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La tanière du lion

Changement de rive et cap à l’ouest. Je quitte la vallée du Rhône pour celle, latérale, de la Cèze. Des vignes, toujours des vignes. Puis le paysage se resserre, devient sauvage. Rochers. Vieilles bâtisses en pierre de taille. Encadré par la verdure, le mauve des champs de lavande. Je traverse Barjac, file sur Vagnas, m’arrête à l’ancien couvent.

C’est là que Rolf le libertaire, Kesselring l’anar, l’ex-patron des librairies La Marge, ex-éditeur mais toujours écrivain, a élu domicile. Le vieux lion se trouve sur sa terrasse – il me pardonnera le mot «vieux», il sait que c’est affectueux. Et est en pleine forme. Kesselring est né à Martigny, en Valais, sur le Rhône. «Je coule vers la Méditerranée. Le Rhône, c’est ma colonne vertébrale» commente-t-il.

Comment l’ancien hyperactif vit-il à Vagnas? «Je me lève toujours très tôt – ça, cela date de mes aventures dans les enclos de l’administration pénitentiaire suisse. J’aime voir le soleil se lever, j’aime voir le soleil se coucher et j’aime la nuit, en plus. Et sinon, depuis que je ne fous plus rien, je n’ai pas assez d’heures pour faire tout ce que j’ai à faire!»

Kesselring écrit. Des bouquins. Et des articles, «pour bouffer». Et il lit: «Ce matin, je relisais Prévert dans la main gauche et Céline dans la main droite».

Au sud, Rolf Kesselring aurait-il tout de même trouvé une forme de quiétude? Et laissé au nord colères et coups de gueule? Le simple fait de lui poser la question réveille son exaspération. Contre la misère sociale. Contre Bush et son administration. Contre les colonels birmans. Contre les Etats qui étouffent la presse. «Je suis un homme en colère et je vais le rester. Quand je mettrai un pied dans la tombe, je hurlerai encore!» se marre-t-il.

Un retour en Suisse n’est pas au programme. «J’ai des paysages dans la tête qui ne sont pas ceux du haut du Rhône, que j’aime pourtant. J’ai un gène nomade». Et Rolf de faire référence aux possibles origines tziganes des Kesselring. Des chaudronniers sédentarisés en Bohême et en Forêt-Noire aux alentours de l’an 1000.

«J’ai quelque chose qui me défend de me fixer quelque part. Je suis toujours en partance. Quand je déménage, je n’ouvre jamais tous mes cartons. Et j’ai toujours un bouquin à finir. J’ai remarqué que les gens qui avaient fini… finissaient. Je pense que je ne finirai jamais quoi que ce soit. Ni d’écrire, ni de vivre, ni de boire, ni d’aimer».

swissinfo, Bernard Léchot à Vagnas

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