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Le petit garçon, le perroquet et le baobab

L'image qui illustre la couverture du livre 'Le baobab'. SP

Des éditions «Mon Village», basées dans le Jura vaudois, au Sénégal, il y a un pas que l’auteur Gino Jeanneret franchit allègrement. Rolf Kesselring a lu «Le baobab» avec plaisir… et un peu d’irritation.

Drôle de roman que cet ouvrage de Gino Jeanneret intitulé «Le Baobab» paru très récemment aux Éditions Mon village. Je dis drôle de roman non pas que l’histoire soit comique ou cocasse, non, mais parce que ce texte est véritablement singulier.

Je dois avouer que souvent, dans la production éditoriale de notre pays, les livres que l’on m’envoie me tombent des mains dès les premiers chapitres, et même, quelquefois, dès les premières lignes. Manque de style, sans passion ni singularité, je me demande parfois pourquoi certains écrivent et, surtout, publient.

CCA, les gars!

Il se dégage de ce texte un charme particulier et une magie qui ne les doit qu’à son décor et ses personnages. Je serai tenté de dire CCA, les gars! Traduction pour qui n’ont pas séjourné en Afrique: «Ça C’est l’Afrique!» Cette expression est souvent précédée d’un «Ne cherche pas».

«Ne cherche pas, ça c’est l’Afrique!» est un leitmotiv que l’on entend à chaque fois que quelque chose ne va pas. Robinet ou tuyauterie qui fuient, trains qui n’arrivent pas ou pannes de voitures, cela sert à tout et surtout à devenir philosophe dans la merveilleuse gabegie de ce continent fantastique. Combien de fois l’ai-je répétée, cette formule toute faite, lorsque je vagabondais, là-bas?

Pour en revenir à l’ouvrage de Gino Jeanneret, malgré un agacement récurrent qui m’a tourmenté tout long de ma lecture pour des raisons sur lesquelles je vais revenir, le charme de cette histoire m’a subtilement envahi et contaminé. Des souvenirs en carrousel ont surgi de ma mémoire, fous, pleins d‘odeurs et de saveurs. Pour ceux qui ne comprendraient pas, je ne peux que répéter: ne cherchez pas, ça c’est l’Afrique!

Wali, Bwala et le baobab

Wali est un petit garçon comme il en existe des millions sur tout le continent africain. Il vit au Sénégal, dans la campagne à quelques heures de route de Dakar. Il vit avec Fatou, sa mère, qui est veuve. Elle était la troisième épouse d’un homme qui est mort quelques années auparavant. Pour elle et Wali, l’existence est difficile. Ils subsistent grâce au travail acharné de Fatou. Ils s’adorent et malgré la misère, sont heureux simplement parce qu’ils s’aiment.

Wali va l’école. Il est intelligent et malin. D’après son instituteur, Firmin N’Boué, Wali est doué, très doué. Il est doté d’une imagination débordante, qui parfois, lui fait raconter certaines choses banales comme des épopées inouïes. Il s’intéresse à toutes les matières que son maître enseigne. Il est souvent solitaire et, heureusement, possède un perroquet susceptible et caractériel qui se nomme Bwala et qui est son ami et son compagnon au quotidien.

Dans l’univers de Wali, pas très loin du village, se dresse un baobab, cet arbre fantastique que la tradition dit avoir été jeté rageusement au sol du haut des cieux, par le créateur du monde – très fâché contre ce végétal pour je ne sais plus quelle raison. Il toucha le sol la ramure la première, ce qui expliquerait pourquoi il montre ses racines dressées vers le ciel à la place de ses branches. Alors cet arbre planté à l’envers, ce géant tutélaire, est à la fois le confident, l’ami et le protecteur, de notre jeune héros.

Dakar la moderne

Bientôt un drame va bouleverser la vie du petit garçon. Sur les instances de Firmin M’Boué et du gouvernement sénégalais qui cherche, dans tout le pays, à repérer les élèves doués pour former ainsi de futures élites, Wali va être recruté pour s’en aller à Dakar, la grande ville, afin d’étudier et de devenir, peut-être, un acteur de l’avenir intellectuel et économique du Sénégal.

Ce sera le collège Jean Mermoz, où une place lui est désormais dévolue. Une chance pour ce gamin de la campagne. Pourtant Wali est malheureux de devoir quitter Fatou, cette mère aimante, son village, son instituteur, son perroquet et son Baobab protecteur. Ce départ s’annonce comme une tragédie dont Wali ne perçoit pas toutes les conséquences sur son existence à venir.

Au collège, il trouvera l’amitié de Baptistin, un élève sensible et timide et celle de leur amie commune, la douce Darria dont ils seront très vite séparés: on ne mélange pas filles et garçons à Jean Mermoz. Dans cet institut, Wali découvrira La Fontaine, Eluard et sera intrigué par la photosynthèse, ce grand mystère de la nature, un cours promis par un des professeurs. Malgré cette grande curiosité, Wali fera tout ce qu’il peut pour se faire évincer à la fin du premier trimestre. Il ne rêve que d’une chose: retourner au village auprès de sa mère, de son perroquet et de son baobab.

Les Lorrains et le Suisse…

Les vacances arrivent. Il retourne au village, où il apprend que sa mère et son instituteur sont partis ensemble. Il retrouvera cependant son perroquet. Il ira visiter le baobab, lui confiera son chagrin et repartira pour la capitale, solitaire et désespèré, mais avec son compagnon Bwala, le perroquet.

Suivront des épisodes lorsqu’il se liera, par hasard, avec ce couple de Lorrains, les Musch, puis avec un étrange Suisse. Celui-ci est un homme très cultivé, ce qui passionne Wali toujours assoiffé de savoir. Ancien garde pontifical, révoqué par le Pape Jean XXIII à cause d’un amour qu’il a porté sur une nonette noire. Cet helvète insolite, amateur de Tintin et Milou et de grands philosophes, lui apprendra des tas de choses.

Il le quittera et, au cours de ses vagabondages, notre jeune héros rencontrera Bougouma, alias Madame Charlotte, à la suite d’un incident devant l’entrée de la cathédrale. Par la suite, il errera, dans la grande ville et tombera gravement malade. Avant de retrouver, happy end inespéré, tous ceux qu’il aime.

Un véritable charme et des défauts

Depuis quelques romans publiés, j’ai suivi Gino Jeanneret dans sa progression d’auteur. Cet homme, ce frère raconteur d’histoires, a su retenir mon attention et souvent me charmer. Avec le récit des aventures de ce petit garçon sénégalais, je me suis encore une fois laissé entraîné et séduire par le talent de ce conteur né.

Un seul regret, pourtant: arrivé à bout de pages, ayant relu des passages entiers de ce roman, j’ai regretté les descriptions cliniques des maladies de Bougouma (Madame Charlotte), j’ai été submergé par des étalements de confiture culturelle, inutiles et barbants, sans parler de ces trop nombreuses démonstrations de savoir classique totalement casse-pieds.

Ces défauts engrossent l’écriture et enlève par moments à cet ouvrage toute sa truculence, toute sa sensibilité et, finalement, beaucoup de son charme et de sa magie. Ceci dit en toute fraternité.

Autant pour moi, d’ailleurs! Je dit ça parce que je pense à Françoise d’Eaubonne, cette vieille amie littéraire, qui, naguère, me disait: «Nous sommes des pléthoriques, mon cher ! Et c’est notre principal défaut.» Il faut la croire: en littérature, abondance de bien peut nuire !

Rolf Kesselring, swissinfo.ch

«Le Baobab», de Gino Jeanneret, Éditions Mon Village

Éditions Mon Village, Sainte-Croix, Code postal 1450.

Romandie. D’origine neuchâteloise, Gino Jeanneret est né à Fribourg et il a suivi toute sa scolarité dans le canton de Vaud. Il est domicilié à La Rippe, dans le Canton de Vaud.

Autres romans:

– «Les vagabonds de l’espérance» (2008)

– «Le Gropinier» (2009)

– «La chemise» (2009)

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