntag et Le Matin Dimanche) que Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères, s’est exprimée pour la première fois sur la publication dans la presse suisse d’un fax des services secrets concernant les sites noirs de la CIA en Europe.

Pour la socialiste, le contenu du document intercepté par les services secrets suisses «n’est pas spectaculaire». Par contre, «c’est un vrai problème, dommageable pour la crédibilité de la Suisse, que ce document ait été rendu public».

Selon elle, les pays mis en cause (Roumanie, Bulgarie, Ukraine, Kosovo et Macédoine) n’ont pas été «heureux d’être ainsi montrés du doigt». Ils auraient réagi «avec une certaine amertume».

Et d’ajouter: «Maintenant ils nous demandent des preuves. A l’heure actuelle nous n’en avons pas. Mais nous sommes d’accord de partager les informations en notre possession».

Pas de passivité des autorités fédérales

La Suisse est par ailleurs disposée à répondre «dans toute la mesure du possible» aux questions de l’enquêteur du Conseil de l’Europe, le Tessinois Dick Marty, a précisé Micheline Calmy-Rey. Berne a en outre reçu une demande d’information du secrétaire général de cet organe, à laquelle elle entend donner réponse d’ici fin janvier.

Micheline Calmy-Rey rejette les accusations de Dick Marty, qui, vendredi, avait accusé la Suisse de «passivité» face aux activités de la CIA en Europe.

Pour Dick Marty, la passivité des autorités suisses et européennes est «choquante» sur ce dossier. Selon lui, certains pays ont collaboré avec Washington et d’autres ont toléré ses agissements. Mais en aucun cas, la Suisse ne doit accepter cette situation, elle doit clairement se positionner pour le respect des droits de l’homme.

«La Suisse fait partie des pays les plus persévérants pour obtenir des informations sur d’éventuels transferts extrajudiciaires de prisonniers», répond Micheline Calmy-Rey.

La conseillère fédérale a rappelé que Berne a réagi auprès des Etats-Unis dès juin 2005. «Nous continuerons à leur demander des éclaircissements», a-t-elle promis.

La Suisse n’est pas «la gardienne de la morale du monde»

Samedi, en marge de l’assemblée des délégués du Parti radical à Berthoud (canton de Berne), deux conseillers fédéraux s’étaient déjà exprimés sur la question.

«Je crois que la Suisse n’est pas la gardienne de la morale du monde», a déclaré Pascal Couchepin, ministre de l’Intérieur. Interrogé samedi par la télévision suisse romande (TSR), Pascal Couchepin estime qu’il faut avoir «un certain respect pour une grande nation démocratique qui mène un débat sur la manière de lutter contre le terrorisme».

«La Suisse défend certes les principes moraux, mais elle n’est pas le Saint-Siège des droits humains», a aussi indiqué Pascal Couchepin à la radio alémanique DRS. «Le Conseil fédéral est responsable des relations de la Suisse avec le reste du monde. Et entretenir de bonnes relations avec les Etats-Unis en fait partie», a-t-il ajouté.

Le Ministre de l’Intérieur estime donc que Berne n’a pas à donner de leçons à Washington. Son ton tranche avec celui de son collègue des Finances, Hans-Rudolf Merz. Celui-ci dit comprendre la réaction de Dick Marty. Mais jusqu’à présent, le Conseil fédéral n’a que des soupçons et pas de faits avérés sur la table, a-t-il déclaré à la TSR.

«Une fois qu’on sera en mesure de juger sur des faits, on n’hésitera pas à prendre position, a-t-il promis. Et si les droits de l’homme ont vraiment été violés, on sera obligé de réagir».

Un sondage édifiant

Quelque 75% des Suisses souhaitent que le Conseil fédéral proteste auprès de Washington à propos des prisons secrètes en Europe de la CIA. Seuls 20% approuvent la retenue de la Suisse officielle dans cette affaire.

Tel est le résultat d’un sondage Isopublic paru dimanche dans le «SonntagsBlick». Mille personnes ont été interrogées en Suisse – alémanique et romande – pour les besoins du sondage.

Toujours selon le même sondage, deux tiers des Suisses estiment que le Conseil fédéral aurait dû informer le conseiller aux Etats Dick Marty, enquêteur du Conseil de l’Europe, à propos du fax égyptien intercepté par les services secrets suisses.

swissinfo et les agences

La publication dans la presse suisse, le 8 janvier, d’un fax confidentiel égyptien intercepté par les services secrets helvétiques secoue la Suisse.
Dans la foulée, le monde politique exprime ses craintes pour la crédibilité des renseignements suisses et la commission de politique extérieure du Sénat intervient auprès du gouvernement.
Une enquête pénale militaire est ouverte contre le rédacteur en chef et deux collaborateurs du «SonntagsBlick», soupçonnés d’avoir publié des secrets militaires.

– 17 juin 2004: Human Rights Watch affirme pour la 1ère fois que les Etats-Unis détiennent des terroristes dans 15 prisons secrètes dans le monde.

– 7 novembre 2005: le sénateur suisse Dick Marty est chargé par le Conseil de l’Europe d’enquêter sur les centres de détention en Europe et le transfert de prisonniers par avion.

– 14 décembre: le Parlement suisse demande au gouvernement un rapport sur le transit présumé de détenus de la CIA. Le Ministère public de la Confédération ouvre à son tour une enquête.

– 8 janvier 2006: le Sonntagsblick révèle que la Suisse a intercepté un fax égyptien indiquant que la CIA interroge des détenus en Europe.

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