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«L’Aire» souffle encore

Michel Moret, patron des Editions de l'Aire depuis 1978. Keystone

La vénérable maison d'édition veveysanne a connu de sérieuses difficultés financières. On la croyait en grand danger.

Et bien non, car son directeur Michel Moret lui redonne vie. Son secret? Un Journal intime «Beau comme un vol de canards».

Dans le sous-titre résonne l’écho d’une retraite: «Cent jours de la vie d’un éditeur romand». On aurait dit un guerrier qui parle d’une bataille livrée. Est-elle perdue? On ne sait trop. Tout ce qu’on sait, c’est que le guerrier a encore une flèche à son arc. Il la tire. Et c’est un Journal intime qui tombe comme une braise et rallume l’espoir. «Beau comme un vol de canards».

Cela commence le 9 octobre 2006. Et cela s’achève le 19 janvier 2007. Cent jours et mille éclats d’une vie. La vie d’un éditeur veveysan qui répond au nom de Michel Moret, directeur des vénérables Editions de L’Aire.

Chronique d’une mort annoncée

En ce jour d’octobre 2006 donc, Moret est inquiet: L’Aire vacille. Dans son Journal, il note: «Il s’avère que la structure actuelle de notre société ainsi que notre conception de l’édition remettent en cause sa viabilité».

Une entrée en matière fracassante pour ce qui semble être la chronique d’une mort annoncée. Qui semble seulement! Car au fil des jours, le Journal se transforme en résurrection miraculeuse pour L’Aire. Une année plus tard, la maison est toujours là avec Moret à sa tête.

Entre le premier et le dernier jour du Journal, un immense souffle est passé. C’est le souffle d’une écriture passionnée, curieuse, érudite, tendre, qui s’offre de temps en temps un humour musclé.

D’Eschyle à Ramuz

En 1978, Michel Moret reprend la maison d’édition veyvesanne fondée auparavant par Michel Dentan. Plus de mille livres publiés depuis cette date. L’Aire a largement contribué au lancement de nombreux poètes, historiens, essayistes et romanciers suisses et de beaucoup d’auteurs étrangers.

C’est à travers eux que le Journal de Michel Moret vit. Souvent par ricochet. L’évocation de Charles-Ferdinand Ramuz, de Maurice Chappaz, d’Eschyle, de Sophocle… vaut au lecteur des pages étonnantes, très justes, sur la gloire littéraire, l’héritage des anciens, aujourd’hui mal exploité, broyé par l’ultralibéralisme.

Le ton n’est pas pour autant nostalgique. Juste critique – par moments – vis-à-vis de ce pays, de sa fameuse neutralité, de sa place en Europe. Vis-à-vis aussi du monde, de la politique étrangère des Etats-Unis, de Georges Bush qui fait ici l’objet d’un manuscrit déposé un matin aux éditions de L’Aire. Il s’agit de l’assassinat du Président américain.

L’auteur demande à son éditeur de publier le livre avant que «la réalité ne dépasse la fiction». Manuscrit refusé: «les crapules meurent toujours dans leur lit», note ce jour-là Michel Moret.

Douloureuse interrogation

Mais le plus douloureux reste cette interrogation sur le métier d’éditeur dans un monde qui massifie de plus en plus la culture. Interrogation qui revient, lancinante, sous la plume du diariste: «Jadis les éditeurs étaient des mécènes. Aujourd’hui, ils recherchent des mécènes».

Le directeur de L’Aire a-t-il vraiment besoin d’un «sponsor» (pardon Michel Moret pour ce mot barbare), lui qui écrit ce 19 janvier 2007: «L’extraordinaire chance que m’offre mon métier, c’est qu’entre le faire et l’être la distance est infime, contrairement à une activité purement commerciale ou politique. Privilégié et fauché, je peux m’exprimer en toute liberté et surtout donner à d’autres la possibilité de s’exprimer».

swissinfo, Ghania Adamo

«Beau comme un vol de canards», Cent jours de la vie d’un éditeur romand, 173 pages, Editions de L’Aire 2007.

Né à Ménières (Fribroug) il y a 63 ans.

Son père le veut instituteur, sa mère prêtre. Il ne sera ni l’un ni l’autre mais travaillera dès 24 ans comme libraire chez Payot, à Lausanne. Il y restera dix ans.

En 1978, il reprend les Editions de L’Aire à Vevey.

Il est toujours à la tête de cette maison qui compte dans son catalogue de grands noms de la littérature suisse et étrangère.

Michel Moret est l’auteur d’un autre récit autobiographique: «Feuilles et racines».

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