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Hugo Pratt… souvenirs, souvenirs par Rolf Kesselring

Hugo Pratt, le Vénitien de Grandvaux. archivespratt.net

Locarno a découvert mardi la version animée de Corto Maltese. A l'approche du 20 août, date du décès de son auteur, l'écrivain Rolf Kesselring se souvient.

À l’époque, il me disait toujours: «Arrête de bouger!». Je lui répondais alors et du tac au tac: «Arrête-toi d’abord, tu bouges tout le temps.» Il était comme moi nomade à vie, expatrié de partout.

La seule fois où je l’avais entendu parler de sédentarisation, c’était lorsqu’il s’était installé en Suisse, juste avant que je n’en parte définitivement fâché. «Tu me laisses là, tout seul», avait-il commenté, lorsque je lui avais annoncé mon ultime départ pour Paris.

Pour une fois, je n’avais rien trouvé à rétorquer. C’était la vérité, je partais et je laissais les amis, les copains, ceux que j’aimais bien, ceux à qui je disais «tu» naturellement.

À Djibouti ou en Patagonie

«Tu t’en en vas, tu me laisses seul, alors que nous devons encore aller à Djibouti pour la Noël, en Patagonie en été pour voir la nuit des deux lunes, à Auch pour boire une fraîcheur au Corto Maltese, ce bar dont tu m’as tellement parlé!»

J’avais haussé les épaules, convaincu que nous étions immortels et que nous avions encore quelques siècles pour assouvir toutes nos envies amicales, pour terminer tous nos itinéraires rêvés, avant de nous arrêter de «bouger» comme il disait.

Un mois d’août de chien

Je croyais que le temps ne comptait pas, ou plutôt que l’on pouvait vraiment compter sur lui. À peine cinq ans passèrent, un certain mois d’août de chien, en 1995, pour être précis, il a «bougé» une dernière fois sans moi… et définitivement.

Aujourd’hui, alors que, dans quelques jours cette fichue date anniversaire va revenir, et que je prends cette même route du sud-ouest sur laquelle je roulais lorsque j’ai entendu, à la radio, l’annonce de sa mort, je me souviens.

Sept ans de solitude

Bientôt, il y aura sept ans qu’Hugo Pratt, cet ami, ce frère, est parti pour une ultime migration, alors qu’il nous restait tant de voyages à faire, tant de lieux à visiter, tant de repas joyeux à avaler, nous laissant, nous tous, orphelins du rêve d’aventure et de liberté qu’il avait si généreusement distribué durant son passage parmi nous.

Venise et Grandvaux (cet endroit où il était enfin devenu le voyageur sédentaire) seront tristes. Quelques amis penseront à lui et, moi, le plus fidèle d’entre eux, je trouverai un bar, quelque part sur ma route, pour me faire offrir un Side Car ou un Blue Lagoon; ces cocktails qu’il affectionnait, et je les boirai à sa mémoire.

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