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Pedrazzini, un grand reporter devenu un mythe

Jean-Pierre Pedrazzini est mort tragiquement lors de l'insurrection hongroise. Ufficio cultura di Chiasso

La 5ème Biennale de l'image de Chiasso rend hommage au photographe de Paris-Match, Jean-Pierre Pedrazzini, tué voici 50 ans lors de l'insurrection hongroise.

Tessinois d’origine par son père, le photographe avait 29 ans lorsqu’il est tombé durant un reportage.

A Paris, ses amis l’appelaient «Pédra» ou Pedrazzini en mettant l’accent sur le dernier i, à la française.

En France, où il était très connu de son vivant, il est devenu, après sa mort, un mythe. Mais au Tessin, où les Pedrazzini foisonnent, peu de gens savent qui était Jean-Pierre Pedrazzini.

La plupart des Pedrazzini sont originaires de la région de Locarno. Plus précisement de Campo Vallemaggia.

A l’entrée de ce petit village, la vaste demeure ancestrale de la famille Pedrazzini accueille, aujourd’hui encore, la réunion annuelle des descendants de cette dynastie éparpillée aux quatre coins du globe.

Une grande dynastie

Une dynastie qui a donné des magistrats, des médecins, des politiciens au Tessin. Parmi eux, l’actuel conseiller d’état Luigi Pedrazzini, directeur démocrate-chrétien du département de justice.

C’est de cette souche dont était issu, par son père, le grand reporter Jean-Pierre Pedrazzini dont les 50 ans de la mort sont commémorés ces jours-ci en Hongrie, en France et en Suisse.

Dernier de trois enfants, double national suisse et français, Jean-Pierre Pedrazzini naît le 30 janvier 1927 à Paris.

Son père, Guglielmo était lui-même le fils d’un émigré, Giovanni, qui, vers la fin du 19ème siècle, avait quitté Campo Vallemaggia et la misère des montagnes tessinoises pour le Mexique où il avait fait fortune dans les mines d’or et d’argent. Sa mère, Francine Crovetto était monégasque.

Une carrière fulgurante

Jean-Pierre et sa famille s’installent en Suisse en 1943 au plus fort de la seconde guerre mondiale. Le futur reporter étudie à Neuchâtel, Lausanne, Davos puis Genève. Après le divorce de ses parents, sa mère regagne Montecarlo tandis que Jean-Pierre et sa soeur rentrent à Paris.

La carrière de reporter de « Pédra » commence en 1948 lorsque le jeune homme est engagé par l’hebdomadaire « Paris-Match ». Il fait rapidement carrière. Dès 1950, il est promu grand reporter et couvre de nombreux évènements de portée internationale.

Il se fait ainsi connaître pour ses photos du couronnement de la Reine Elisabeth d’Angleterre, de l’abdication du roi Farouk d’Egypte, des révoltes au Maghreb.

Edith Piaf, Marlène Dietrich, Grace Kelly

Il immortalise des stars comme Charlie Chaplin, Maurice Chevalier, Sofia Loren, Brigitte Bardot, Edith Piaf, Marlène Dietrich ou encore Vittorio de Sica. Il signe les clichés de la première rencontre entre l’actrice américaine Grace Kelly et le prince Rainier de Monaco.

Le 10 novembre 1955, Jean-Pierre Pedrazzini épouse Annie Falk à Paris. Elle l’accompagnera dans son reportage à travers l’URSS mais leur vie conjugale durera moins d’un an.

«En liberté sur les routes d’URSS»

En juillet 1956, le couple Pedrazzini accompagné de l’écrivain Dominique Lapierre et de son épouse part en voiture pour l’Union soviétique. Les reporters et leurs femmes parcoureront plus de 13’000 kilomètres à travers la Russie et les républiques voisines, jusqu’en Géorgie et au Caucase.

Les images en noir-blanc et couleur, réalisées durant ce périple accompagneront un compte-rendu que Dominique Lapierre – en tournée ces jours-ci en Italie – publiera en 1957, après la mort de «Pédra » sous le titre « En liberté sur les routes d’URSS ».

Fauché par plusieurs rafales

En octobre 1956, peu après son retour d’URSS, Jean-Pierre Pedrazzini se rend à Budapest pour Paris-Match. Il doit y couvrir l’insurrection hongroise contre le régime pro-soviétique.

Le 30 octobre, en plein centre de la capitale, alors qu’il photographie les insurgés à l’assaut du siège de la police politique, il est fauché par plusieurs rafales de mitraillette.

Touché au ventre, à la colonne vertébrale et aux jambes, il est transporté d’urgence dans une clinique parisienne. Malgré deux opérations, il meurt le 7 novembre. Au début de 1957, sa dépouille est transférée dans le caveau de famille du cimetière de Locarno.

Première anthologie en Suisse

L’exposition que lui consacre la commune de Chiasso dans le cadre de sa cinquième Biennale de l’image, est la première anthologie de ses photographies à être organisée en Suisse.

Outre les clichés soviétiques qui constituent le plat fort, l’expo propose les photographies faites à Budapest et celles prises au Maroc entre 1952 et 1955 soit environ 80 images dont beaucoup sont inédites.

L’anthologie est complétée par des lettres entre Jean-Pierre Pedrazzini et sa femme et par des photographies provenant de ses albums de famille. En mémoire de “Pédra”, la commune de Chiasso a en outre publié un catalogue intitulé “URSS-Budapest 1956.

Derrière le rideau de fer

Le grand reporter de Paris-Match a aussi revécu sur le grand écran, mercredi dernier, le temps d’un documentaire réalisé par Villi Hermann. Projeté en avant-première à Chiasso, le film a retracé les derniers jours du photographe en Hongrie.

Il s’est aussi penché sur son voyage en Union Soviétique ou sur ses reportages en Tunisie et au Maroc.

Sur les traces de «Pédra», Villi Hermann a recueilli des témoignages touchants. Comme celui du journaliste italien Mario de Biasi qui travaillait à l’époque pour «Epoca», le pendant italien de Paris-Match, blessé aux côtés de Pedrazzini ou celui de sa soeur Marie-Charlotte qui a raconté comment Jean-Pierre s’était lancé, en autodidacte, dans la photographie durant la 2ème guerre mondiale à Davos.

Alors adolescent, il immortalisait les soldats américains internés dans les hôtels de la station grisonne et leur donnait les clichés, en souvenir.

swissinfo, Gemma d’Urso, Chiasso

La Biennale de l’image organisée par la commune de Chiasso a lieu dans la ville-frontière jusqu’au 12 novembre 2006.

Jean-Pierre Pedrazzini est décédé le 7 novembre 1956 à Paris des suites de blessures reçues à Budapest lors de l’insurrection hongroise contre le régime soviétique.

Environ 80 clichés noir-blanc et couleur de Jean-Pierre Pedrazzini, dont plusieurs sont inédits, sont exposés à la Salle Diego Chiesa

Pour marquer le cinquantenaire de la mort du reporter franco-suisse, le cinéaste tessinois Villi Hermann a réalisé un documentaire intitulé «Pédra. Un reporter sans frontières.»

Projeté en avant-première mercredi dernier à Chiasso, il sera diffusé le 29 octobre à 21h par la Télévision susse italienne dans le cadre de l’émission «Storie».

La France a décoré Jean-Pierre Pedrazzini, à titre posthume, de l’ordre de chevalier de la Légion d’honneur.

En 1990, une plaque en sa mémoire a été apposée à Budapest à l’endroit précis où il est tombé sous une rafale de mitraillette durant le siège de la police politique. Son nom a été donné à une salle de l’Institut français de la capitale hongroise.

Ce mois, lors des célébrations organisées à Budapest par les ambassades de Suisse et de France, un buste à l’effigie du photographe franco-suisse sera dévoilé sur la Place de la République.

Le 26 octobre, les éditions Michalon (Paris) publient «Une passion foudroyée (Paris 1955-Budapest 1956)». Cet ouvrage signé Annie et Jean-Pierre Pedrazzini rassemble les lettres d’amour échangées entre le photographe et sa jeune femme pendant toute leur relation.

L’hebdomadaire français «Paris-Match» va consacrer son numéro 3000, à paraître en novembre, à la mémoire de Jean-Pierre Pedrazzini.

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