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Matthew Barney: plus belle sera la chute

Matthew Barney, Drawing Restraint 2, 1988 Michael Rees

L’artiste multiforme américain est l’objet d’une rétrospective exceptionnelle au Schaulager de Bâle. La mort et la chute en sont les thèmes omniprésents, avec leur corollaire, les tentatives, vouées à l’échec, de les surmonter.

Beaucoup d’artistes tentent de faire oublier le travail du pinceau sur le papier, du poinçon sur la pierre ou de la main dans la glaise lorsqu’ils façonnent une œuvre. D’autres artistes reportent le mouvement de l’acte créatif sur la toile ou dans la matière.

Chez l’Américain Matthew Barney, né en 1967, le geste créatif est omniprésent: le corps est non seulement partie prenante de l’œuvre, mais aussi un obstacle à vaincre.

Cet ancien footballeur professionnel ne se donne assurément pas la tâche facile dans ses tentatives de briser les contraintes physiques qui lui valent d’être comparé au prestidigitateur briseur de chaînes Harry Houdini.

Matthew Barney peint accroché à des harnais en se balançant sur des murs, en sautant sur un trampoline, debout sur un chalutier face au vent, ou encore accroché à la coque d’un bateau…

Ces œuvres font partie d’une série intitulée «Drawing Restreint» («contrainte au dessin»). Commencée en 1987, «quand j’étais encore un gamin», a dit l’artiste lors de la conférence de presse à Bâle, la série s’est enrichie de deux opus supplémentaires réalisés à Bâle pour l’exposition du Schaulager.

La série est montrée pour la première fois dans son intégralité, le Schaulager en ayant fait l’acquisition avec le Museum of Modern Art de New York. De plus, le concept de l’exposition, dû au curateur Neville Wakefield, l’inscrit dans la tradition iconographique religieuse de l’art occidental, ou du moins un certain pan de cette tradition.

Maîtres de la Renaissance

Les œuvres de Matthew Barney sont en effet placées en contrepoint de gravures de grands maîtres de la Renaissance accrochés (Cranach l’Ancien, Baldung Grien, Martin Schongauer, Dürer, entre autres). Le dialogue qui s’établit porte sur la mort, la souffrance, la déchéance ou le sacrifice.

«C’est la première fois que je travaille avec un programme pré-établi. Au début, ce concept de dialogue avec des œuvres historiques m’a un peu effrayé», admet l’artiste. Mais il m’a ensuite été utile à ma recherche de structures et je suis devenu curieux.»

«Cet accès direct à la mort semble peut-être nouveau, dans mon travail, mais je pense qu’il était déjà toujours là», ajoute Matthew Barney.

L’exposition n’est pas chronologique. Faisant écho au contenu mystique des œuvres, le plan des salles est censé correspondre à celui d’une église, explique Neville Wakefield, avec une nef, un chœur et des nefs.

Comme il le dit lui-même, Matthew Barney est «accro aux processus». Ses œuvres se composent donc autant de performances (filmées sans public puis projetées sur vidéos) que des traces de ces performances. Les objets utilisés, sculptés dans du plastique toujours blanc, sont placés sous vitrine. Froid, clinique, inquiétant.

Capitulation japonaise

La première œuvre exposée, «The instrument of surrender» («l’instrument de la reddition», 2006), est la reproduction d’une sculpture créée lors de la capitulation du Japon, en 1945, devant le général américain Douglas MacArthur.

Matthew Barney s’est déguisé en général pour les besoins de la performance. On le voit marcher dans la vaseline qui a ensuite séché et reste désormais exposée, comme «forme secondaire», selon le jargon de l’artiste. Les traces de pas séchées mènent à un autel, sculpture en matière synthétique.

Le film tourné avec sa compagne, la chanteuse Björk, «Drawing Restraint 9», est imprégné par la mer et les éléments, avec un rituel de métamorphose à la tonalité religieuse. Les deux époux du film se transforment en effet en baleine…

Baleine christique

Une baleine que Matthew Barney place au rang de victime expiatoire de la modernité. Abattue, aplatie, martyrisée, la sculpture «Cetacea» est mise en relation avec «la mort et la femme» de Baldung Grien.

Le titre donné à l’exposition, «Prayer Sheet with the wound and the nail» (feuille de prière avec la blessure et le clou) est associé au travail de peinture sur le chalutier. Barney y a peint avec un clou trempé dans le sang. Le titre reprend une gravure, «Feuille de dévotion: les blessures du Christ», du 17e siècle, où le clou en question est celui de la croix.

«Tout ce qui monte doit redescendre», a déclaré le curateur Neville Wakefield. C’est aussi ce qui arrive dans le film projeté sur la façade du Schaulager et qui marque donc l’entrée de l’exposition – ou la fin, selon le moment que choisira le spectateur pour le regarder ce petit film de 30 minutes.

Une jeune fille, interprétée par la championne américaine d’escalade Emily Harrington, gravit le mur intérieur du Schaulager, avant de chuter, au ralenti, transperçant une feuille plastifiée tendue entre des poutres. Sous cette forme-là, la chute n’a jamais été aussi belle.

Ariane Gigon, swissinfo.ch, Bâle

Foot. Né le 25 mars 1967, Matthew Barney a d’abord été un joueur de football américain professionnel avant de devenir artiste.

Films. Il s’est fait connaître avec un cycle de cinq films, «Cremaster» réalisés de 1994 à 2002, dans lesquels il met en scène, de manière surréaliste, des danseuses.

Venise. Matthew Barney est le lauréat du Prix Europa 2000 du meilleur jeune artiste (doté de 25 millions de lires) à la 45e Biennale de Venise (1993).

Guggenheim. En 1996, il est le premier bénéficiaire du Prix Hugo Boss attribué par le Musée Guggenheim.

Björk. Il a une fille, née en 1992, avec la chanteuse islandaise Björk.

L’exposition «Matthew Barney, «Prayer Sheet with the wound and the nail» est à voir jusqu’au 3 octobre.

Un catalogue contenant plusieurs essais et toutes les illustrations des œuvres de la série «Drawing Restraint» a été publié.

Les gravures des maîtres anciens proviennent de la Collection de gravures de l’EPF de Zurich et du Cabinet d’estampes du Kunstmuseum de Bâle.

Les films «Cremaster» seront projetés durant l’exposition, à des dates précises, ou en bloc, le 31 juillet et le 25 septembre.

Inauguré en 2003 dans un bâtiment dessiné par Herzog & de Meuron, le Schaulager est dédié à la collection de la Fondation Emanuel-Hoffmann.

C’est un «musée-dépôt» consacré aux questions de conservation, à la recherche et à la diffusion de l’art contemporain. Il s’adresse à un public spécialisé.

Le Schaulager est géré par la Fondation Laurenz.
L’idée de l’exposition

Matthew Barney est née de l’achat commun de la série «Drawing Restraint» par le Schaulager et le Museum of Modern Art de New York.

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