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Le Festival du film de Zurich s’ouvre sur un revenant

«Sennentuntschi» s’inspire du mythe semble-t-il très répandu dans l’espace alpin, de trois vachers d’alpage fabriquant une poupée devenant humaine, la violant et se faisant ensuite tuer par elle. artfilm.ch

Célébré puis vilipendé, le réalisateur Michael Steiner revient sur le devant de la scène avec «Sennentuntschi», qui a ouvert le Festival du Film de Zurich jeudi soir. Mais le «happy end» n’est pas encore certain…

La réalisation du film – «Sennentuntschi» – est un véritable scénario en soi. Et la carrière du réalisateur – Michael Steiner – a déjà ses actes dramatiques: grandeur, décadence et sauvetage. Le tout avec des rythmes et des accents peu helvètes.

Agé de 41 ans, le réalisateur zurichois, un autodidacte épris de culture de série B et de jeux vidéos a déjà connu la gloire et la chute. En trois ans.

La gloire: après un premier long métrage, sans subventions, à 27 ans («Die Nacht der Gaukler», projeté à Locarno), elle a couronné deux films, «Mon nom est Eugène» (2005) et «Grounding», sur la fin de Swissair (2006). Si les films ont été initiés avant l’arrivée de Nicolas Bideau à la tête de la Section cinéma de l’Office fédéral de la culture, celui-ci les vante comme des exemples parfaits de son concept «populaire de qualité.»

Michael Steiner se lance alors dans un projet, «Sennentuntschi», qui s’inspire du mythe semble-t-il très répandu dans l’espace alpin, de trois vachers d’alpage fabriquant une poupée devenant humaine, la violant et se faisant ensuite tuer par elle. Ce projet lui jettera un mauvais sort, comme il dit lui-même.

Il commence à tourner en 2008. Le budget est de 5,5 millions de francs mais la société de production du réalisateur est déjà fortement endettée. Le tournage se termine en novembre, mais le trou dans la caisse est tel que la société se met en faillite.

Accusations et reproches

S’ensuivent des accusations sur sa vie privée, des reproches en tous genres qui rejaillissent sur un de ses plus fervents partisans…: Nicolas Bideau. Les critiques se déchaîneront aussi sur celui qui a voulu que les films suisses «trouvent» leur public, quitte à soutenir moins les «petits» films étiquetés art et essai.

Or, sauvé par un financier bâlois, Bernhard Burgener, qui a injecté 3,4 millions de francs, et des co-producteurs autrichiens, Michael Steiner rebondit à quelques mois du départ de Nicolas Bideau de la Section Cinéma, dont il a annoncé sa démission pour la fin de l’année.

La fin d’une ère? Après la projection de «Sennentuntschi» devant les médias à Zurich, le jour de l’ouverture du Festival du film, Michael Steiner n’a pas voulu se prononcer. «Je suis un réalisateur, pas un politicien, je n’ai pas d’avis là-dessus».

Les deux hommes ont assurément, extérieurement du moins, beaucoup en commun. Comme Nicolas Bideau, Michael Steiner ne recule pas devant la provocation.

Il aime se présenter en «garnement» du cinéma, comme les héros de «Mon nom est Eugène», et il a aussi été célébré comme tel, avant de devenir un «vrai» mauvais garçon. Aujourd’hui, il a rebondi.

«Dimension Kampusch»

Au Festival du Film de Zurich, Michael Steiner rayonne, manifestement soulagé et savourant peut-être une certaine vengeance. Le chanteur-acteur Carlos Leal a l’honnêteté de dire qu’il n’est pas encore sûr d’aimer le film.

Il ajoute qu’il faut qu’il le voie une deuxième fois, puis il se lance dans un plaidoyer sur les films de genre que les Suisses ont bien le droit de faire, eux aussi, «et pas seulement les Américains», concluant qu’il est «très fier» de ce film.

Car Michael Steiner, dont le cinéma relève encore plus de l’esthétique du clip vidéo que «Grounding», franchit (un peu) les portes du «gore» et quelques plans feront tourner quelques têtes sensibles…

En outre, au mythe de la poupée vengeresse, le réalisateur a rajouté une «dimension Kampusch» (ou Josef Fritzl, autre Autrichien, pour le côté bourreau): l’héroïne du film a été enfermée et maltraitée par un curé, durant des années dans un cachot, sous l’église… Et lorsque Michael dit avoir voulu faire un western alpin, «avec un village bizarre, des habitants bizarres, et un héros à la John Wayne», on se demande où est passé John Wayne…

Souvent invraisemblable, indigeste, répétitif, le film contient une seule surprise, pas des moindres, la révélation finale sur la vraie nature de la fugitive, revenante, victime ou meurtrière. Mais «Sennentuntschi», qui sort le 14 octobre en Suisse alémanique et ultérieurement en Suisse romande, risque quand même bien de ne guère modifier l’image ni des Alpes suisses, ni de celle du cinéma helvète….

Créé en 2005 par un trio de trentenaires actifs dans la mode et le cinéma, le «Zurich Film Festival» entendait apporter paillettes et tapis rouges dans le cinéma suisse et profiter de l’aura internationale de Zurich.

Cette année, le tapis est devenu vert, car le festival, financé à 80% par des sponsors privés, a signé un engagement écologique.

Marqué en 2008 par l’arrestation de Roman Polanski qui venait chercher un prix pour l’ensemble de sa carrière, le festival est passé de 8000 visiteurs en 2005 à 37’000 l’année dernière. Le budget de l’édition 2010 est de de 4,1 millions de francs (dont 500’000 francs de la Confédération).

Trente-deux réalisateurs au début de leur carrière concourent pour un «Œil d’or» doté de 20’000 francs, dans trois catégories: fiction internationale, fiction germanophone et documentaire. En outre, de nombreux films qui sortiront bientôt sont projetés hors compétition (dont le dernier Woody Allen).

Un hommage sera rendu à Milos Forman et un prix remis à Michael Douglas, empêché de se déplacer par sa maladie, mais que viendra chercher Danny DeVito.

Des débats (sur les concepts de promotion du cinéma suisse, notamment…), des ateliers et des galas de bienfaisance sont aussi mis sur pied.

Le festival se terminera le 3 octobre par la projection de «Wall Street: Money Never Sleeps» d’Oliver Stone. Au total, quelque 70 films sont projetés.

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