
Un film au nom de tous les disparus

Un film a retenu l´attention des amoureux de justice au coeur du Festival Cinéma tout écran, mercredi, à Genève: «Un jour, la nuit» du cinéaste genevois Nori Mahdi. Ou l´histoire d´un étudiant noir disparu durant l´Afrique du Sud de l´apartheid.
Johannesburg, 8 juin 1988. Stanza Bopape est arrêté par la police sud-africaine. Il est Noir, étudiant et secrétaire général d’une association de quartier. Il est accusé d’avoir posé une bombe dans un bar.
Huit ans plus tard, la Commission «vérité et réconciliation» est chargée de faire toute la lumière sur les crimes commis contre l’humanité en Afrique du Sud. Des amis blancs de Stanza Bopape font paraître une annonce dans un quotidien sud-africain pour tenter de retrouver quelques traces de leur compagnon disparu.
C’est alors que le cinéaste suisse d’origine algérienne et responsable de l’audiovisuel au Centre des droits de l’homme du Palais Wilson à Genève, Nori Mahdi, tombe sur le journal sud-africain. Au lieu de partir en mission pour l’Iran, il s’en ira en Afrique du Sud mener l’enquête.
Là-bas, jour après jour, Nori Mahdi reconstitue toute l’histoire de Stanza Bopape. Tel un véritable reportage qui pourrait prendre place dans un Temps Présent de la TSR. D’ailleurs, c’est le Festival Cinéma tout écran qui a invité Nori Mahdi à venir projeter son film.
Stanza Bopape est-il mort assassiné par les forces de l’ordre sud-africaines? A-t-il été victime d’une bavure policière? S’est-il enfui dans un autre pays? Ou encore, s’est-il noyé dans le fleuve aux confins du Mozambique, comme sa fille croit le savoir, le jour où elle se lance, elle aussi, à la recherche de son père?
Le film est poignant. «Bien plus encore que le problème politique de l’apartheid, explique Nori Mahdi, mon film est un cri du cœur contre toutes les formes d’injustice et de maltraitance, contre tous ces gens ordinaires qui ne peuvent que se soumettre à l’arrogance de leurs supérieurs, en quel que pays que ce soit».
Certes, il y a des longueurs dans l’œuvre de Mahdi. Certes, les flash-back incessants sur telle ou telle hypothèse à propos de la disparition de Stanza Bopape sont parfois difficiles à suivre. Le réalisateur lui-même avoue avoir été confronté aux méandres complexes de la justice et de la police sud-africaines.
Mais en contrepoint, il y a ces témoignages d’amis qui viennent, ici et là, démêler les files de la toile d’araignée tissée autour du disparu Stanza Bopape.
Mieux que le commentaire, de gros plans sur les regards des témoins ou les sourires sarcastiques des magistrats et autres directeurs de commissariats viennent éclairer le spectateur.
«Mais c’est à chacun d’échafauder son hypothèse sur la disparition de Stanza Bopape», tient à souligner le cinéaste suisse des droits de l’homme. Moi, caméra au poing, je n’ai fait que suivre les hypothèses que la Commission sud-africaine «vérité et réconciliation» a bien voulu me soumettre».
«Mais, s’il y a enquête possible, grâce à cette Commission instaurée en 1996 par le gouvernement sud-africain, s’empresse de préciser Nori Mahdi, il n’y a pas pour autant de pardon…».
Si Nori Mahdi, le nomade (comme il se plaît à se définir), a passé autant de temps en Afrique du Sud (des dizaines de mois), c’est qu’il a lui-même perdu l’un de ses propres frères dans des circonstances probablement analogues.
Ce fut sans doute pour Nori une sorte de thérapie bienfaitrice que de commettre ce reportage (52′). Il l’a fait avec doigté et obstination. Pour nous livrer un chapitre de l’Afrique du Sud, la vie d’un Noir anodin, et par là-même, un pan de la nature humaine.
Emmanuel Manzi

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