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La relation amoureuse à géométrie variable

Ecrivaine et journaliste d'origine marseillaise, Marielle Stamm publie son deuxième roman. sp

Publié aux Editions de l’Age d’Homme, «Triangles», le dernier roman de la Lausannoise Marielle Stamm tisse une toile sentimentale avec de multiples configurations. S’y emboîtent l’amour, la Suisse et la guerre.

Le titre du roman est à prendre au pied de la lettre et de la métaphore. Triangles de Marielle Stamm redessine à sa manière la relation amoureuse à trois segments, qui depuis la nuit des temps nourrit la littérature lyrique: le mari, l’épouse, l’amante.

Mais le roman consiste aussi – et c’est là sa lourdeur- à dénombrer les multiples symboles attachés à la figure géométrique du triangle, et à les replacer dans un contexte historique. Celui des années 1944-45, qui marquent donc la fin de la Deuxième Guerre.

A cette époque-là, les étoiles à motifs triangulaire façonnent sinistrement le visage de l’Europe en conflit. Etoile juive, étoile maçonnique, triangle noir, avec une «pointe en bas sur le pubis des lesbiennes», triangle rose, avec «une pointe en haut sur le pénis des homosexuels». Autant d’insignes d’exclusion. Autant de menaces de mort qu’Hitler et ses sbires agitent diaboliquement sous le nez de ceux qui finiront dans les camps nazis.

Quiétude et inquiétude

Lire l’Histoire à la lumière de la géométrie n’est pas ce qu’il y a de plus excitant dans Triangles. L’intérêt du roman demeure plutôt dans les allers-retours entre le rivage et le gouffre. Rivage lémanique, quelque part entre Lausanne et Vevey. Gouffre des tranchées. Face à la quiétude suisse, l’inquiétude européenne.

L’action se passe donc entre juin 1944 et mai 1945, dans une maison de la Riviera vaudoise que Marielle Stamm appelle la Villa. Vient d’y débarquer Lucie, une fillette marseillaise qu’on a mise à l’abri des bombardements, chez Colombe et Adrien, propriétaires de la Villa. Il y a là également Camille, marraine de Lucie et amie de Colombe.

Par amitié, il faut entendre ici bien plus qu’un lien social. Car c’est d’amour que Camille aime Colombe, laquelle a le cœur qui bat ailleurs, un peu du côté de son mari Adrien et beaucoup du côté d’une autre femme.

Camille est une intellectuelle au corps et à l’esprit virils. Tout le contraire de Colombe, femme au foyer qui se distingue par ses traits fins, ses caprices et sa «voix de rossignol». Elle chante et accompagne, parfois, son mari violoncelliste. Adrien, lui, aime Camille et Colombe, qui sont sa «raison d’être». C’est un tendre qui se cherche une force dans la franc-maçonnerie.

«Regard de cyclope»

Voilà pour la toile sentimentale, avec ses multiples configurations, ses rivalités, ses scènes domestiques… Le tout vu à traves le «regard de cyclope» de Lucie. La Petite, comme on l’appelle à la Villa, ne voit que d’un œil. Et c’est cette vision, à la fois manquée et aiguisée, que la réfugiée marseillaise offre au lecteur.

La Suisse, elle l’observe à travers d’autres réfugiés comme elle, des enfants polonais qui ont échappé à l’enfer de Varsovie. Son pays d’accueil, elle le découvre aussi dans le bien-être, mais adossé à l’horreur. Car derrière la Villa, où Lucie est très bien logée et nourrie, il y a une petite gare qui lui renvoie toutes les nuits l’insupportable bruit des trains qui passent. Où vont-ils? Qui transportent-ils?

Peut-être «des soldats envoyés à la rescousse des armées de Mussolini. Ne trouvez-vous pas que la Suisse est bien laxiste de laisser les forces de l’Axe utiliser son réseau ferré?» .

Aux questions que se pose la Petite, les adultes répondent par d’autres questions. Tout le monde doute de tout. Y compris Marielle Stamm qui, par la bouche de ses personnages, s’interroge sur le rôle de la Suisse durant la guerre, sur sa neutralité compromise par les faiblesses vis-à-vis des Nazis ou de leurs amis.

L’auteur revient sur quelques faits qui ont jalonné l’histoire helvétique: l’initiative antimaçonnique lancée par le Colonel Arthur Fonjallaz et refusée par le peuple en 1937, les manœuvres d’un certain William Gueydan, un fasciste d’origine française qui «a profité de sa nationalité suisse pour […] réactiver le parti nazi dans notre pays».

Les pages du roman se tournent mois après mois, au rythme d’un calendrier. De juin 44 à mai 45, la face du monde aura changé, grâce (ou à cause) de Roosevelt, Churchill et Staline. Les «Big Three». Là aussi un triangle dans la myriade de triangles que propose cet ouvrage.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Triangles» de Marielle Stamm. Editions de l’Age d’Homme, Lausanne. 154 pages

D’abord. D’origine marseillaise, elle s’établit en 1974 à Lausanne.
Après une licence en droit, réussie à l’Université d’Aix-en-Provence, et un diplôme de Sciences Politiques obtenu à Paris, elle suit les cours de l’Ecole du Louvre.

Red’cheffe. Dotée d’une grande curiosité intellectuelle, elle devient rédactrice en chef d’un journal spécialisé en informatique IB Com.

Mag. Engagée par le quotidien lausannois 24 Heures, elle conçoit le magazine La Boussole.

Internet. Elle publie une Histoire de l’informatique en Suisse, 1974-1993 sur Internet.

Bouquin. Son premier roman L’œil de Lucie paraît en 2005 aux Editions de L’Aire, Vevey.

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