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Nouveau(x) monde(s) à Lausanne

Détail du «Nouveau monde» de Francesco Toris. swissinfo.ch

La Collection de l'Art brut propose une exposition thématique intitulée «Le Nouveau Monde», selon le titre d'une œuvre belle et étrange en provenance d'Italie.

Autour de celle-ci, plusieurs créateurs sont présentés. Dont un certain Henry Dunant.

«Le Nouveau Monde», nommait-on l’Amérique lorsque celle-ci faisait encore rêver. Nouveau monde, par opposition au «Vieux continent». Nouveau monde également parce que mystérieux, et différent.

C’est ce nom-là que Francesco Toris (1863-1918), un carabinier italien enfermé dans un asile psychiatrique, a choisi de donner à une œuvre sur laquelle il a travaillé cinq ans.

Une pièce que détient le Musée d’anthropologie et d’ethnographie de Turin, et sur laquelle une psychanalyste italienne a attiré l’attention de Lucienne Peiry, conservatrice du musée lausannois.

Tout réinventer

Centaines de morceaux d’ossements de bovins. Nettoyés, taillés, sculptés, ajustés et emboîtés pour donner forme à un étrange vaisseau labyrinthique d’une cinquantaine de centimètres de hauteur. «Peut-être le bateau à bord duquel on peut embarquer pour découvrir ce nouveau monde», commente Lucienne Peiry.

Beauté, fragilité. Et inventivité. Le carabinier a créé son propre procédé, et ses propres outils. «Il y a quelque chose qui me dit, chez Francesco Toris, qu’il n’a pas eu droit à la parole, et qu’il s’est emparé de ce droit en se lançant à corps perdu dans la création artistique imaginaire», commente la directrice.

Pour «faire écho» à la création du carabinier italien, l’exposition réunit les œuvres de plusieurs autres artistes, la majorité appartenant à la collection lausannoise, d’autres ayant été prêtées.

Diversité des moyens, mais unicité du propos: à chaque fois, un homme en rupture tente de confectionner un monde à sa mesure ou à sa démesure.

De nouveaux mondes en nouveaux mondes

A commencer par une présence étonnante: celle d’Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge. A 60 ans, celui-ci se retire en Appenzell. Il se plonge alors dans la Bible, et passe dix années à rédiger d’immenses panneaux, des «diagrammes» qui mêlent écrits et dessins.

Il y mêle sa connaissance biblique et son savoir scientifique. Tente de faire ‘coller’ les deux, par exemple en calquant l’évolution du monde et de la vie sur la Genèse.

Le tout a quelque chose d’assez pathétique. Amusant de penser que c’est cet homme-là qui, en 1901, recevra le Prix Nobel de la Paix…

L’Autrichien August Walla, dans un déluge de couleurs et de formes naïves, peint les dieux et autres thaumaturges, de Jésus à Raspoutine en passant par Allah ou Bouddha.

Et en ajoute quelques-uns à la liste, dont lui-même, Walla, une divinité de plus. Il est vrai que chez les Vikings, le Wallalah était le paradis où Odin accueillait les guerriers morts au combat…

Le Bernois Adolf Wölfli, qui passa 30 années à la Waldau, l’hôpital psychiatrique de Berne, déroule ses paysages méticuleux et enfiévrés. Peints au recto, ils sont souvent commentés au verso, et c’est ce mélange entre image et verbe – débridé, halluciné – que Lucienne Peiry a voulu mettre en valeur.

«Une belle désobéissance»

C’est peut-être l’univers d’Armand Schultess qui fascine le plus. En 1951, à 50 ans, ce Neuchâtelois, fonctionnaire fédéral, largue toutes ses amarres: travail, famille. Et part s’installer au Tessin, dans une modeste maisonnette et un vaste jardin.

Là, solitaire, il va construire le «nouveau monde» dont il rêvait depuis longtemps, comme les milliers de feuillets qu’il avait griffonnés auparavant semblent le démontrer.

Il développe alors un réseau de chemins, de passerelles, le long desquels, sur les murs et les arbres, il accroche d’innombrables plaques de tôle chargées d’inscription.

Il y aborde tous les sujets: astrologie, philosophie, physique, occultisme, psychanalyse, musique… Une sorte de jardin encyclopédique chaotique et néanmoins raisonné qu’après sa mort, les flammes ravageront.

Toris, Walla, Wölfli, Dunant, Schultess… «Les auteurs d’art brut se lancent dans la création artistique sans égard aux normes, aux règles, aux habitudes et aux usages. Ces nouveaux mondes, ce sont des voyages qui nous donnent peut-être un peu le mal de mer, mais on a aussi le visage au vent!», s’enthousiasme Lucienne Peiry.

Avant de conclure: «C’est sacrément rafraîchissant d’être devant des œuvres où on trouve une telle liberté, une telle subversion. Une belle désobéissance».

swissinfo/Bernard Léchot

«Le nouveau monde», Collection de l’Art brut, Lausanne, à voir jusqu’au 19 janvier 2003.

La Collection de l’Art brut a été fondée en 1975 par Michel Thévoz.
Le terme «Art brut» a été inventé par l’artiste français Jean Dubuffet, dont la collection représente le corps central du musée lausannois.
Lucienne Peiry, anciennement journaliste à la RSR, en est la directrice depuis un an.
L’exposition «Le nouveau monde» est à voir jusqu’au janvier 2003.

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