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Heidi au pays des Romands

Heidi, dans la version de Markus Imboden. Film Heidi

Le public de la 51e «Berlinale» vient de découvrir le film «Heidi» du cinéaste bernois Markus Imboden, nouvelle version de l'histoire signée Johanna Spiry. En marge de cette projection, regard sur la façon dont les Romands envisagent ce célèbrissime personnage.

La Romandie n’aurait pas la même image de Heidi que la Suisse alémanique. Dans l’inconscient collectif romand, la représentation de la jeune héroïne de Johanna Spyri trouverait plutôt ses racines dans les adaptations de l’auteur lausannois, Charles Tritten.

A partir de 1939, en effet, Charles Tritten traduit en français – plutôt mal, précise Denise von Stockar, pédagogue et critique de l’Antenne romande de l’Institut suisse de littérature pour la jeunesse – les deux volumes originaux allemands du roman de Heidi, écrit par l’écrivain zurichois Johanna Spyri et paru en 1880.

Charles Tritten trouve les deux romans si intéressants qu’il décide d’inventer la suite de la vie de l’héroïne, sous la forme d’une Heidi qui grandit; d’une Heidi jeune fille; d’une Heidi maman, jusqu’à une Heidi grand-mère.

Etonnamment, les romans de Charles Tritten recueillent beaucoup plus de succès en Suisse et en France que les traductions plus fidèles et littéraires de Camille Vidart, parues, elles, une année après les originaux, en 1882.

Pourquoi? Charles Tritten esquisse dans ses romans une femme modèle, selon l’idée populaire des années 1930-40. Elle se marie avec le chevrier, construit une famille qui, le soir, au coin du feu, dans le chalet, se raconte les fameux mythes helvétiques du serment sur le Grütli, de Guillaume Tell et des légendes des alpages.

«Oui, les romans de Charles Tritten véhiculent des concepts très chauvins. Tritten voulait encourager, stimuler les esprits vers une Suisse unie devant le spectre de la guerre, explique Denise von Stockar. Il voulait réchauffer le patriotisme suisse, à la veille de la Seconde guerre mondiale.»

Alors que dans la version originale se dessine un portait d’une petite fille orpheline de 5 ans tout en nuances, qui sous-entend que l’être humain ne peut s’épanouir que dans la nature et la liberté, loin des contraintes de l’industrialisation, Charles Tritten, lui, réduit ces messages à un enfant qui ne peut être en bonne santé que dans son pays, qui ne supporte pas l’étranger (Heidi tombe malade alors qu’elle est placée dans une famille à Francfort).

Aimer son pays, être prêt à le défendre, connaître son histoire, se soumettre aux autorités et cultiver les attaches familiales, telles sont les valeurs patriotiques véhiculées par l’auteur Charles Tritten.

Connaissant l’individualisme des Romands et leur propension à la fantaisie, il est facile de comprendre qu’avec de telles valeurs, le mythe de Heidi soit tombé dans le cliché négatif.

Mais ô miracle, l’an dernier, l’adaptation théâtrale de Heidi par la scénariste romande Emmanuelle delle Piane, aurait rétabli quelque peu la véritable image de Heidi en Suisse romande, en rejoignant de plus près la version originale d’il y a 120 ans, signée Johanna Spyri.

Quelles réactions suscitera la nouvelle version cinématographique de Markus Imboden? Réponse très bientôt.

Emmanuel Manzi

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