Des perspectives suisses en 10 langues

Zurich fait la nique à la «crise» de l’opéra

Don Giovanni pendant la saison 2012/2013. Opernhaus Zürich

Avec la diminution des entrées et de grands besoins financiers au quotidien, les opéras du monde font grise mine. Sauf celui de Zurich, qui vient d’être couronné le meilleur du monde et reste dans les chiffres noirs. Jusqu’à quand?


Une atmosphère d’anticipation et une certaine excitation sont palpables au sein de l’équipe de l’Opéra de ZurichLien externe. Nous sommes mi-juin. Dans quelques jours, la toute première projection publique d’un opéra aura lieu ici: c’est «Rigoletto» de Verdi, qui aura les honneurs d’un écran géant installé à l’extérieur, sur la place de l’Opéra.

Sur scène, un opulent intérieur rouge et doré a été installé. Le personnel s’active, «business as usual». Les techniciens, hommes et femmes, manient des tournevis électriques et bandent leurs muscles pour terminer la mise en place, sur scène, de «Rigoletto».

«C’est une production très moderne en termes de décor, explique Marc Linke, un des chefs techniciens. Normalement, Rigoletto est plus extravagant. Ici, c’est une vaste salle noire avec une grande table blanche autour de laquelle les acteurs évoluent.» Marc Linke savoure le défi de monter de nombreuses nouvelles productions selon d’exigeants critères artistiques. Tout le monde, «jusqu’au dernier technicien», est fier de travailler ici, dit-il.

Deux stars engagées pour l’occasion confirment la bonne atmosphère de travail des lieux. George Petean, le grand baryton roumain interprète de Rigoletto, son rôle favori, décrit l’Opéra de Zurich comme l’«un des plus importants» au monde.

Gilda, sa fille sur scène, interprétée par la soprano polonaise Aleksandra Kurzak, acquiesce. Assise en bigoudis dans sa loge, se préparant à la représentation du soir, elle ajoute que «tout est très bien organisé, comme on dit en Pologne, comme une horloge suisse». Elle savoure en particulier l’approche scénique moderne qui est la marque de fabrique de Zurich.

Organisée le 21 juin, la transmission en direct a fini par attirer près de 10’000 spectateurs.

Plus

Plus que des étoiles

En avril, l’Opéra de Zurich a battu le Metropolitan Opera de New York et Covent Garden de Londres en étant désigné «Opéra de l’année»Lien externe lors d’une cérémonie internationale. «Nous avons estimé que l’Opéra de Zurich, qui attire de nombreuses étoiles, est aussi une institution artistique revitalisée par son nouvel intendant, Andreas Homoki», a expliqué John Allison, éditeur du magazine de l’opéra et co-fondateur de la récompense, dans un courriel à swissinfo.ch.

Après vingt-et-un ans d’exercice, le précédent intendant Alexander Pereira a transmis le flambeau à son benjamin il y a deux ans. Andreas Homoki avait auparavant dirigé l’Opéra comique de Berlin pendant dix ans. Rencontré à son bureau, il explique à quel point la «crédibilité théâtrale» est importante. «Nous devons aller chercher de nouveaux publics, explique-t-il. Nous devons prouver en permanence que l’opéra est une forme d’art contemporaine et qu’il est important pour la société, même si les pièces que nous représentons ne sont pas forcément modernes.»

Scène suisse de l’opéra

La Suisse compte neuf théâtres présentant également des opéras. Celui de Genève se dédie également à la danse, celui de Lausanne ne présente aucune pièce du répertoire classique.

En Suisse alémanique, Zurich (opéra et danse) est la seule maison ayant un rayonnement international. Les théâtres de Bâle, Berne, Lucerne, St-Gall et Bienne-Soleure présentent des productions de théâtre, de danse et d’opéra.

Il n’y a pas d’opéra au Tessin. Dans les Grisons, trois festivals réjouissent les amateurs en été.

Le Théâtre de Bâle a été nommé deux fois «Opéra de l’année», pour l’espace germanophone, en 2009 et 2010, lors d’un survol établi par le magazine allemand Opernwelt.

(Source: Reinmar Wagner)

C’est pourquoi le nouvel intendant a décidé d’ouvrir sa maison. Les projections vidéo à l’extérieur complètent d’autres initiatives, existant parfois déjà depuis plusieurs années, comme l’adaptation d’œuvres pour enfants et la mise en vente de billets à prix réduits pour certains spectacles, afin que les personnes à faibles revenus puissent aussi aller au spectacle.

Nouvelle équipe

«La nouvelle équipe d’Andreas Homoki a amené de nombreuses idées originales, explique Reinmar Wagner, journaliste du magazine Musik&TheaterLien externe. Selon lui, c’est pourquoi l’Opéra de Zurich a reçu le prix de la meilleure compagnie de l’année. L’intendant a fait venir de nouveaux chanteurs, chefs d’orchestre et metteurs en scène. Il met à profit son immense connaissance des arts de la scène. Surtout, il a réduit le nombre de productions annuelles à neuf, contre douze à quatorze auparavant.

«Mais cela ne signifie pas que la maison zurichoise peut maintenant se reposer sur ses lauriers, ajoute Reinmar Wagner. Nous ne savons pas comment la situation va évoluer. Dans tous les cas, ce prix récompense l’opéra et toute la scène musicale suisse. Il reflète aussi le travail d’Alexander Pereira, qui a fait de l’opéra une grande et importante maison.»

Des neuf opéras suisses, seule l’institution zurichoise s’est hissée parmi les meilleures du monde, ajoute le journaliste. Le Grand Théâtre de Genève et le Théâtre de Bâle jouissent également d’une bonne réputation.

S’ils ne sont pas plus opéraphiles que leurs voisins français, allemands ou italiens, les Suisses sont en revanche prêts à ouvrir largement leur portemonnaie. «Un billet peut facilement coûter 300 francs à Zurich, précise Reinmar Wagner. Beaucoup d’amateurs de musique estiment qu’être vus aux premières est un élément constitutif de la bonne société.»

Problèmes spécifiques

Les opéras suisses sont largement épargnés par les problèmes rencontrés par leurs homologues dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, l’Italie et l’Allemagne, où le public diminue comme peau de chagrin. Comme c’est un art cher, certaines maisons ont fermé, fait faillite ou se concentrent sur les coproductions.

En Suisse, dont la situation économique est bonne, les dons des particuliers et les subsides des pouvoirs publics ne se sont pas taris. L’Opéra de Zurich reçoit ainsi quelque 80 millions de francs du canton de Zurich. Mais cela ne représente «que» 64% du budget, il faut donc trouver le reste, grâce au sponsoring, parfois contesté, et à la billetterie. La maison a été rentable en 2013.

Andreas Homoki affirme que sa deuxième saison a bien commencé, financièrement également. Il prévoit de monter de nouvelles œuvres bientôt, dont sa propre production de Lohengrin, et d’introduire des sous-titres sur les sièges des spectateurs, comme à Berlin. «Nous devons constamment progresser, conclut l’intendant. Si vous arrêtez de bouger et de vous développer, il est préférable de quitter le métier. On ne peut être bon que si on s’améliore et si l’on change toujours.»

Un peu d’histoire

L’Opéra de Zurich a été créé en 1834 sous la forme d’un théâtre aux mains de citoyens amateurs de théâtre. Devenue plus tard «Opernhaus Zürich AG», la société est encore chargée de gérer l’opéra. Depuis 1995, l’institution est financée principalement par le canton de Zurich.

Après un incendie en 1890, une bâtisse néo-baroque a été inaugurée une année plus tard. Il s’agissait du premier opéra d’Europe doté de l’électricité.

Le chef d’orchestre allemand Wilhelm Furtwängler y a commencé sa carrière. Le Parsifal de Richard Wagner y a été interprété en 1913, pour la première fois hors Bayreuth. D’autres noms célèbres marquent l’histoire de l’opéra zurichois, du chef d’orchestre Nikolaus Harnoncourt, aux chanteurs Cecilia Bartoli (qui vit près de Zurich), Bryn Terfel, Anna Netrebko et Jonas Kaufmann.

L’Opéra compte aussi un corps de ballet composé de quelque 50 danseurs et un orchestre philarmonique. Le traditionnel Bal de l’opéra, au moins de mars, attire de nombreuses personnalités. 

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision