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Bienvenue chez – hips – Bacchus!

Ce vin, retrouvé dans une amphore au large d'Hyères, a plus de 2000 ans... swissinfo.ch

Le Musée romain de Lausanne-Vidy propose une nouvelle exposition intitulée «Merci Bacchus, la vigne et le vin dans l'Antiquité».

Visite guidée en compagnie du dieu du vin et de la nature, ainsi que de son dévoué serviteur, le conservateur Laurent Flutsch.

En ces temps de 0,5% et de retour au moralement correct, le conservateur Laurent Flutsch, par ailleurs satiriste tendance vitriol à la Radio suisse romande, ferait-il dans la provocation?

«Non, il n’y a pas de mission, ni pour prôner la consommation du vin, ni pour s’y opposer. Le but de cette exposition est simplement de montrer que le vin et la viticulture sont un héritage de l’époque antique et gallo-romaine», répond-il.

«C’est probablement les Romains qui ont introduit le vin dans nos régions. A cette époque, le vin était un phénomène culturel, économique et même parfois politique extrêmement important», ajoute-t-il en précisant que «le vin était l’un des piliers de l’économie romaine, qu’on pourrait peut-être comparer, toutes proportions gardées, avec le pétrole aujourd’hui».

Mondialisation avant l’heure

A cause du vin, on a créé des voies de communication, déclenché des guerres pour s’ouvrir des marchés, et donné dans le protectionnisme agressif: en 92, l’empereur Domitien fait arracher 50% du vignoble méditerranéen, qui relève pourtant du monde romain, pour réduire la concurrence que subissent les vignobles italiens… Un monde antique d’une étonnante modernité.

En Suisse, on a retrouvé des pépins de raisin qui remontent à 500 ou 600 avant JC, notamment en Valais. Vigne sauvage, raisin importé ou véritable culture helvétique, difficile à dire, néanmoins. Une chose est sûre pourtant: on cultivait du raisin en Helvétie au temps des Romains, une antique serpette vigneronne découverte à Nyon en témoigne.

«Le vin est LA boisson alcoolisée de Méditerranée, par opposition à la bière ou à l’hydromel qui sont des boissons plutôt gauloises. Comme, à travers la conquête romaine, le monde devient méditerranéen, il devient plus intéressant, culturellement, socialement, de boire du vin plutôt que de la bière, perçue comme le breuvage des Barbares», analyse Laurent Flutsch.

Epices, miel et résine

A quoi ressemble-t-il donc, ce vin romain? Il en existe beaucoup de sortes – Pline, au 1er siècle après JC, parle de «185 sortes, le double si l’on compte les variétés». Et les textes, notamment ceux des agronomes latins, sont assez éclairants à ce propos.

«D’après les textes, il y a beaucoup d’épices, de miel. Ce sont des vinifications assez alcoolisées, avec beaucoup de sucre», précise Laurent Flutsch. Et un arrière-goût de résine: les tonneaux (d’origine gauloise) et les amphores sont très souvent «poissés» à l’intérieur pour des raisons d’étanchéité.

Mais en guise de traces, il n’y a pas que les écrits: du vin a été découvert dans des épaves qui transportaient des amphores vinaires. Un vin que l’on peut analyser, et donc «décortiquer».

A Lausanne, on peut ainsi voir une petite fiole remplie de vin découvert dans l’épave de la Madrague de Giens, au large d’Hyères… Un vin de plus de 2000 ans, puisque c’est vers 75 – 60 avant JC que ce voilier à la large coque a coulé.

«On aurait tendance à croire que le vin antique était du vin ‘bio’. En fait, à l’époque, ils étaient beaucoup moins puristes que nous. On y rajoutait toutes sortes de trucs, des épices, mais aussi des bulbes d’iris, de l’eau de mer… et on trafiquait souvent le vin. Pline dit que les viticulteurs marseillais sont des arnaqueurs parce qu’ils fument leur vin pour le vieillir artificiellement!» commente Laurent Flutsch.

On trafiquait aussi les contenants, en mettant par exemple des «piquettes infâmes dans des amphores prestigieuses». Précisonsqu’alors, l’amphore était théoriquement réservée aux bons vins, et la jarre au bas de gamme.

Un Bacchus peut en cacher un autre

Au Musée romain de Lausanne-Vidy, c’est Bacchus qui sert de guide, depuis les ceps de vigne jusqu’à la taverne, en passant par toutes les étapes intermédiaires: travail de la vigne, pressage, mise en jarres, vinification, transport, consommation – courante, orgiaque ou rituelle – le tout illustré par un riche rassemblement d’objets antiques.

Bacchus, cousin romain de Dionysos le Grec, une espèce d’éponge imbibée d’alcool et basculeur de jeunes filles, comme les célèbres «Bacchanales» en ont laissé l’image? Si l’image de Bacchus est effectivement associée à la fête, à l’ivresse, à la sensualité et au sexe – l’un de ses compagnons favoris n’est autre que Priape – Bacchus n’est pas que ce personnage-là.

«C’est une divinité de la Nature. Le vin ressuscite dans les verres et dans les yeux de ceux qui le boivent. Bacchus, c’est aussi le lierre, la pomme de pin, la végétation qui reste verte. C’est le cycle naturel, ce qui en fait une divinité de la vie éternelle… l’un des précurseurs du christianisme, en ce sens qu’il est monté dans l’Olympe après avoir vécu sur Terre. On le retrouve assez fréquemment sur les monuments funéraires, d’ailleurs», constate Laurent Flutsch.

A propos d’au-delà, dans le cabaret aménagé par le musée, des citations s’offrent aux yeux du visiteur. Des propos de Pline. Le fameux «Enivrez-vous» de Baudelaire. Et aussi un extrait du Coran (Sourate 47, verset 15), où Mahomet décrit le paradis: «…il y aura là des fleuves de lait au goût inaltérable, des fleuves de vin, délices pour ceux qui en boivent, des fleuves de miel purifié…»

swissinfo, Bernard Léchot à Lausanne

– C’est Bacchus en personne qui guide le visiteur à travers les différentes étapes de l’exposition: travail de la vigne, pressage, mise en jarres, vinification, transport, consommation – courante, orgiaque ou rituelle, cabaret.

– L’exposition propose de nombreux objets antiques, mis à disposition par plusieurs musées suisses et français.

– Le musée propose aux visiteurs une dégustation gratuite de vins vinifiés «à la romaine» par un propriétaire de Beaucaire, dans le Sud de la France.

Exposition «Merci Bacchus, la vigne et le vin dans l’Antiquité».
A voir au Musée romain de Lausanne-Vidy, Chemin du Bois-de-Vaux 24, jusqu’au 29 octobre.
Ouvert du mardi au dimanche de 11h00 à 18h00, le jeudi jusqu’à 20h00.

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