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La démocratie en Irak, pas avant 30 ans!

Le journaliste Arnold Hottinger, un spécialiste du Proche-Orient. SF DRS

Les Etats-Unis n'ont ni la volonté ni les moyens d'instaurer la démocratie en Irak, affirme Arnold Hottinger, spécialiste du Proche-Orient.

Selon lui, une guerre prolongée provoquerait des troubles dans les pays voisins. Il l’a dit à Jonnathan Summerton.

Arnold Hottinger est un journaliste suisse qui jouit d’une excellente réputation pour ses analyses de la situation au Proche-Orient.

Il faut dire qu’il a de l’expérience: il s’est fait un nom comme correspondant dans la région pour le compte de la Neue Zuercher Zeitung et de la Radio suisse alémanique.

Ce spécialiste estime que la guerre en Irak pourrait être très rapide – une semaine dans le meilleur des cas. Mais qu’elle pourrait aussi durer un mois, voire plus.

Pour Arnold Hottinger, tout dépendra de l’attitude des troupes irakiennes. Si Saddam Hussein perd rapidement toute autorité et que le contact entre les troupes et le commandement sont rompus, les soldats irakiens se rendront certainement rapidement, car ils n’auront plus peur de la répression.

Mais si Saddam Hussein peut garder le contrôle, la guerre pourrait être plus longue. En fait, la grande question est de savoir si le président irakien arrivera à concentrer ses troupes dans Bagdad et à gagner du temps en provoquant une sanglante bataille dans la capitale.

swissinfo: Quel serait l’impact de combats prolongés dans Bagdad sur les pays voisins?

A H: Ce serait potentiellement dangereux pour de nombreux gouvernements du Proche-Orient où l’attitude des dirigeants contraste avec les sentiments de la population.

Les opinions publiques sont déjà très remontées contre la guerre en Irak. Mais si les gens voient des images de morts et de blessés dans Bagdad, ils pourraient bien descendre dans la rue et protester violemment.

En Egypte et en Jordanie, par exemple, il pourrait même y avoir des tentatives de renversement du gouvernement. Mais il s’agit là du pire des scénarios.

swissinfo: L’idée d’une démocratie irakienne servant de modèle au reste du Proche-Orient est-elle vraiment plausible?

A H: Ce serait possible si l’Amérique avait la volonté d’investir du temps – 20 ou 30 ans – et si elle agissait avec doigté.

Mais je ne pense pas que ce sera le cas. Les Américains n’auront pas beaucoup de tact et ils n’entendent pas s’investir dans la région plus de deux ans.

swissinfo: L’Afghanistan a-t-il constitué une «zone de test» pour les Etats-Unis?

A H: Non, l’idée est plus ancienne. Nous savons que le Secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, avait suggéré une attaque contre l’Irak très peu de temps avant celle lancée contre l’Afghanistan.

L’idée de construire la démocratie en Irak trotte depuis longtemps dans la tête des néo-conservateurs qui sont maintenant aux commandes à Washington.

Mais après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, Colin Powell et les membres les plus réalistes du gouvernement américain avaient imposé leur volonté d’attaquer l’Afghanistan et de combattre les Talibans et Oussama Ben Laden.

Cependant, lorsque que l’attaque contre l’Afghanistan a été ordonnée, il était clair que l’Irak serait la prochaine cible. L’armée américaine avait d’ailleurs été préparée en conséquence.

Ainsi, l’actuelle guerre contre l’Irak est beaucoup plus idéologique et néo-impérialiste que ne l’était l’action de représailles contre l’Afghanistan.

swissinfo: Quel sera l’impact de la guerre en Irak sur les relations entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite?

A H: Une fois de plus, tout dépend de la durée de cette guerre et du nombre de victimes, ainsi que du succès du gouvernement qui sera imposé par les Américains.

Toutes ces données vont déterminer l’attitude du peuple saoudien, même si le régime fait tout pour maintenir le calme. Mais la royauté est actuellement dans une position très délicate.

Le changement de dynastie est imminent et le pays est confronté à des problèmes financiers. La position du régime est donc très précaire – beaucoup plus en tout cas que par le passé.

swissinfo: Dans quelle mesure le souci de s’assurer de l’approvisionnement en pétrole et la volonté d’infléchir l’attitude des pays arabes envers Israël ont-ils une influence sur la guerre?

A H: Il vous suffit de considérer qui fixe les objectifs de la guerre.

Je pense que si vous prenez les néo-conservateurs, comme Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, les motivations idéologiques arrivent au premier plan. Les idéologues pensent surtout à la position des Etats-Unis dans le monde

Mais il y a aussi des personnalités plus réalistes qui se concentrent surtout sur le pétrole.

swissinfo: Vous dites donc que les motifs de la guerre sont un mélange d’idéologie et de pragmatisme? Mais cela va-t-il s’arrêter avec l’Irak? Qui peut dire si l’Iran ne sera pas le prochain pays sur la liste?

A H: C’est la vision des idéologues, qui croient qu’il y a bien plus de pays «criminels» et qu’il est temps d’agir contre eux, maintenant que les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance de la planète.

Pour les idéologues de Washington, un Proche-Orient pro-américain serait aussi un Proche-Orient pro-israélien. Ces gens pensent que la région doit changer et que l’on peut la changer en larguant des bombes.

swissinfo: Mais ceci ne peut se faire sans mandat de la communauté internationale – et son attitude future va dépendre de ce qui va se passer en Irak…

A H: La guerre en Irak a été déclarée sans ce mandat. Les néo-conservateurs n’ont pas grand chose à faire des Nations Unies.

Je crois que c’est la réalité du terrain qui va les forcer à admettre que les choses ne sont pas aussi simples que ce qu’ils imaginent. On ne peut pas changer le Proche-Orient par la force. Leurs vues ne sont simplement pas réalistes – et l’Irak le leur démontrera dans les deux prochaines années.

Ensuite, ils viendront demander l’aide de la communauté internationale. Mais pour l’instant, ils croient encore qu’ils peuvent faire n’importe quoi sans les Nations Unies.

swissinfo: Quel impact aura ce conflit en Irak sur la guerre contre le terrorisme?

A H: D’un côté, il va y avoir un regain de motivation terroriste dans tout le monde islamique. C’est très clair, et l’on peut déjà presque le mesurer.

De l’autre côté, les Etats-Unis sont aujourd’hui moins préoccupés par le terrorisme, parce que le gouvernement concentre toute son attention sur cette guerre.

On ne parle pas beaucoup de l’Afghanistan en ce moment, pourtant la situation n’y est toujours pas claire. Il y a encore des terroristes là-bas, et Ben Laden court toujours.

swissinfo: Peut-on imaginer une paix durable au Proche-Orient sans règlement préalable du conflit israélo-palestinien?

A H: On peut arriver à un armistice, mais pas à une paix réelle. La langue arabe fait la distinction entre les mots «solh» et «salam».

Solh, c’est l’armistice, et cela, on peut y arriver. Salam par contre, c’est la paix réelle, durable. Et celle-ci en effet ne peut être obtenue que si le conflit israélo-palestinien est réglé.

Et il peut l’être. Car aujourd’hui, les Palestiniens sont prêts à accepter un Etat restreint, inclus dans les actuels territoires occupés. Le problème, c’est que les Israéliens ne sont pas prêts à le leur accorder.

swissinfo, Jonathan Summerton
(traduction: Olivier Pauchard)

Arnold Hottinger: journaliste suisse.
Spécialisé dans les questions du Proche-Orient.
Il a travaillé comme correspondant pour le la Neue Zuercher Zeitung et de la Radio suisse alémanique.

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