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Laboratoires médicaux en danger

Le temps des petits laboratoires est peut-être révolu: place aux multinationales. Keystone

Pour la deuxième fois en trois ans, les autorités fédérales vont baisser les tarifs des analyses médicales. Réunis la semaine dernière en congrès à Montreux, les professionnels des laboratoires tirent la sonnette d'alarme: selon eux, cette réforme met en péril la qualité même du système de santé.

«Aujourd’hui, les analyses sont devenues bien plus qu’un instrument de confirmation d’un diagnostic. Si l’on parle d’analyses génétiques, par exemple, elles font carrément partie de la prise en charge d’un patient», plaide Michel Rossier.

En tant que médecin au Service des laboratoires des Hôpitaux universitaires de Genève, il en est convaincu: «si cette réforme entre en vigueur, les conséquences dépasseront le domaine du laboratoire. C’est un risque pour tout le système de la santé».

De quoi s’agit-il: en Suisse, c’est l’Office fédéral de la santé publique (OFSP, rattaché, comme tout le domaine de la santé et des assurances sociales, au ministère de l’Intérieur) qui fixe les tarifs des analyses médicales.

Comme les prestations des médecins, celles des laboratoires sont facturées selon un système de points. Plus une analyse est complexe, plus elle nécessite de temps et d’intervention humaine, et plus sa valeur en points augmente.

Deux baisses successives

En janvier 2006, en guise de contribution à la réduction des coûts de la santé, les laboratoires ont déjà vu la valeur du point passer d’un franc à 90 centimes.

«Nous avions été informés un mois et demi avant l’entrée en vigueur, se souvient Michel Rossier. Du jour au lendemain, les laboratoires ont perdu 10% de leurs revenus. Comme les salaires représentent près de 80% de leurs charges, la plupart ont dû licencier du personnel».

La nouvelle baisse qui s’annonce ne sera pas linéaire. Cette fois, l’OFSP a revu la dotation en points des quelque 1800 analyses remboursées par l’assurance-maladie de base. Certaines vaudront plus, mais la majorité vaudront moins. En moyenne, le ministère compte ainsi faire baisser la facture de 20 à 25%. A la Fédération des médecins suisses toutefois, on craint une baisse de 35 à 45% de la rémunération des laboratoires.

Les petits ne survivront pas

«L’Union suisse de médecine de laboratoire (USML) a émis de nombreuses recommandations à la commission de l’OFSP qui examine ces tarifs, mais aucune n’a été entendue», déplore Michel Rossier, qui dénonce «les lourdeurs administratives» et la «mauvaise organisation» de la dite commission.

Ainsi, il est extrêmement difficile de faire inscrire une nouvelle analyse sur la liste. La procédure serait presque aussi compliquée que pour mettre un nouveau médicament sur le marché. Résultat: certains tests qui apportent un réel «plus» pour le patient restent à sa charge.

Pour l’USML, la cause est entendue: cette nouvelle réforme des tarifs ne va faire qu’accélérer le remodelage du paysage des laboratoires médicaux, qui voit déjà les plus petits lutter pour leur survie.

Ainsi, la plupart des médecins de cabinet risquent de laisser tomber à terme leur activité de laboratoire. Avec à la clé une dévalorisation de la profession de leurs assistantes. Car aujourd’hui, elles sont aussi des laborantines, dont la formation comprend 500 heures pour la pratiques des analyses.

Quant aux petits laboratoires privés, ils vont petit à petit se faire avaler par les gros, dont certains sont déjà des multinationales, à l’image d’Unilabs, numéro un suisse du secteur, désormais en mains suédoises.

Qualité en péril

«Notre souci, ce sont les normes de qualité, explique Michel Rossier. On dit souvent que la Suisse est leader pour la qualité, et dans ce domaine des laboratoires médicaux, c’est une évidence. Particulièrement pour les analyses génétiques».

«Les gens de l’OFSP n’ont pas du tout évalué cet aspect de qualité, poursuit le médecin genevois. On l’impression d’avoir affaire à des comptables. Or il est des choses qu’on ne peut pas comptabiliser facilement».

Parmi elles, l’aide à l’interprétation. Comme Michel Rossier et ses pairs ont déjà pu le constater, les laboratoires «industriels» vont rendre des résultats du type «le taux est un petit peu bas». Or cela ne suffit souvent pas au médecin, qui a pris l’habitude, lorsque le cas n’est pas clair, de demander au labo ce qu’il faut faire pour aller plus loin dans le diagnostic. Et ce service va disparaître.

En outre, comme certaines analyses sont plus rentables que d’autres, les grands laboratoires les garderont pour eux et donneront celle qui ne rapportent rien aux labos des hôpitaux publics.

Moins de 3%

Pour contrer cette évolution, l’USML sait bien qu’elle ne dispose que de peu de moyens de pression. «Nous sommes avant tout un organe faîtier qui regroupe des sociétés savantes, et non des pros du lobbying politique» admet Michel Rossier.

Avant la résolution adoptée au congrès de Montreux, les défenseurs des laboratoires d’analyses étaient venus plusieurs fois à Berne, notamment pour y rencontrer les membres de la commission parlementaire de la santé.

A chaque fois, le message a été le même: les coûts du laboratoire n’entrent que pour moins de 3% dans ceux de la santé et le bénéfice pour le patient est énorme. Et à ceux qui trouvent malgré tout que cela est trop cher, l’USML n’a pu que rappeler que la qualité a son prix.

swissinfo, Marc-André Miserez

Le marché suisse des analyses médicales «pèse» environ 1,5 milliard de francs par année. C’est 2,8% des coûts totaux de la santé. Fraction minime, mais d’une importance vitale, puisque les résultats des analyses constituent le base de près de 60% des décisions cliniques prises par les médecins.

18’000 personnes environ travaillent dans le secteur des analyses. Ce sont d’abord les assistantes des 7500 cabinets médicaux qui effectuent eux-mêmes les analyses les plus courantes. Une centaine de pharmacies disposent aussi d’un laboratoire.

Egalement dans le secteur privé, on compte environ 90 laboratoires de toutes tailles, de la petite structure à la multinationale Unilabs, (en mains suédoises), qui emploie 900 personnes et peut réaliser jusqu’à 15’000 tests par jour.

Les hôpitaux publics (régionaux et universitaires) ont aussi leurs labos. En tout, quelque 525 sur l’ensemble du pays, à qui échoient souvent les tests rares, donc peu rentables pour le privé.

Selon l’Union suisse de médecine de laboratoire (USML), le système suisse n’est pas comparable avec celui du grand voisin allemand, où certaines analyses sont soumises au numerus clausus et où les médecins participent financièrement à des laboratoires d’analyses coopératifs. Par contre, la Suisse serait dans ce domaine moins chère que l’Autriche, la France et les Etats-Unis.

L’USML rappelle qu’à l’instar de celui des médicaments, le prix des réactifs pour les analyses de laboratoires est nettement plus élevé (de 5 à 8 fois) en Suisse qu’à l’étranger. Même quand ils sont fabriqués par des entreprises suisses.

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