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‘Antichrist’: sexe, sang et chaos

Un film précédé d'une réputation sulfureuse. Image tirée du film

Au festival du film fantastique de Neuchâtel, la compétition internationale suit son cours. Jeudi, deux films jouaient d'une étrange féminité de l'angoisse: l'anodin «Grace» de l'Américain Paul Solet et le légitimement controversé «Antichrist» du Danois Lars von Trier. Dur.

A la lecture du programme, j’avais cru entrevoir un lien entre les deux. Une femme, un homme, et le drame autour d’un enfant…

D’un côté, «Grace», film américano-canadien d’un jeune réalisateur nommé Paul Solet. De l’autre, le très médiatique «Antichrist», coproduction européenne signée par le roublard et dépressif Lars von Trier.

«Antichrist», difficile de ne pas avoir envie de se faire sa propre idée après les propos contradictoires lus et entendus jusque là. Quant à «Grace», le programme parlait d’une façon «à la fois sincère et troublante» d’évoquer «le thème complexe et intime du lien mère-enfant». Banco, allons-y.

Draculette en Pampers

«Grace», pour commencer. Madeline est au régime tofu-pas-de-viande, par conviction, et veut logiquement accoucher dans une clinique spécialisée nature et petites graines. A l’occasion d’un accident, son mari, moins doctrinal, meurt. Et le bébé qu’elle porte apparemment aussi. Mais Madeline veut néanmoins le garder. Elle accouche donc d’un enfant mort-né… qui ressuscite après qu’elle lui a glissé quelques mots à l’oreille. Alléluia!

Mais voilà. Bébé, comme on dit dans le magazine «Parents», va rapidement démontrer un intérêt certain pour ce qui est carné et plein d’hémoglobine. La vengeance des carnivores sur les végétaliens?

Et la petite fille – c’en est une – de se repaître de biberons rouge carmin et de croquer à pleines dents le sein de maman, aïe, laquelle, pour autant, n’en aime pas moins son poupon-vampire nommé «Grace», et est prête à tout pour assouvir ses besoins.

Dit comme ça, c’est un peu couillon, n’est-ce pas? Et bien, pas de problème, sur grand écran aussi. Et il ne nous reste qu’à souhaiter que le vrai bébé qui interprète le rôle de Grace, une fois devenu grand, filera un procès à ses parents pour avoir dû tourner, hors de toute conscience et maculé de sang, dans ce nanar.

Bref. «Grace» n’a rien à voir, mais alors vraiment rien à voir, avec «Antichrist». Comme quoi un journaliste n’est pas infaillible, mais ça, vous le saviez déjà.

Charlotte en deuil

Est-il nécessaire de rappeler la trame d’«Antichrist»? Il y a peu de chance que vous soyez passés à côté. Allons-y néanmoins, ce sera court.

Un homme et une femme font l’amour. Pendant ce temps, leur petit garçon se réveille, tombe accidentellement par la fenêtre et meurt. Horrible cataclysme pour le couple qui va tenter d’aller se «reconstruire» dans une cabane perdue («Eden ») dans la forêt. La forêt, cristallisation de toutes les angoisses qui hantent la jeune femme (Charlotte Gainsbourg), et que son mari (Willem Dafoe), psychiatre de son état, envisage donc comme un excellent lieu de thérapie. Le – long – traitement se terminera par un jeu de massacre aussi sexuel qu’épouvantable.

Après la masse de critiques négatives qu’on a pu lire à propos du film, on est presque étonné d’être saisi par le récit. Force de l’intrigue, ce drame dans lequel chacun peut se projeter. Force des comédiens, magistrale Charlotte Gainsbourg. Force du cinéaste, qui aborde son film avec un prologue aux images superbement sophistiquées – antithèse parfaite de sa doctrine «Dogma95». Force ensuite de cet univers forestier inquiétant, et du combat que mène le couple.

Ecœurement

Et puis l’agacement survient progressivement. Quand le cinéaste retranscrit les pensées de la jeune femme en images. Quand un renard nous explique que la nature c’est le chaos – gloussements dans la salle. Quand le fil rouge religieux est soudain lourdement souligné: «La Nature est l’Eglise de Satan».

Et le personnage joué par Charlotte Gainsbourg d’entendre «le cri de toutes les choses condamnées à mourir». Lars von Trier aurait-il relu «La Nausée» de Sartre avant de rédiger son scénario?

Enfin, face au crescendo ‘mutilatoire’ final, on hésite: rire ou vomir? Mais l’écœurement prend le dessus. Et on ressort du film groggy: trop de sentiments extrêmes, trop de forêt, trop de thérapie, trop de sexe triste, trop de sang, trop de trop.

Lars von Trier et sa triple casquette: brio du cinéaste, excès du scénariste, roublardise de l’homme de marketing. Le prologue et son élégant plan de sexe non simulé. Charlotte Gainsbourg, actrice plus que respectée, mutilant son propre sexe après avoir saccagé celui de son compagnon… Comment rater son buzz avec de tels arguments?

Au fait. Un film doit-il dire quelque chose? Au sens de «signifier»? Si oui, alors celui-ci nous enseigne que la femme est coupable. Que le péché, c’est elle. Et que l’on est châtié par là où l’on a péché. Soit le retour d’une morale chrétienne parfaitement faisandée.

Vous aurez sans doute relevé que sur l’affiche, le T final du mot «Antichrist» n’est autre que le symbole de la féminité.

Bernard Léchot à Neuchâtel, swissinfo.ch

Le 9ème Nifff se tient du 30 juin au 5 juillet.

Le centre du festival est constitué par les trois salles du Cinéma Apollo (Faubourg du Lac 21). Les projections en plein air ont lieu au bord du lac, Quai Osterwald.

L’axe principal de la manifestation est le cinéma fantastique, accompagné de deux «axes complémentaires»: les cinémas d’Asie et les images numériques.

Parmi les sections du festival:
– Compétition internationale
– Projections en plein air
– New Cinema From Asia
– Courts métrages suisses
– Courts métrages européens

Et trois rétrospectives:
– William Castle, un illusionniste visionnaire
– Category III: la transgression made in Hong-Kong
– Sueurs froides: le cinéma de genre scandinave contemporain

Invité d’honneur: le réalisateur japonais Shinji Aoyama.

Diplômé en cinématographie, l’Américain Paul Solet s’est d’abord essayé au court-métrage d’horreur avec «Means to an End» (2005), qui remporte des prix dans plusieurs festivals de genre.

Fort de son succès, il enchaîne avec une seconde réalisation, qui constituera la base de son tout premier long-métrage. Intitulé «Grace», ce dernier est présenté en avant-première au Sundance Film Festival 2009 et propulse son auteur à l’avant-garde des nouvelles références du film d’horreur.

Il reçoit le Prix spécial du jury au festival de Gerardmer 2009.

Réalisateur et scénariste danois, il est l’un des fondateurs du «Dogme95», qui définit en dix règles une façon de filmer. Caméra à l’épaule, prise de son en direct, style épuré, peu de montage, etc.

Parmi ses films les plus connus: Element of Crime (1984), Breaking the Waves (1996), «Dancer in the Dark» (2000).

Antichrist a valu à Charlotte Gainsbourg le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2009.

Lars von Trier est par ailleurs le créateur de la société Zentropa et de sa branche X, Puzzy Power, voulant rompre avec certains clichés de la production pornographique habituelle.

Il entretient une relation de proximité avec le cinéma d’horreur, comme en témoignent sa série pour la télévision «L’hôpital et ses fantômes» (1994) et plus récemment son court-métrage «Occupation», présenté au NIFFF en 2008.

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