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Le Pavillon suisse, signé Le Corbusier

Dans la verdure, le Pavillon de Le Corbusier. swissinfo.ch

Parmi les 38 maisons d'étudiants de la Cité internationale universitaire de Paris figure le Pavillon suisse, construit par le célèbre architecte chaux-de-fonnier.

Visite des lieux en compagnie de la directrice et réflexion sur cet étrange urbaniste que fut Charles-Edouard Jeanneret.

Au sud de Paris, entre boulevards des maréchaux et périphérique, existe une véritable oasis. Pelouses parfaitement taillées, allées serpentant sous d’immenses arbres, tout cela dans un vaste parc qui abrite 38 maisons d’étudiants, la plupart ‘nationales’.

La Cité internationale universitaire s’est développée dès 1925, «dans la mouvance de la Société des Nations, pour favoriser les rencontres entre les peuples, les cultures», explique Yasmin Meichtry, directrice de la Fondation suisse.

Alors que la plupart des immeubles ont été bâtis dans un style traditionnel, si possible représentatif du pays dont ils émanent, le Pavillon suisse, édifié par Le Corbusier et inauguré en 1933, a suscité la controverse.

«Pour beaucoup de Suisses, l’idée était d’avoir un pavillon qui donne une image traditionnelle de la Suisse. Et là on offrait à Le Corbusier, l’avant-gardiste, de construire ce bâtiment sans même participer à un concours ! C’était tout à fait révolutionnaire pour l’époque.»

Aujourd’hui, la renommée de l’architecte amène du monde: «Le Pavillon suisse est monument national depuis 1986. C’est un bâtiment qui attire 200 à 300 visiteurs par semaine. Peut-être bientôt plus: le dossier est à l’étude, mais nous devrions bientôt être inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, avec d’autres sites Le Corbusier», précise Yasmin Meichtry.

Béton. Parallélépipède posé sur des pilotis. Et décrochage incurvé. Le pavillon correspond au «purisme», étendard dogmatique de Le Corbusier: simplicité des formes, organisation, rigueur. Et à sa définition de l’architecture moderne, selon cinq points: plan libre pour l’accueil, façade libre en mur-rideau, fenêtres en longueur, toit-jardin et double rangée de pilotis dégageant le rez-de-chaussée.

46 chambres

Le Pavillon suisse propose 46 chambres individuelles. Qui peut en profiter? «Nous prenons des étudiants qui ont achevé leur 2e cycle, des thésards ou des chercheurs. Les dossiers sont retenus sur le principe d’excellence avant tout, mais aussi de ressources: nous privilégions des étudiants avec peu de ressources», explique Yasmin Meichtry. Par ailleurs, il faut préalablement s’être inscrit dans l’une des 13 universités parisiennes.

Adressés à la Cité internationale, les 200 à 300 dossiers annuels en provenance de Suisse sont ensuite envoyés à Berne, où ils sont traités par un comité constitué de représentants de toutes les universités helvétiques.

Mais le fait d’être accepté ne garantit pas d’être logé dans le Pavillon suisse, car la moitié des étudiants retenus sont «échangés» avec d’autres maisons nationales. Pourquoi ce troc ? «On retrouve là les principes fondateurs de la Cité universitaire, la rencontre, l’échange. Pour moi, c’est un point prioritaire», souligne Yasmin Meichtry.

Et certains étudiants ne s’en plaindront peut-être pas. Car si le Pavillon suisse est architecturalement intéressant, mieux vaut y rédiger une thèse sur le jansénisme qu’y mener une recherche sur l’art de vivre chez Rabelais. Les chambres y sont… spartiates, dirons-nous.

«Là où naît l’ordre, naît le bien-être» a écrit Le Corbusier. A voir.

Gare aux utopies!

Le Corbusier était un passionné de Paris, où il s’est installé dès 1917. Ce qui ne l’a pas empêché de concevoir des projets délirants, comme le fameux «Plan Voisin» de 1927, qui envisage pratiquement de raser la rive droite pour y bâtir 18 tours cruciformes, plus un certain nombre de ‘barres’.

«Evidemment pour moi, c’est une aberration totale. J’admire Le Corbusier, sa modernité, ses idées de pureté et de structure. Mais je trouve qu’il était meilleur artiste qu’urbaniste», commente Yasmin Meichtry.

L’historien Pascal Payen-Appenzeller, spécialiste notamment de l’urbanisme, réfléchit quant à lui au processus qui a amené l’architecte à une telle vision. «Lorsque Le Corbusier conçoit le ‘Modulor’, son nombre d’or, cet homme devient un urbaniste. Et il intègre alors ce ‘Modulor’ de l’échelle de l’habitat individuel à l’échelle de l’habitat collectif. Il va être hanté par la construction de la cité idéale».

«Avec sa théorie de l’espace libre au rez-de-chaussée, il va peu à peu se dire qu’il faut construire une ville où il n’y ait plus que de l’espace. L’espace, associé au collectif», poursuit l’historien.

«Peu à peu, l’utopie va grandir. Il va considérer qu’il y a un homme moderne et un homme ancien. Et que l’architecte peut faire naître l’homme moderne à travers la ville moderne. On peut lui savoir gré de n’avoir pas été cantonné dans les villas et les immeubles, mais d’avoir été investi par la cité.»

Les villes connaissent actuellement un retour du goût pour les gratte-ciel, comme le rappelle Pascal Payen-Appenzeller en évoquant Londres, Bruxelles, Paris. «Il y a de nouveau un élan vers la verticalité aujourd’hui, sauf qu’elle n’est pas organisée. Avec Le Corbusier, nous sommes dans l’époque de la planification. On invente le bonheur de l’homme. Le problème, c’est que quand on invente le bonheur de l’homme sans l’homme, cela donne les cités.»

Et soudain Prévert me revient à l’esprit…

«Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes
Parce que Messieurs quand on le laisse seul
Le monde mental Messieurs
N’est pas du tout brillant
Et sitôt qu’il est seul
Travaille arbitrairement
S’érigeant pour soi-même
Et soi-disant généreusement en l’honneur des travailleurs du bâtiment
Un auto-monument
Répétons-le Messssssieurs
Quand on le laisse seul
Le monde mental
Ment
Monumentalement.»

swissinfo, Bernard Léchot à Paris

Fondation Suisse, Cité internationale universitaire de Paris, 7k, boulevard Jourdan, 75014 Paris (Métro: Cité Universitaire)
Téléphone: (0)1.44.16.10.10.
6500 étudiants environ logent à la Cité universitaire, et 46 dans le Pavillon suisse.
Aux ‘maisons d’étudiants’ s’ajoutent des infrastructures communes – restaurant universitaire, piscine, tennis, théâtre, bibliothèque, banque…
Coût du logement au Pavillon suisse: 350 euros par mois (pour les moins de 30 ans), 430 euros (pour les plus de trente ans).
Durée maximale du séjour: 3 ans pour les étudiants, 2 ans pour les chercheurs.

Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier est né à La Chaux-de-Fonds en 1887. Après une formation de graveur-ciseleur à l’École d’Art de la ville, il bifurque vers l’architecture.

Il s’établit à Paris en 1917. Il y ouvre un atelier d’architecture.

Dès 1920, le «purisme» est au cœur de son travail. Et dès 1929, il se concentre sur les problèmes de la concentration urbaine.

Quelques réalisations:

1930-1932: Pavillon suisse de la cité universitaire de Paris
1946 à 1952: Cité radieuse de Marseille
1950: reconstruction de la Chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp
Années 50: conception de Chandigarh, nouvelle capitale du Pendjab, en Inde
1960: Aménagement du front de mer d’Alger

Il meurt en 1965 à Roquebrune-Cap-Martin, sur la Côte d’Azur, où il s’était construit une villa.

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