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Une heure et demie de paix et de musique

Woodstock en haut, les Young Gods en bas. Keystone

Quarante ans après, que reste-t-il de Woodstock ? Des images, un esprit, de la musique et un show ambitieux et exigeant donné ce mercredi au Paléo par les Young Gods. Intéressant, émouvant, mais pas toujours convaincant.

Il n’y a pas que l’empreinte des astronautes sur la Lune qui a 40 ans cet été. Woodstock, la matrice de tous les festivals, c’était en août 1969. Logique donc que le Paléo festival offre aux Young Gods l’occasion d’y redonner le palimpseste musical qu’ils avaient créé en 2005 pour la Fête de la musique à Genève.

Palimpseste ? Au Moyen Age, c’est un parchemin que l’on badigeonne de blanc pour réécrire dessus. Et c’est bien ce que le groupe suisse fait au film Woodstock. En laissant parfois transparaître des bribes de la bande-son originale.

On entend ainsi la vraie foule des enfants fleuris tenter de stopper la pluie en poussant ses «é-ééé-é», repris depuis dans tous les concerts du monde. Ou Country Joe McDonald faire hurler F-U-C-K («gimmie an F, gimmie a U…») à 500’000 poitrines.

Ou encore ce policier qui salue toute cette belle jeunesse «dont la nation devrait être fière», tandis que pour un vieil acariâtre du voisinage, tous ces pouilleux qui se baignent nus dans les étangs et fument des plantes non répertoriées, c’est juste «un bordel total».

Back in these days

De par la nature même de l’exercice, le projet des Young Gods comporte un aspect documentaire. Et ce n’est pas le moins intéressant.

Qu’il s’agisse du montage de la scène et des quatre tours de lumière, des panoramiques de la foule pris par hélicoptère, des embouteillages monstrueux («New York State’s through way’s closed, man !») ou des scènes récréatives, les images montées à l’époque par un jeune inconnu nommé… Martin Scorsese ont gardé beaucoup de leur force.

Et tandis qu’elles défilent sur l’écran géant tendu au-dessus de la scène, le son énorme, industriel et hypnotique qui est la marque des Young Gods (on ne disait pas encore électro ?) en renforce indéniablement l’intensité. Ces moments-là sont parmi les temps forts du spectacle.

Les passages musicaux, par contre, sont plus inégaux…

Relecture à risques

Rejouer Joe Cocker, Crosby, Stills & Nash ou Joan Baez à l’identique n’aurait eu aucun sens. Le pari de la relecture s’imposait. Mais il est risqué. Certains décalages frisent la faute de goût. Pour moi en tous cas, les images de Joe Cocker, de Crosby, Stills & Nash ou de Joan Baez ne peuvent rien évoquer d’autre que leur bande-son originale.

Franz Treichler et Erika Stucky – authentique fille de hippies, née et élevée à San Francisco en pleines sixties – font très honnêtement leur boulot de vocaliste (pour lui) et de vocalises (pour elle), mais l’ensemble peine à décoller. Et à enflammer le chapiteau, dont l’attention dans ces moments est – passé les trois premiers rangs – plus polie qu’enthousiaste.

Ça bouge déjà plus sur l’excellent et entraînant Gasoline Man, le titre qui rappelle que l’on est à un concert des Young Gods. Mais pourquoi donc l’avoir associé à la chorégraphie baroque de Sha-Na-Na, faite pour une chanson au tempo deux fois plus rapide ?

Et ce pauvre Jimi Hendrix, débarqué à Woodstock à l’aube du quatrième jour pour jouer devant une plaine déjà à moitié vide… Son Star Spangled Banner avait un sens à l’époque où le mouvement hippie voulait la paix au Vietnam. Mais sur le plan strictement musical… c’est bien une des pires choses qu’il ait enregistré.

Alors oui, c’est amusant de le remplacer par l’hymne national suisse, parfaitement reproduit au synthé comme s’il était joué avec distorsion et amplis d’époque. Mais le Kid de Seattle, encore tenu pour le plus grand guitariste de tous les temps, méritait un plus bel hommage. Un petit échantillon de Purple Haze par exemple. Le vrai, pas cette espèce de psalmodie insipide qu’on entend là…

Epoustouflant

Surtout que pour d’autres, le palimpseste peut aussi laisser ressortir quelques bribes de musique originale. C’est ici le chant de Sly Stone, formidable enflammeur de foule et là les guitares d’Alvin Lee (longtemps tenu pour le soliste le plus rapide de la Terre) et de Carlos Santana.

Santana justement. Allez, ne boudons pas notre plaisir: à elle seule, la reprise de Soul Sacrifice suffit pour moi à racheter tout le reste. Ici, pas de décalage, Bernard Trontin se livre à une époustouflante démonstration de virtuosité. Il reproduit coup pour coup le solo de batterie du prodigieux Michael Shrieve, gamin de 19 ans qui écrivit ce jour-là une des toutes grandes pages de l’histoire universelle de la batterie (oui Monsieur).

Et à la percussion, Nabil Barada n’est pas en reste. Ni Vincent Hänni à la basse. Alors là oui, cette rythmique à la fois implacable et tellement festive fait trépigner le chapiteau.

Avant ça – pour rester dans les temps forts -, il y avait eu l’entêtant Freedom de Richie Havens, magistralement «percussionné» à la guitare par Al Comet.

Et surtout l’envoûtant final de Tommy («See me, feel me… Listening to you»), puissante envolée lyrique qui sait se passer d’artifices pour vous prendre directement aux tripes. Ceux qui ont vu les deux survivants des Who ici à Paléo il y a deux ans voient ce que je veux dire.

Comme quoi, les Young Gods ont raison: on a tous en nous quelque chose de Woodstock.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch, à Paléo

… eh bien non. Le premier grand festival de musique en plein air a eu lieu à Monterey, Californie, en juin 1967, au début du «summer of love». Et le deuxième l’année suivante à Miami. Mais quoi qu’il en soit, ces grands rendez-vous sont bien une invention de l’ère hippie.

En 1969, la même année que Woodstock, Montreux organise son premier Jazz Festival, qui mérite alors strictement son nom. Mais la station de la Riviera a déjà connu ses «concerts pop» au Casino… dont l’incendie – faut-il le rappeler ? – inspirera Smoke on the Water à Deep Purple.

En 1976 et 77 naissent coup sur coup le Paléo (d’abord Festival folk de Nyon, en salle la première année), le Gurten et l’Open Air de St-Gall. Les Alémaniques font donc la fête au rock sous les étoiles depuis aussi longtemps que les Romands.

Dès lors, les pionniers ne feront que croître et embellir (malgré une éclipse pour le Gurten) et des dizaines d’autres viendront enrichir l’offre. Certains ont vécu et sont morts, mais dans l’ensemble, les Suisses restent des enfants super-gâtés côté festivals.

Pourquoi ? Aucun sociologue ne s’est à notre connaissance encore penché sur la question, mais on peut avancer l’hypothèse qu’un pays riche, densément peuplé et idéalement situé au cœur de l’Europe a tout pour devenir la Mecque des festivals.

S’y ajoute le fait qu’aujourd’hui, le public, qui perd petit à petit l’habitude d’acheter des disques (merci Internet), est prêt à débourser gros pour voir ses héros en ‘live’. C’est d’ailleurs sur les tournées que les artistes font désormais leur beurre.

Moby, Amy Macdonald, 2manydjs, Rodrigo Y Gabriela, Hugh Coltman, Karkwa, Naive New Beaters, Heidi Happy, Tim & Puma Mimi, Brutus, Alborosie, Omar Perry & Homegrown Band, Takana Zion, La Pulqueria

Et au Village du Monde, dédié cette année à l’Inde:
Kiran Ahluwalia, La Route Des Fils Du Vent, Achanak

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