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La violence, ultime dérive d’une société en crise

Un enfant de Vauderens dépose des fleurs à l'endroit où un adolescent a été tué samedi. Keystone Archive

En deux semaines, deux jeunes gens ont été tués à l'arme blanche en Suisse romande.

Ces drames appellent le même constat: les jeunes sont de plus en plus violents parce qu’ils sont le reflet d’une société souvent narcissique et déboussolée.

Un jeune homme est décédé samedi à Vauderens dans le canton de Fribourg. Un autre est mort d’une sombre histoire de racket et de vengeance le 1er juin dernier à Yverdon dans le canton de Vaud. Tous deux des suites de blessures au couteau infligées par d’autres jeunes.

Voilà qui allonge d’autant une liste inquiétante. Bagarres entre gangs, rackets, viols, agressions physiques et verbales, incivilité, tous les spécialistes le martèlent: les petites villes d’ici ressemblent de plus en plus aux grandes banlieues d’ailleurs.

Plus jeunes et plus violents



Reflet de la violence de la société, le phénomène touche de plus en plus de jeunes. Jean Zermatten, président du Tribunal des mineurs du Valais, le rappelait récemment dans un livre: «Les jeunes interpellés pour violence sont de plus en plus jeunes et, surtout, de plus en plus violents.»

Olivier Guéniat, chef de la Sûreté de la Police neuchâteloise, précise, chiffres en mains: «les cas de lésions corporelles ont augmenté de 110% en vingt ans en Suisse».

La police en a recensé 2915 en 1982 et 6123 en 2002. Pendant ce temps, les cas de brigandage ont passé de 1477 à 2579 mais les atteintes au patrimoine ont diminué.

Durant la même période, les affaires de menaces ont passé de 1333 à 6020, soit un boom de… 350%! Explication d’Olivier Guéniat: «C’est surtout le seuil de tolérance qui a diminué».

Les homicides ont également augmenté de 167 à 213 en vingt ans. Olivier Guéniat se veut toutefois rassurant sur ce point: «85% des homicides sont commis dans le cadre de la famille. Considérant que le taux de criminalité en général a nettement diminué en vingt ans, le citoyen ordinaire a une chance sur 30 millions d’en être victime.»

Et pourtant, les chiffres de la violence montrent que, en général, on respecte plus les choses mais moins les gens. Et donc peut-être moins soi-même.

Plus d’armes en circulation



En outre, de plus en plus de jeunes se promènent souvent avec une arme blanche (le port du couteau de boucher, très «tendance» semble-t-il, n’est pas interdit par la loi, par exemple). La police confirme en saisir de plus en plus.

Commentaire d’Olivier Guéniat: «Une minorité spécifique tend en effet à s’armer, ce qui ne fait qu’augmenter l’insécurité».

Car, quand on est armé, on se sent plus fort. Et «ce sont les personnes les plus agressives qui en portent», relève Martin Killias, professeur de criminologie à l’Université de Lausanne et auteur d’un ouvrage sur la question.

Et de préciser: «Quand on n’est pas armé, on est presque obligé de chercher l’apaisement…»

Des causes bien connues…

Citant le sociologue français Eric Debarbieu, Olivier Guéniat attribue ce phénomène à la «théorie du plus fort».

Un mécanisme qui veut que l’échec (socio-économique, familial, scolaire, etc.) pousse certains jeunes à rechercher un statut social dans le gang. Ce dernier cherche à occuper le territoire et donc à affronter les bandes rivales.

D’autre part, les jeunes étant la cible du marché très lucratif des marques et autres gadgets techniques, ils cherchent à «afficher leur pouvoir», quitte à racketter les plus faibles pour satisfaire leur convoitise.

Et rappelons que la TV et les jeux numériques n’arrangent rien: les héros n’y sont jamais fatigués, se relèvent des coups les plus durs et… ne meurent jamais.

En un mot, ils sont déconnectés, «sur-stimulés» et, trop souvent, abandonnés devant leur écran sans contrôle.

Explication sociologique et psychologique

Philippe Jaffé, psychiatre genevois, résume: si les jeunes passent plus vite à l’acte et plus violemment, c’est parce qu’ils «agissent de plus en plus comme les adultes partout dans le monde».

L’explication est donc d’abord sociologique. Mais il y a aussi une dimension psychologique.

Elever un enfant consiste à lui faire dépasser son «égocentrisme naturel» pour qu’il devienne un adulte capable d’un échange respectueux dans un groupe social.

«Et si les adultes eux-mêmes sont dominés par le narcissisme, conclut Philippe Jaffé, ils n’arrivent pas à créer cette dynamique chez les jeunes.»

«Il est aussi inquiétant de constater que ces actes sont souvent des ‘raptus’, une sorte d’explosion imprévisible.»

Contrôler et punir



Ainsi donc, après la permissivité de la génération de soixante-huit, la société et la famille doivent revenir en arrière et poser des limites et des repères plus clairs.

En d’autres termes prôner à nouveau la sanction, le contrôle des parents et des institutions. Ce qu’ont commencé à faire il y a plusieurs années certains pays comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, précise Philippe Jaffé.

Les autorités suisses, elles, proposent un durcissement du code pénal avec la révision de la loi sur les mineurs, actuellement débattue au Parlement.

La discussion fait rage entre partisans et adversaires d’un durcissement du traitement des mineurs, mais qui laisse Martin Killias de marbre: «On ne peut pas dire que la violence augmente parce que la loi pénale n’est pas assez sévère», a-t-il notamment déclaré dans les colonnes du Matin de ce mardi.

Jean Zermatten partage cet avis. Il estime qu’un système fondé sur la sanction est dangereux «car il ne vise pas à agir sur les causes mais sur les symptômes».

Entre le fouet d’autrefois et la permissivité actuelle, reste à trouver le juste milieu. C’est urgent.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

La police a enregistré 2915 cas de lésions corporelles en 1982 et 6123 en 2002.
Les cas de brigandage ont passé de 1477 à 2579 mais les atteintes au patrimoine ont diminué.
Les homicides ont augmenté de 167 à 213 en vingt ans (85% sont commis dans le cadre de la famille).
Les menaces ont passé de 1333 à 6020.

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