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Les Traders de Wall Street dans les cordes

Dans son dernier documentaire «Traders», le cinéaste suisse Jean-Stéphane Bron met en scène des banquiers participant à une soirée caritative. Ils s'affrontent dans un championnat de boxe, alors que la crise financière atteint des sommets.

«Traders» a été présenté la semaine dernière au festival du film documentaire de Nyon, Visions du Réel.

Six ans après le succès de ‘Mais im Bundeshaus – Le génie helvétique’, un documentaire montrant un groupe de parlementaires élaborant une loi sur le génie génétique et dévoilant les coulisses de la démocratie, Jean-Stéphane Bron revient avec un film ‘coup de poing’ sur le capitalisme en action.

Au travers de portraits subtils de petits employés de Wall Street se battant dans et hors du ring afin de s’en sortir tant bien que mal au milieu de ce désastre financier, il tente de donner un côté humain au monde de la finance.

Donner un visage à la bourse

«Je souhaitais donner un visage et une forme à une idée abstraite et rappeler au public que la bourse est une affaire politique», explique Jean-Stéphane Bron à swissinfo. «Nous entendons souvent ‘la bourse a perdu les pédales’, mais nous oublions qu’il y a des gens derrière qui prennent des décisions, il y a une idéologie et une politique.»

Jean-Stéphane Bron a trouvé le thème de son film alors qu’il interviewait des centaines de personnes: banquiers, traders et gestionnaires de ‘hedge funds’. «Ils étaient tous aimables, mais leur porte est restée fermée», explique-t-il.

Par hasard, Jean-Stéphane Bron a entendu parler d’un tournoi de boxe caritatif annuel à New York. Il a sauté sur l’occasion, considérant que c’était une excellente métaphore pour représenter le monde de la finance.

La loi du silence

«C’était une occasion d’ouvrir une porte sur ce monde. Les gens n’ont pas l’habitude ou alors pas l’autorisation de parler. C’est un monde ou règne la loi du silence», dit-il.

Mais en septembre 2008, le monde de la finance a implosé. Des milliards de dollars sont partis en fumée, des emplois ont sauté, le géant Lehmann Brothers a disparu quelques jours avant le tournage du film et le Congrès américain hésitait à accorder 700 milliards de dollars d’aide.

«D’un seul coup, tout leur univers a été ébranlé. Pour cette raison ils ont été d’accord de parler et de s’expliquer».

Toujours plus!

Le film est divisé en 5 rounds (50 minutes) dans lesquels six traders, courtiers et gestionnaires de fortune (trois hommes et trois femmes) parlent franchement à Jean-Stéphane Bron, sans prendre de gants.

Les boxeurs sont poussés pour gagner le tournoi. «Je veux gagner ce match pour que ma société soit fière de moi», affirme André ‘The Greek Sheik’ Ameer. «Cela fait partie du jeu», ajoute Jean-Stéphane Bron.

«Le trader est au bas de l’échelle de la société. Il doit montrer qu’il est sûr de lui et ne pas dévoiler ses doutes et ses difficultés. Il doit être dur, car chaque jour est une nouvelle bataille, chaque jour il doit gagner plus», raconte-t-il. «C’est une activité coupe-gorges, beaucoup de personnes sont sans pitié», confirme Big Daddy.

Prise de risques

Les traders doivent prendre des risques pour gagner beaucoup, explique The Greek Sheik. «Ils veulent obtenir 10% de bénéfice par année, mais ce n’est possible qu’en prenant beaucoup de risques».

C’est probablement pour cette raison qu’un grand nombre d’institutions bancaires ont été mises K-O, comme le montre Austin ‘Monkey Fis’ Philbin sur un graphique. «Les gens s’en sortaient très bien avec leurs affaires et devenaient parfois trop agressifs, ce qui les rendait vulnérable et à la merci d’un uppercut désespéré qui les met brusquement au tapis quand le vent tourne».

Les héros du film de Bron ne sont pas des maîtres de l’univers qui gagnent des millions de dollars de bonus. La plupart d’entre eux sont mariés, font partie de la classe moyenne et vivent dans les quartiers où leurs amis et leur famille ont été durement touchés par la crise des subprimes et du logement. Assommés par la disparition de Lehmann Brothers, un véritable géant, leurs craintes et incertitudes sont donc d’autant plus grandes.

«Pas invincibles»

«Nous ne sommes pas invincibles», affirme Patrick ‘Who’s your Daddy’ Mitchell. «Je continue d’aller au lit et de me réveiller en faisant des cauchemars», renchérit ‘Big Daddy’.

«Ce sont de véritables montagnes russes émotionnelles», explique Kelly ‘Machine Gun’ Vergamini. «Ça monte et ça descend toute la journée. Tu rigoles et tu pleures en permanence».

Jean-Stéphane Bron conclut ses interviews et les scènes de boxe avec des images de maisons fermées par des planches et des séquences TV de Richard Fuld, patron de Lehmann Brothers, et Alan Greespan, ancien directeur de la Réserve Fédérale Américaine, mis sur la sellette par le Congrès Américain.

«Les traders font partie du système. Mais ils ne sont que des soldats et non des généraux, des stratèges ou des politiciens. Je ne leur en veux pas. Ils sont toutefois indirectement responsables, car ils ont choisi de travailler dans le système bancaire».

Optimisme aveugle

Leur métier est de faire du bénéfice, jour après jour, et non pas d’élaborer des stratégies financières à long terme. Lorsque le cinéaste suisse demande aux traders d’expliquer comment fonctionne leur monde, la plupart en sont incapables et se sentent mal à l’aise.

Le plus accablant toutefois, c’est peut-être leur optimisme aveugle qui conclut le film. «La partie ne fait que commencer», déclare Ben ‘Bonecrusher’ Sadgrove, qui voit de belles opportunités dans les récents effondrements.

Malgré ce tsunami financier, le système n’en a pas vraiment tiré les leçons, selon Jean-Stéphane Bron. «Bien sûr, ils ont perdu beaucoup d’emplois et la situation est triste, mais il n’y a pas eu réellement de conséquences graves. Personne n’est en prison et personne n’a véritablement payé le prix pour avoir pris les mauvaises décisions», explique-t-il.

swissinfo, Simon Bradley
(traduction de l’anglais: Philippe Varrin)

Débuts. Visions du Réel est le festival du film le plus important en Suisse Romande, et parmi les trois festivals majeurs de Suisse avec Soleure et Locarno. Le festival à débuté en 1969 et a gagné ses lettres de noblesse après avoir présenté des films retraçant des batailles pour l’indépendance ou l’émancipation de la femme par exemple.

Renouveau. Le Festival a été remis au goût du jour en 1995, en adoptant une nouvelle stratégie et en présentant également des fictions et des œuvres expérimentales. Il a été rebaptisé ‘Visions du Réel’.

15e édition. C’est un centre d’intérêt pour les producteurs et distributeurs européens. Le 15ème Festival Visions du Réel a lieu du 23 au 29 avril. Cent cinquante films de 16 pays différents, dont 20 films dans la catégorie internationale, sont présentés.

1969: naissance à Lausanne.

1988-89: études à l’école de cinéma à Ipotesi en Italie.

1989-94: étudie la mise en scène au Département d’Audiovisuel de l’École Cantonal d’Art de Lausanne, Bussigny). 1995 il est diplômé de l’ECAL.

Filmographie: 12, chemin des Bruyères (1995); Ted Robert, le rêve américain (co-réalisateur) (1996) / Connu de nos services (1997); La bonne conduite (1999); En cavale (2001); Mais im Bundeshuus – Le génie helvétique (2003); Mon frère se marie (2006); Traders (2009)

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