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Gaspard Proust ou l’art du désenchanteur

Gaspard Proust joue de l’ humour noir dans un monologue déstabilisant et drôle swissinfo.ch

L’humoriste suisse Gaspard Proust n’en finit pas de décoiffer la France avec sa dérision cynique et provocatrice. Qui se cache derrière cet apparent misanthrope qui a pourtant trouvé son public? Rencontre à Saint-Cloud, près de Paris.

Pauvres Japonais. Après Hiroshima et Nagasaki, les voilà qui, bardés de centrales nucléaires, renouent avec la radioactivité. «Fukushima, c’est un peu comme si Israël se mettait à produire du Zyklon B», commente Gaspard Proust.

Humour noir, les spectateurs rient jaune (ou le contraire), mais rient néanmoins.

Gaspard Proust, nonchalant, arrogant.  Et brillant. «Je suis quelqu’un qui a toujours privilégié le monologue honnête et franc», dit-il au public, qui adore cette tyrannie consentie.

Cassant les codes du spectacle, parvenant à construire la complicité sur l’ennui que semble éprouver son personnage, Gaspard Proust, désenchanté et désenchanteur, va donc pouvoir aligner les provocations.

Sociale: «Quand je vois un éboueur, je jette toujours un petit papier». Sexuelle: «Quand on sait que 95% des femmes sont clitoridiennes, à quoi bon s’acharner à bander?» Politique: «Est-ce que j’aurais eu le courage comme De Gaulle d’aller en Angleterre, de me tourner vers la France et de dire ‘battez-vous, bande de lâches’?»

Nous sommes au Théâtre des 3 Pierrots, à Saint-Cloud. Gaspard Proust joue «Enfin sur scène?» spectacle qu’il balade depuis plusieurs mois en France, en Suisse, en Belgique, et qu’il proposera dans une prestigieuse salle parisienne, le Théâtre du Rond-Point, à la rentrée.

Pas de sketches, pas de noirs, pas de pauses, mais un monologue en une pièce, exigeant, déstabilisant… et drôle. Fidèle à une certaine tradition de «l’anar de droite», pour lequel «compassion» ou «empathie» sont des gros mots, Gaspard Proust éclabousse tout de sa misanthropie chronique. Ou de celle de son personnage? A voir…

swissinfo.ch: La plupart des humoristes ont des auteurs, plus ou moins officiels. Vous pas. L’écriture vous intéresse donc autant que le spectacle.

 

Gaspard Proust: Parfois presque plus. Parce que le spectacle, quand on en a fait beaucoup, c’est surtout un service après-vente. J’exagère un peu: il y a un certain plaisir, parce que la salle et le public ne sont jamais les mêmes, donc ce n’est jamais vraiment le même spectacle.

swissinfo.ch: Un service après-vente… le jeu que vous jouez face au public rejoindrait donc ce que vous pensez vraiment?

G.P.: Je crois que les gens aiment bien ça. Je veux avoir un rapport honnête avec eux. Je serais très mal à l’aise de venir faire le clown, ou les ‘tapineries’ usuelles de l’humoriste en début de spectacle, que je trouve assez insupportables.

swissinfo.ch: On vous compare souvent à Pierre Desproges.

 

G.P.: Je ne connaissais pas beaucoup Desproges, mais à force qu’on me dise cela, je suis allé voir sur Internet. Mais j’ai un problème avec lui: c’est quelqu’un qui adore Brassens, et moi je déteste Brassens. Cela doit être une question de générations. Je fais partie d’une génération qui a besoin de tuer celle de 68.

swissinfo.ch: Un artiste a besoin aujourd’hui d’une image très définie et repérable. C’est votre cas. Cela s’est fait à travers une approche spontanée ou la vraie construction d’un personnage?

G.P. : Cela s’est fait au fil du temps. J’ai appris en essayant, en constatant ce qui fonctionnait ou non, en me demandant si on pouvait dire cela ou non, aller jusque là ou non. Après, sur scène, il y a une cohérence nécessaire entre le personnage et ce que j’écris. L’écriture dicte aussi vers quoi on va.

swissinfo.ch: Vous êtes ‘sur le fil’ en permanence. Vous abordez les religions, le terrorisme, les anciens combattants… Y a-t-il la volonté d’aller le plus loin possible, aux limites du genre?

G.P.: Non. Souvent, des gens du public me disent: «Quand tu dis une vanne, tout au fond, on se dit que tu as un peu raison, que quelque part, c’est un peu vrai». Par exemple, l’histoire de De Gaulle, je vois les choses comme ça. Pour moi De Gaulle reste un pseudo vainqueur de la Deuxième Guerre Mondiale. Idée qui est très mal reçue en France. Et sous cet angle, ça me fait sourire de voir des gens rire à cela.

swissinfo.ch : Votre spectacle est émaillé d’allusions dépréciatives aux ‘bourgeoises’. C’était spécifique à Saint-Cloud ou c’est une constante?

G.P.: C’est une constante. C’est un public bourgeois qui va au théâtre. Même pour Brecht, c’est rarement des ouvriers! (rires)

swissinfo.ch: Vous êtes diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales de l’Université de Lausanne (HEC), puis avez travaillé comme gestionnaire de fortunes dans une banque. Le passage au métier d’humoriste est assez… extrême.

G.P.: A HEC, je me suis beaucoup ennuyé, je n’y ai d’ailleurs pas gardé beaucoup de liens: je n’avais pas grand-chose à dire à ces gens-là et eux n’avaient pas grand-chose à me dire non plus. J’étais finalement assez malheureux là-bas.

A la banque, même s’il y avait des gens plus sympas, je faisais un métier qui ne m’intéressait pas beaucoup, mais qui me permettait de bien vivre. Et puis à un moment, il m’a fallu faire quelque chose où, peut-être très égoïstement, je serais le seul à décider.

Donc je n’ai rien quitté: j’ai traversé des choses. Je n’ai pas vraiment «vécu» tout ça. C’est peut-être d’ailleurs pour cette raison que je ne raconte pas ces éléments en spectacle: c’est assez anecdotique.

swissinfo.ch: Succès médiatique, tournée, bientôt une grande salle parisienne… Pour vous, les choses se sont emballées. Jamais le sentiment que cela va trop vite?

G.P.: Je crois qu’il y a une certaine cohérence. Mais à un moment, c’est sûr, ça va toujours trop vite.

swissinfo.ch: Et l’écriture, c’est un moyen de calmer cela?

G.P.: La création, oui. Et l’écriture en particulier, oui. Mais l’écriture, pour moi, demande du temps et un certain isolement. Là, en tournée, on va à gauche à droite, on est en mouvement, ça ne va pas. Pour moi, l’écriture – j’en ai peut-être une vision très romantique – c’est une maison isolée, avec du silence.

swissinfo.ch: Ce qui rejoint l’image du Gaspard Proust ennuyé, ‘mal à l’aise’ sur scène, ou jouant le malaise sur scène…

G.P.: Je ne suis pas un show-man, c’est sûr. J’aime des choses très monacales. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de gens du spectacle qui aiment faire de la haute montagne, qui s’isolent pendant des semaines sans voir personne. Moi je fais cela souvent.

swissinfo.ch: L’idéal pour vous, ce serait donc une cabane de haute montagne avec un bloc de papier et un stylo?

G.P.: Oui, c’est ça. Ou la mer, vers la Bretagne, dans un coin que j’espère trouver un jour, avec des tempêtes et pas trop de soleil…

Slovénie-Algérie. Naturalisé suisse, Gaspard Proust est né en 1976 en Slovénie, où il passe son enfance, avant de vivre en Algérie jusqu’à l’âge de 18 ans. 

HEC. Etudes en Suisse. Diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales de l’Université de Lausanne (HEC), post-grade de Droit européen à Lausanne et Genève. Il devient gestionnaire de fortunes dans une banque en 2000.

 

Alpinisme et écriture. Il démissionne pour se consacrer à l’alpinisme (à Chamonix) et à l’écriture.

 

Premier spectacle. «Sous-développé affectif» (2007) décroche plusieurs prix de festivals d’humour (Paris, Rocquencourt, Villeneuve-sur-Lot, Nantes).

 

Ruquier. Gaspard Proust est remarqué par l’animateur de télévision Laurent Ruquier, qui devient sont producteur dès 2009. Depuis, Proust participe régulièrement à son émission «On va s’gêner» sur Europe 1.

 

Nouveau spectacle. «Enfin sur scène?», spectacle créé en 2010, remporte le Prix Reymond-Devos. Il est actuellement en tournée.

 

Cinéma. Première expérience: un petit rôle cet été dans «Philibert », de Sylvain Fusée, aux côtés d’Alexandre Astier et Manu Payet (sortie en 2011).

En avril

01-02-03-05: Nice

15: Saint Pol de Leon
16: Guipavas
23: Marseille

En mai

02: Bruxelles

et plusieurs dates en France

En automne

Rentrée au Théâtre du Rond-Point à Paris

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