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Zurich: comment la capitale mondiale de la pénurie de logements s’attaque au problème

Manifestation contre la crise du logement à Zurich
Le 5 avril, des milliers de personnes ont manifesté à Zurich contre la crise du logement. Il s'agissait de la plus grande manifestation pour le logement organisée dans la ville depuis le début du millénaire. Keystone / Ennio Leanza

À Zurich, en moyenne, seuls 7 logements sur 10'000 sont vides. C'est le chiffre le plus bas de Suisse, vraisemblablement du monde occidental. Nous avons demandé à la ville comment elle fait face à la crise.

Qui cherche un logement à Zurich a un problème. Selon une blague répandue, il ou elle peut au mieux espérer se reposer dans la file d’attente des visites d’appartements.

La vision de telles files est typique de la métropole économique; il y a quelques mois, une vidéo de l’humoriste Lara Stoll, filmée dans une queue d’environ 300 personnes, est devenue virale.

Si l’on se base sur le taux de logements vacants, le marché zurichois est à sec. Relevé à une date précise, ce taux comptabilise les biens inoccupés à ce moment-là. Avec 0,07%, le taux à Zurich est le plus bas de Suisse, voire, selon nos données, du monde occidental. 

swissinfo.ch a rassemblé des chiffres comparatifs de métropoles très demandées dans le monde entier. La qualité des données et la méthode d’enquête ne sont pas les mêmes partout, mais même avec ce caveat, Zurich se démarque.

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Kai Reusser / SWI swissinfo.ch

La plus grande ville de Suisse et ses quelque 450’000 habitants sont confrontés à la situation depuis longtemps, mais la pression ne cesse de croître. Pas plus tard que début avril, des milliers de personnes ont manifesté contre la pénurie de logements.

Prix du terrain stratosphériques

Pour lutter contre le phénomène, les politiques ont approuvé l’année dernière la création d’un nouveau poste de «délégué au logement». Il est occupé par Philippe Koch, ancien chargé de cours en politique urbaine et processus urbains de la Haute école zurichoise des sciences appliquées. Il a été surnommé «Mister Wohnung» par la presse, un titre qui ne lui plaît pas.

Nous le rencontrons en compagnie d’Anna Schindler, directrice du développement urbain de Zurich, à l’hôtel de ville. Elle occupe là, en hauteur, un bureau d’angle avec vue sur le Limmatquai et l’église Fraumünster. Comme Philippe Koch, elle a également pour mission de regarder la ville d’en bas, du point de vue des nombreux habitants qui ne peuvent plus guère se l’offrir.

Le mandat politique est le suivant: d’ici 2050, un tiers de tous les logements locatifs doivent être d’utilité publique. Cela signifie qu’ils ne doivent pas générer de bénéfices. Et, bien entendu, ils sont censés se situer dans la catégorie des logements abordables et moyens. À Zurich, la part de logements d’utilité publique stagne depuis des années, à 27% ou 29% selon les chiffres.

Acheter, acheter, acheter

Et donc, que fait la ville? «Nous achetons beaucoup, beaucoup plus qu’avant», indique Anna Schindler. La ville dispose d’un mandat et de fonds: depuis le début de l’année 2025, 300 millions de francs supplémentaires issus du «fonds pour le logement» ont été mis à disposition de la ville, des maîtres d’ouvrage d’utilité publique et autres.

Mais l’argent ne résout pas les problèmes structurels. «C’est un marché d’enchères. Il n’y a pas de droit de préemption», explique Anna Schindler. «À partir d’un certain point, la ville ne peut plus enchérir, comme par exemple pour le Üetlihof.»

Le complexe de bureaux du Uetlihof
La ville de Zurich a failli acheter le complexe de bureaux Üetlihof comme réserve stratégique, mais le montant de 1,2 milliard de francs était trop élevé pour une majorité du parlement de la ville. Keystone / Alexandra Wey

Le Üetlihof: l’ancien campus de Credit Suisse, qui appartient depuis 2012 au fonds souverain norvégien. En 2022, le gouvernement zurichois a voulu acquérir le «deuxième plus grand terrain d’un seul tenant de la ville» pour 1,2 milliard de francs, comme réserve stratégique. Mais la proposition a été rejetée sur le fil par le parlement de Zurich.

L’épisode illustre le principal problème de la capitale économique de la Suisse: les prix des terrains ont décollé et elle manque de terrains. «La ville en a vendu beaucoup dans les années 80, nous devons maintenant les racheter au prix fort», explique Anna Schindler.

La moitié du prix d’un appartement est aujourd’hui déterminée par le prix du terrain. Pour Philippe Koch, l’une des solutions à la crise est de dissocier marché foncier et marché du logement. Pour y parvenir, les pouvoirs publics disposent du droit de superficie, c’est-à-dire la mise à disposition de terrains urbains à des maîtres d’ouvrage d’utilité publique contre une rente de droit de superficie. Mais, justement, la ville ne dispose plus que d’un nombre limité de terrains.

D’autres instruments, qui mettent également les propriétaires privés à contribution, sont plus difficiles à mettre en œuvre en Suisse, par exemple l’imposition des surfaces inutilisées ou sous-utilisées afin d’endiguer la spéculation foncière. Jusqu’à présent, Zurich a plutôt misé sur la carotte que sur le bâton dans ses relations avec les particuliers; elle autorise par exemple un indice d’utilisation plus élevé (donc une densité de construction plus élevée) si, en contrepartie, une partie des logements est d’utilité publique.

Densification et vérité

À Zurich, le plus grand potentiel de croissance réside dans les nouvelles constructions de remplacement. En revanche, les surélévations et les extensions ne sont souvent pas rentables pour les investisseurs. Et, sur le plan du développement, «en relation à l’espace urbain», il existe des arguments contre l’idée de simplement rajouter un étage partout, selon Anna Schindler.

Une enquête menée il y a deux ans a montré que la densification des nouvelles constructions permet de disposer en moyenne de 87% d’espace habitable en plus. Le problème, ce sont les effets secondaires; avec les nouvelles constructions, les loyers augmentent. Une partie des locataires actuels des anciens bâtiments est expulsée, même chez les promoteurs d’utilité publique. En découlent un conflit d’objectifs et une question d’équité de répartition.

«Nous avons besoin des deux, d’un subventionnement du sujet et de l’objet», indique Philippe Koch. Concrètement, cela signifie que les services sociaux doivent suffisamment soutenir les personnes à faibles revenus – et que la ville doit mettre à disposition des logements d’utilité publique et subventionnés.

2’000 francs pour une chambre en colocation? Cet article s’intéresse aux prix des logements à Zurich:

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L’alternative? Une gentrification continue. «Le tiers le plus bas doit aujourd’hui postuler pour des logements qui engloutissent plus de 50 pour cent du revenu du ménage», indique Philippe Koch. En Suisse, la règle générale veut que les frais de logement ne représentent pas plus d’un tiers du revenu.

Impitoyable spirale des prix

Entre-temps, le problème des loyers trop élevés déborde jusque dans la classe moyenne. Lors d’un sondage réalisé en 2023 auprès de la population zurichoise, 40% des personnes interrogées ont déclaré que les loyers étaient trop élevés par rapport à leur revenu.

C’est particulièrement vrai pour les personnes en quête d’un nouveau logement. Les loyers dits «proposés sur le marché» sont 26% plus élevés que les loyers en cours. Seule une partie de ce montant s’explique par le fait que les offres comprennent aussi des logements neufs, au prix logiquement plus élevé. La spirale des prix est impitoyable. La ville de Zurich, comme l’ensemble de la Suisse, n’a pas encore trouvé d’instruments efficaces pour y remédier.

La crise est également liée aux modèles de vie et à la démographie. Tandis que le nombre de personnes par ménage a diminué, la consommation de surface par habitant a augmenté. Zurich compte aujourd’hui autant d’habitants qu’au début des années 60, malgré une croissance nette de près de 90 000 logements. Là où on construit aujourd’hui en densifiant, on habitait alors de manière plus densifiée.

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Les recours permettent de gagner de l’argent

Finalement, c’est la demande qui fait monter les prix, ainsi que les salaires des tops revenus – les employés de Google ou du secteur financier, parmi lesquels de nombreux expatriés. «C’est un fait, la moyenne des revenus a augmenté en ville et avec eux, les prix des terrains et des loyers», indique Philippe Schindler.

Pour rééquilibrer les prix, il faudrait une offre plus importante. Mais l’activité de construction à Zurich, comme dans de nombreux centres en Suisse, est très difficile. Non seulement les procédures d’autorisation y sont plus longues, mais les recours y sont aussi beaucoup plus fréquents.

«70% des projets zurichois font l’objet d’oppositions», souligne Philippe Koch. En général, elles ne visent qu’à retarder les choses ou à trouver un accord financier dans le cadre de grands projets, ajoute-t-il.

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La demande de logement, un sport national

Philippe Koch et Anna Schindler ne voient pas de solution miracle à la crise. Le dialogue est nécessaire, y compris avec des institutions axées sur le rendement comme les caisses de pension, afin de rendre le développement socialement acceptable et lui offrir un soutien politique.

Ne pas faire confiance au marché, ni réglementer davantage, mais dialoguer: le refrain de la politique suisse résonne depuis l’hôtel de ville de Zurich.

Nos deux interlocuteurs laissent également entendre que la crise du logement n’est pas la crise de tous les Zurichois. Il existerait une distorsion non seulement sur le marché, mais aussi dans la perception du public.

Le lotissement urbain Tramdepot Hard
Très convoité, le lotissement urbain Tramdepot Hard est situé directement au bord de la Limmat. Les loyers sont nettement plus avantageux que sur le marché libre. Keystone / Michael Buholzer

C’est ainsi que la location du nouveau lotissement Tramdepot Hard, construit par la ville, a récemment fait les gros titres. Ce grand ensemble se situe directement au bord de la Limmat et jouxte au sud le quartier branché du Kreis 4. Près de 15 000 candidatures ont été envoyées pour les quelque 140 appartements mis au concours.

Selon Anna Schindler, de tels chiffres sont surestimés. «Beaucoup de gens postulent tout simplement. Il ne s’agit pas de dizaines de milliers de personnes dans le besoin.» Un grand nombre de personnes ont déjà un logement à Zurich et postuleraient simplement au petit bonheur la chance. Depuis qu’elles se déroulent en ligne, les procédures sont très simples.

En outre, l’expérience montre que nombre de postulants n’ont même pas lu les petits caractères, qui font état de limites de revenu et de fortune pour le lotissement. En fait, une bonne partie des candidats n’a même pas droit à un appartement au Tramdepot Hard. 

Beaucoup ne le découvrent jamais. En effet, seules les personnes tirées au sort par le générateur aléatoire peuvent déposer un dossier de candidature.

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Modéré par: Marc Leutenegger

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Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de
l’allemand par Albertine Bourget/dbu

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