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Marilyn Manson, Drag Queen de l’obscur

Mais comment s'appelle donc son psychiatre? Keystone

Etrange gladiateur blafard, Marilyn Manson a déversé sa violence et ses obsessions morbido-sexuello-gothiques mercredi soir dans les arènes d'Avenches. Et cela malgré les opposants qui, une fois de plus, ont voulu interdire sa prestation en Suisse.

A chaque fois, ça ne manque pas. On annonce un concert de Marilyn Manson, et les bonnes âmes de tous bords religieux veulent ardemment l’interdire. Ce fut le cas en 2004, lorsqu’un député du Parti évangéliste avait tenté sans succès de faire annuler le concert de l’Américain au Hallenstadion de Zurich.

Ce fut aussi le cas à Avenches, sa première prestation en Suisse romande, où un pasteur protestant, un pasteur apostolique et un curé officiant dans le district concerné, ainsi qu’un certain nombre de pétitionnaires, ont demandé l’interdiction du sulfureux spectacle aux autorités communales. Lesquelles ne sont pas entrées en matière.

Ajoutons à cela les lettes d’insulte que la directrice du festival, Charlotte Carrel, a reçues jusqu’au jour même du concert, et on réalisera que, décidément, Marilyn Manson dérange.

Le prétexte de la violence

L’une des causes officielles de cette tentative d’interdiction, cette fois-ci: le Conseil mondial des Eglises a décrété la période 2001-2010 «Décennie contre la violence». Et Marilyn Manson est violent.

Oui. Mais alors il ne faudra pas non plus oublier de faire interdire moult groupes de rap, une part considérable de la production cinématographique mondiale et d’exiger des chaînes de télévision qu’elles modifient profondément leurs grilles de programme.

Aux Etats-Unis, on a déjà tenté de mettre sur le dos de Manson la responsabilité de suicides adolescents et d’autres actes de violence. Néanmoins, on peut affirmer sans trop de risques que la passion des armes affichée par la ‘National Rifle Association’, menée par le respectable Charlton Heston a suscité là-bas plus de morts que les textes du ‘Révérend’, comme le surnomment ses fans.

Le problème, avec les censeurs de Manson, ce n’est pas tellement qu’ils veuillent le faire interdire. Non, le problème, c’est que ces gens-là ont l’irritation sélective.

Mais il faut dire que l’homme au prénom glamour et au patronyme d’assassin (symptomatique de deux fascinations très américaines) ajoute deux éléments de taille à sa violence: la luxure et le blasphème. On comprend mieux alors la vraie raison du ‘deux poids, deux mesures’ de ceux qui veulent le faire taire.

L’Antéchrist aux arènes?

Avenches, mercredi soir. 8000 spectateurs réunis pour assister à la messe noire. Une majorité de gens au look standard. Et un certain nombre d’aficionados du mouvement gothique qui ont sorti toute leur panoplie pour l’occasion, du long manteau noir au collier de chien en passant par la dentelle noire et le bustier en skaï. Certains d’entre eux sont fort élégants, d’ailleurs.

Ambiance bon enfant, malgré les nombreux T-shirt arborant le faciès grimaçant de l’idole. L’idole qui après un prologue violonesque lourd de suspense, va donner un spectacle d’un peu moins de 90 minutes, rythmique pachydermique, guitares plombées et lumières cramoisies.

Déguisé en drag queen de l’obscur, Marilyn Manson, le visage barré d’une large bande de maquillage noir, arpente la scène, se contorsionne, s’agenouille, se roule par terre… mais n’égorge personne. Et ne viole ni ses musiciens, ni ses fans.

Tout au plus porte-t-il de temps en temps la main à son entrejambes, que découvre sa longue robe fendue. De quoi rassurer, finalement, les plus inquiets: il porte un sous-vêtement noir.

Au-delà des accessoires – look spectaculaire des musiciens, Marilyn perché sur des échasses, une tribune fascisante à la fin du show, façon ‘The Wall’ de Pink Floyd – le spectacle est assez linéaire. Voire ennuyeux. Musicalement, ce sont plutôt les reprises explosives qui sortent du lot: «Tainted Love» de Soft Cell et «Sweet Dreams» d’Eurythmics.

On s’attendait à une cérémonie inquiétante et diabolique… on en est très loin. Jim Morrison peut dormir tranquille. On réalise rapidement que Marilyn Manson, c’est surtout un cocktail habile et provocateur: le hard rock pour la violence sonore, le glam rock et le sado-masochisme pour l’excès vestimentaire, le gothique pour la provocation morbide. En gros, une tentative de fusion entre Black Sabbath, David Bowie, les New York Dolls et Dracula.

Les délices de l’Enfer

Quoi qu’il en soit, le résultat fascine les ados et hérisse les Eglises qui, pourtant, portent leur part de responsabilité dans ce type de démarche. Faut-il rappeler ici que la religion chrétienne est la seule religion au monde à avoir pris pour symbole un instrument de torture?

Et puis, n’y a-t-il pas un étrange et récurrent mélange entre foi et fascination malsaine du sang et de la chair chez certains adeptes du Christ? Pensons aux reconstitutions malsaines de la crucifixion de Jésus aux Philippines ou ailleurs. Ainsi qu’à son obscène mise en images par l’Australien Mel Gibson («The Passion of the Christ»).

Et, bien sûr, à une large part de la peinture religieuse et de la statuaire chrétienne d’Europe occidentale. Qu’il s’agisse des damnés souffrant mille supplices sur les voussures des cathédrales ou plus tardivement, des représentations angoissées, mais complaisantes, d’un Jérôme Bosch.

Les jeunes corbeaux qui hantent les concerts crépusculaires de Manson font partie de la tribu «gothique»… Le mot n’est pas anodin.

Dans la foulée du romantisme et de la littérature gothique du 19ème siècle, fascinés par une représentation sombre et inquiétante du Moyen-Age, la tribu en question a récupéré l’imaginaire ténébreux et sous-terrain que l’Eglise a elle-même suscité. Qui a inventé – ou récupéré – le concept de l’Enfer? Qui a créé la réalité bien sanguinolente des geôles de l’Inquisition?

Bref. Une large partie de ce sur quoi est construit l’univers Manson est issu de l’imagerie chrétienne. Le jeune Brian Warner (le vrai nom de M.M.) a eu tout loisir de s’en imprégner dans l’école chrétienne, stricte et moralisatrice, où il a été éduqué.

«You built me up with your wishing hell» (‘Tu m’as construit avec l’enfer que tu souhaites’), chante-t-il dans «Antichrist Superstar». «Qui sème le vent récolte la tempête», traduit de son côté la sagesse populaire.

«Le diable est encore le meilleur subterfuge pour disculper Dieu», ajoute tranquillement Sigmund Freud.

swissinfo, Bernard Léchot à Avenches

La 14e édition du Festival Rock Oz’Arènes se tient du 17 au 20 août dans l’amphithéâtre romain d’Avenches (grande scène) et sur la scène du Casino.
Au programme notamment: The Cure (jeudi), Sean Paul, Le Peuple de l’Herbe, Asian Dub Foundation (vendredi), De Palmas, Seeed, Rachid Taha (samedi).

– Brian Warner, futur Marilyn Manson, est né en 1969 à Canton dans l’Ohio, aux Etas-Unis.

– Les débuts du groupe se situent en 1989, en Floride. Après «Marilyn Manson and the Spooky Kids», le groupe devient «Marilyn Manson» en 1991. Des tournées en première partie du groupe «Nine Inch Nails» lui apportent une certaine renommée.

– En l’espace de trois albums – Portrait of an American Family (1994), Smells like Children (1995), Antichrist Superstar (1996 ) – Marilyn Manson devient une star.

– Suivront Mechanical Animals (1998), The Last Tour on Earth (Live)(1999), Holy Wood (2000), Golden Age of Grotesque (2003), et un best of, Lest We Forget (2004).

– Au cours de sa carrière, Marilyn Manson a accumulé les annulations forcées de concerts et les procès.

– Côté cinéma, on a pu le voir en tant que comédien dans «Le Livre de Jeremie» d’Asia Argento et dans «Party Monster» de Fenton Bailey et Randy Barbato (2004). Il compte passer prochainement à la réalisation de courts métrages.

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