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«L’Eglise vit une crise»

Le théologien suisse Hans Küng relate ses luttes contre l'Eglise catholique dans ses mémoires.

Ancien conseiller du Concile Vatican II, il a été interdit d’enseignement après la publication en 1979 d’un livre questionnant l’infaillibilité du pape.

swissinfo: votre nouveau livre raconte votre vie et exprime votre vision du monde. Pourquoi avoir ressenti le besoin de l’écrire?

Hans Küng: en mars prochain, je vais avoir 75 ans. Je ne sais combien d’années me restent à vivre. Et je voulais parler de mes expériences, de mes luttes et de mes souffrances.

Mon histoire personnelle est très dense. J’ai été impliqué dans beaucoup d’événements. J’ai été très critiqué. Mais j’ai aussi beaucoup d’amis qui voulaient connaître mes motivations profondes.

Par ailleurs, je souhaitais montrer l’évolution de l’Eglise catholique, de la théologie et du christianisme depuis le Concile Vatican II.

L’Eglise est en crise aujourd’hui. Vous ne pouvez comprendre les problèmes du pontificat actuel que si vous savez ce qui s’est passé lors du Concile Vatican II. Nous y avons fait de grands progrès. Mais nous avons aussi accepté de très mauvais compromis.

Nous avions promulgué des décrets sur la liberté de conscience et de religion. Notre attitude avait évolué en ce qui concerne les juifs, les autres religions, et le monde séculier en général.

Mais, les structures ecclésiastiques sont restées médiévales, absolutistes et triomphalistes. Il y a toujours un seul homme qui pense pouvoir décider pour tous. De la pilule contraceptive à l’avortement et j’en passe. Et sa réflexion n’est pas du tout adaptée au monde actuel.

J’ai toujours admiré la Révolution d’Angleterre qui a su faire évoluer son système absolutiste en une monarchie parlementaire.

Je pense que l’Eglise catholique a aussi besoin de sa révolution. Et peut-être même d’un Concile Vatican III, afin d’achever ce qu’elle avait entamé lors du Concile Vatican II de 1962 à 1965. En qualité de théologien officiel du concile, à l’époque, je cherchais de véritables solutions, pas seulement des compromis.

Avez-vous l’impression d’avoir été trahi par l’Eglise qui n’a pas pris la direction que vous vouliez lui voir suivre?

H. K.: Après le Concile Vatican II, il y a eu de plus en plus de mouvements réactionnaires au sein de l’Eglise.

Une certaine ambivalence demeurait encore sous le Pape Paul VI. Mais aujourd’hui, il est évident que les idées du concile ont été trahies.

La collégialité, qui était l’un de ses principes fondamentaux, n’existe plus. A l’époque, le Pape et un collège d’évêques gouvernaient ensemble. A l’heure actuelle, c’est le règne de l’absolutisme.

Nous voulions un véritable œcuménisme. En lieu et place nous avons obtenu une communauté eucharistique. Nous avions instauré le principe du dialogue. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un système qui donne des leçons et produit les documents à la chaîne.

J’attends d’ailleurs l’avènement d’un autre pape qui puisse suivre la trace de Jean XXIII. Et montré que le christianisme comportait d’autres voies.

La politique actuelle n’a produit que des résultats négatifs. De grandes promesses ont été faites concernant la justice, les droits de l’homme et la paix dans le monde.

Mais au sein même de l’Eglise, il n’y a pas de justice. L’autoritarisme, la censure des fidèles et des théologiens règne. Les femmes sont traitées comme des individus de seconde classe. Elles ne peuvent prétendre à la prêtrise. L’Eglise souffre en outre de problèmes de moralité en matière de sexualité.

Si l’Eglise catholique ne veut pas avoir de plus en plus de paroisses sans prêtres à cause du célibat, si elle ne veut pas que les femmes quittent l’Eglise et si elle souhaite encourager les jeunes à revenir, il va falloir que les choses changent.

Le lecteur va trouver beaucoup d’informations sur l’Eglise catholique et le regard que vous portez sur elle dans votre livre. Mais va-t-il découvrir l’homme, Hans Küng?

H. K.: Je voulais avoir une vision d’ensemble de ma vie. J’ai donc commencé le récit au moment où j’ai entendu à la radio que Hitler prenait le pouvoir. Ce fut une expérience terrible pour moi. J’étais encore enfant mais j’imaginais bien que cet homme pouvait aussi mettre notre pays en danger.

Je voulais relater mes expériences durant la Seconde guerre mondiale.

Tout d’abord la période en Suisse. Ensuite mes sept années à Rome au Collège pontifical allemand. Plus tard, je suis parti à Paris où j’ai terminé mon doctorat. Suivi par deux ans dans une paroisse à Lucerne. Et après, mes années à Tübingen en tant que professeur d’université, ainsi que mes premières conférences en Angleterre et aux Etats-Unis.

Ce livre a été l’occasion d’expliquer comment j’ai pris certaines décisions. Ainsi que de tirer un bilan sur les bonnes décisions et sur celles qui auraient pu être différentes.

Mais fondamentalement, j’ai suivi ma propre voie. Je pense par ailleurs que j’ai toujours été cohérent.

On peut me critiquer. Mais on ne peut pas dire que j’ai été stupide ou malhonnête.

swissinfo/Jonathan Summerton


«Erkämpfte Freiheit», qu’on pourrait traduire par «Liberté chèrement acquise» n’est pour l’instant publié qu’en allemand.

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