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La relève du ski suisse à l’épreuve du fédéralisme

Keystone

Le ski connaît depuis deux ans un renouveau salutaire en Suisse. Mais l'apparition sur le devant de la scène de jeunes talents comme Lara Gut ne doit pas masquer les problèmes rencontrés dans la formation des champions de demain. Etat des lieux à la veille des Mondiaux.

En 2005, la délégation suisse rentrait bredouille des Championnats du monde de Bormio. Cet échec retentissant, conséquence d’une longue régression entamée à la fin des années 80, décennie de gloire et de succès pour le ski suisse, poussa les dirigeants de la fédération à revoir entièrement le système de formation des jeunes talents.

C’est logiquement que les regards se tournèrent vers l’Autriche, rival historique de la Suisse et qui avait raflé 12 médailles lors de ces mêmes Mondiaux. Dans ce pays où le ski alpin est l’équivalent de ce que le football est au Brésil, la problématique de la relève est depuis longtemps prise au sérieux.

Le modèle autrichien

Construit dans les années 80, le «lycée du ski» de Stams est une véritable usine à champions, considéré comme un modèle mondial du genre. Dans le tyrol autrichien, la graine de skieur est élevée au sein d’un environnement idéal, alliant sport de haut niveau et études supérieures.

Tout ceci aux frais de l’Etat autrichien – le prix d’une année de formation est estimé à près de 30’000 francs par élève – , qui a depuis longtemps compris l’intérêt pour le pays de briller au sommet des différentes disciplines du ski.

En Suisse, la fédération de ski s’est donc inspirée de l’exemple autrichien pour lancer dès 2005 une «académie du ski» à Brigue, dans le Haut-Valais, censée regrouper les meilleurs espoirs suisses. Mais trois ans plus tard, au printemps 2008, le projet était déjà abandonné.

Une décision brutale

Le concepteur et ex-directeur de l’académie, Franz Hofer, également responsable de la relève à la fédération suisse de ski (Swiss-Ski), refuse de parler d’échec même s’il aurait voulu avoir plus de temps pour prouver l’utilité de son projet.

«La fédération a décidé de recentrer le concept de formation sur les trois centres de performance nationaux de Davos, Engelberg et Brigue, créés en même temps que l’académie. Il y avait trop de systèmes parallèles pour des athlètes du même niveau.»

Pour Yoan Jaquet, jeune espoir fribourgeois de 20 ans et qui appartenait à la première volée de l’académie, la décision a été brutale. «Certains de mes camarades de classe ont été contraints d’interrompre leurs études gymnasiales ou de degré diplôme. Moi, j’avais la chance d’être déjà intégré dans l’équipe nationale juniors, j’ai donc pu continuer mon cursus à Brigue.»

Système scolaire en cause

Cause notamment de la suppression de la filière de Brigue, le système scolaire suisse. Chaque canton est compétent en la matière et les différences peuvent être assez considérables, ce qui a découragé certains parents à envoyer leurs jeunes pousses en Valais.

Ce fédéralisme typiquement helvétique s’est également fait ressentir dans le choix de l’attribution de l’académie à Brigue. A Engelberg et à Davos, la décision a suscité une certaine jalousie, et tout a été entrepris pour tenter de faire de l’ombre à Brigue avec notamment la mise sur pied d’une offre de qualité comparable.

Beaucoup de jeunes skieurs n’avaient ainsi plus grand intérêt à faire des centaines de kilomètres, alors que la formation était tout aussi bonne près de chez eux. Conséquence: ce ne sont pas forcément les meilleurs skieurs qui fréquentaient l’académie.

Manque de moyens

Nerf de la guerre, l’argent a également joué un rôle important dans l’échec du projet de Brigue. Malgré le soutien du canton du Valais et de sponsors privés, l’académie était bien trop chère à assumer pour la Fédération suisse de ski. Entre 500’000 et 1 million de francs par année alors que son budget pour la relève, toutes disciplines confondues, atteint 4 millions de francs.

«Je préfèrerais évidemment que l’Etat suisse soutienne davantage la relève, comme le fait l’Autriche. C’est toujours plus risqué d’être dépendant des sponsors privés, surtout avec la crise qui se profile», affirme Franz Hofer.

Malgré les difficultés rencontrées, Franz Hofer se montre confiant. Pour lui, l’époque pas si lointaine où nos meilleurs skieurs, à l’image de Daniel Albrecht, Marc Berthod ou Silvan Zurbriggen, allaient faire leurs classes en Autriche est révolue.

Des centres performants

«Nos centres sont désormais très performants. J’en veux pour preuve l’exemple de Gabriel Anthamatten, un de nos meilleurs espoirs âgé de 17 ans, qui a récemment quitté Stams parce que le centre de performance de Brigue offrait une formation comparable».

«Je trouve dommageable que les jeunes athlètes soient dispersés dans plusieurs endroits. Chacun s’entraîne de son côté et il n’y a ainsi pas d’émulation entre les meilleurs coureurs des différentes catégories d’âge», regrette toutefois Yoan Jaquet.

«Il y a désormais 55 jeunes skieurs qui fréquentent les centres nationaux. Ce chiffre a plus que doublé depuis 3 ans. Nous sommes donc sur le bon chemin», répond Franz Hofer. Et pour lui, l’exemple du prodige Lara Gut, qui a toujours ignoré les filières classiques de Swiss-Ski et qui dispose d’un encadrement totalement privé, devrait rester ces prochaines années un cas tout à fait exceptionnel.

swissinfo, Samuel Jaberg

Argent. Sur un budget de 30 millions de francs, Swiss-Ski consacre près de 4 millions à la promotion de la relève. Cette manne est avant tout issue de fonds privés, le total des subventions confédérales dans le budget de la fédération suisse de ski n’excédant pas 300’000 francs.

Jeunesse+Sport. La Confédération s’engage dans la promotion du sport par l’intermédiaire du programme «Jeunesse+Sport », destiné à tout un chacun. Près de 3,5 millions de francs, sur un total de 60 millions, sont investis dans l’organisation de camps de ski alpin et pour la formation des moniteurs.

Centres nationaux de performance. Les centres régionaux de Brigue, Engelberg et Davos font la jonction entre les associations régionales et les cadres nationaux suisses pour les futurs skieurs d’élite. Chacun des 3 centres est associé à une école partenaire.

Espoir. Yoan Jaquet est un jeune skieur fribourgeois de 20 ans qui espère intégrer le circuit Coupe du monde dans les années à venir.

Etudes. Il a fait partie de la première volée de l’académie de Brigue, ouverte durant l’été 2005. Malgré la fermeture de l’académie, il a pu poursuivre ses études de commerce au collège de Brigue.

Compétition. Actuellement dans le cadre national B de Swiss-Ski, il participe régulièrement à des épreuves de Coupe d’Europe, l’antichambre de la Coupe du monde, dans sa discipline de prédilection, le slalom.

Coûts. Malgré divers soutiens, une année de cursus à l’académie de Brigue coûtait plus de 10’000 francs. C’est toutefois bien moins cher que les 30’000 francs déboursés à l’internat d’Engelberg, que Yoan Jaquet avait fréquenté auparavant.

«Je suis conscient que ma passion du ski a coûté très cher à mes parents. Ceux qui n’ont pas les moyens ne peuvent tout simplement pas se permettre de faire du ski de compétition».

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