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L’homme derrière le programme de Paléo

Ecouter de la musique et voir des concerts: l'essentiel du job d'un bon programmateur. swissinfo.ch

En 30 ans, il a fait venir près de 2000 groupes au festival. Ce qui n'empêche pas Jacques Monnier d'avoir encore les larmes aux yeux à certains concerts.

«Still crazy after all these years», le programmateur du Paléo continue à chercher les talents nouveaux et à dealer avec les talents confirmés. Interview.

Le bon festivalier, dit-on, stabile les concerts qu’il veut voir sur son programme de Paléo. Sur celui de Jacques Monnier, tous les concerts sont stabilés.

Car même s’il a fait ses armes à l’âge d’or du rock, au tournant des décennies 60-70, le programmateur du Paléo est resté curieux de tout ce qui pince des cordes, frappe des peaux ou donne de la voix.

swissinfo: Paléo, c’est parti. Six jours de paix et de musique, pour reprendre le slogan de Woodstock, qui vous a forcément inspirés à vos débuts. Et durant les 359 autres jours de l’année, vous faites quoi ?

Jacques Monnier: On écoute de la musique et on va voir des concerts. On bouge beaucoup, que ce soit en Europe ou dans le reste du monde. Il y a aussi les centaines, voire les milliers de disques que nous recevons.

Ensuite, il faut savoir sur laquelle de nos cinq scènes programmer les artistes, histoire de ne pas les envoyer au casse-pipe. Quand on a vu un groupe dans un club de 100 personnes, faut-il le faire jouer devant 1500 ou 8000 spectateurs ? Quelle est sa capacité à «tenir» face à un tel public ?

swissinfo: Pour les têtes d’affiches au moins, la question ne se pose pas. Comment se passent les négociations ?

J. M.: C’est un autre volet de notre job. Il y entre une part de chance. Il faut que le groupe soit bien en Europe aux bonnes dates. Or, les grosses pointures peuvent être demandées partout dans le monde.

Il n’y a pas vraiment de cachets annoncés. Nous faisons des offres, que leurs agents étudient et comparent à celles des autres.

swissinfo: Justement, les cachets explosent depuis quelques années…

J. M.: Oui. Les artistes vendent moins de disques, à cause du téléchargement et des CDs que les gens se gravent entre eux. Donc, pour maintenir leur niveau de vie, les musiciens augmentent les cachets.

Il y a eu aussi un effet de passage à l’euro. Comme pas mal de choses, le prix des artistes a été arrondi à la hausse. Une hausse qui atteint tout de même 10 à 20%.

swissinfo: Indochine jouera à Paléo et pas à Avenches, comme les organisateurs du Rock oz’Arènes l’auraient souhaité. On a parlé d’un cachet de 100’000 euros…

J. M.: On peut arriver à ces niveaux-là en effet. Mais dans le cas d’Indochine, il n’y a pas eu de surenchère. Ils ont aimé leur précédent passage à Paléo et ils préfèrent jouer devant 30’000 personnes que devant 8000.

Avec plus de monde, vous avez une meilleure couverture médiatique et davantage de gens qui seront tentés d’acheter des disques ou des articles de merchandising. Il y a toute une économie autour des concerts.

swissinfo: Pour en revenir à cette inflation des cachets. Elle vous fait peur ?

J. M.: Ce que nous voyons, c’est que les festivals de taille moyenne veulent maintenant des têtes d’affiches comme les grands. Et comme ils ont relativement peu de places, ils doivent forcément les répercuter sur le prix du billet. Or, l’offre culturelle de l’été est simplement démesurée en Suisse romande. Le risque, c’est qu’un jour, la demande ne suive plus.

Pour nous, en principe, ça roule. Paléo se tient à guichets fermés depuis quelques années, mais on sait que rien n’est éternel.

Nous devons rester très rigoureux dans la gestion et dans ce que nous donnons à notre public: concerts bien sûr, mais aussi confort, bons écrans, bonne sono, espaces de détente, animations. Les gens sont sensibles à tout cela et ils nous le rendent bien, en se montrant tellement fidèles.

swissinfo: Pourquoi Paléo n’organise-t-il pas plus de rencontres improbables, de soirées exclusives, de ces choses dont Claude Nobs est si fier de dire «vous ne le verrez qu’à Montreux» ?

J. M.: Nous l’avons fait. Avec Eicher et les musiques du Rhône, par exemple. Mais ce n’est pas notre objectif principal.

Nous nous sommes rendu compte que c’est souvent très beau sur le papier, mais dans la pratique, les nombreuses soirées de ce type que j’ai vues étaient rarement très réussies.

Nous cherchons plutôt à maintenir un équilibre dans notre programmation, faite pour un public très large. Nous avons ce côté melting-pot, entre les générations. Le même soir, les parents qui sont venus écouter Maxime Le Forestier pourront prêter une oreille au concert de hip-hop que vont voir leurs enfants, alors qu’ils n’auraient jamais payé un billet pour voir ça. Et inversement, bien sûr.

Sans oublier la découverte d’autres cultures. Ce que nous montrons cette année au Village du Monde, c’est le côté festif, gai des Balkans, une région à laquelle on associe d’habitude plutôt des images de conflits.

swissinfo: Votre pire souvenir en tant que programmateur ?

J. M.: Ce sont toujours les annulations. Quand quinze jours avant le concert, vous recevez trois lignes de mail de l’agent de David Bowie qui vous dit que toute la tournée est annulée et qui vous souhaite bonne chance pour la suite…

swissinfo: Et le meilleur ?

J. M.: Il y en a tellement… Mais cela a toujours à voir avec les prestations des artistes, et les lumières qu’elles allument dans les yeux des gens. Se dire que l’on a contribué à leur apporter ce bonheur, c’est quelque chose de très gratifiant.

swissinfo: Vos regrets, les artistes que vous n’avez jamais pu avoir à Paléo ?

J. M.: Parmi les disparus, Gainsbourg ou Barbara – qui a pourtant failli venir. Et pour les autres, il y en a tellement… Eric Clapton, Bruce Springsteen, Radiohead… Mais bon, on sait être patient. Les Who ont été un des groupes favoris de mon adolescence et aujourd’hui, ils sont là. Même si on ne cultive pas la nostalgie à tout prix, un petit coup fait du bien de temps en temps.

swissinfo: Et les Stones ?

J. M.: N’y pensez même pas. Pas plus qu’à Robbie Williams en ce moment. Ces gens qui remplissent les stades ont des dispositifs scéniques tellement énormes qu’ils n’entreraient pas chez nous.

Et l’ensemble de notre budget «artistes» suffirait à peine à payer leurs cachets.

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Les spectateurs alimentent 85% du budget du Paléo (18,5 millions de francs cette année), en achetant leurs billets, leurs boissons, leurs nourritures et quelques babioles aux stands. Le solde vient des sponsors et de la publicité.

Les cachets des artistes représentent un quart des dépenses, soit quelque 4.5 millions de francs.

La soirée à Paléo coûte 60 francs (prix de base), ou moins pour les jeunes et ceux qui prennent plusieurs jours. Ce rapport qualité-quantité-prix est certainement unique en Suisse.

Deuxième soirée du Paléo et deuxième passage sous un Club Tent charmé pour Anaïs, la Française qui parodie aussi bien Carla Bruni que les bimbos du R n’B, Linda Lemay, le blues ou la danse celtique. Le tout avec juste une guitare, une machinerie qui lui permet de sampler sa voix et ses bruitages en direct pour s’accompagner elle-même, pas mal d’humour caustique et beaucoup de talent.

Et plus tard sur la Grande Scène, Depeche Mode, deuxième plus gros vendeur de disques de Grande-Bretagne de l’ère post-punk (derrière U2), a montré qu’il était toujours là. Et ses fans aussi. Mais que de tristesse, de grisaille, de sons épais et monolithiques, de sérieux…

The Who, Louise Attaque, Goran Bregovic, Les Wampas, The Lords of Altamont, The Spinto Band, Les Cowboys Fringants, Shantel, Esma Redzepova, Romando Drom, Hushpuppies, The Kooks, Da Silva, Charlotte Parfois

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