«De Dürer à Morandi», le cheminement des graveurs
Choisies dans la Collection veveysanne William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, 120 gravures font l’objet d’une prestigieuse exposition conçue pour l’Espagne. Après un passage à Gijòn, Salamanca et Murcia, et avant LLeida, halte à Palma de Majorque où nous avons apprécié les œuvres présentées à Caixa Forum.
Tout est éphémère sur cette terre. Au cas où on l’aurait oublié, les «Vanités» du peintre français Jean Morin (1609-1650) nous le rappellent. Elles représentent un crâne dessiné de face et posé verticalement à côté d’un vase de fleurs. Le tableau sert d’emblème à l’exposition «De Dürer à Morandi» présentée à la Fundaciòn La Caixa, à Palma de Majorque.
«Vanités» donc. Quel joli paradoxe pour une exposition qui consacre les plus grands talents de l’art pictural, tout sauf passagers, car depuis longtemps entrés dans l’immortalité! Du XVe siècle à nos jours, de l’Allemand Albrecht Dürer au Suisse Gérard de Palézieux (né à Vevey en 1919), en passant par Rembrandt, Goya, Canaletto, Le Piranèse, Tiepolo, Manet, Degas, Bonnard: ce sont 120 linogravures, eaux-fortes, lithographies, pointes sèches, clichés-verres, qui ont été choisis spécialement pour l’Espagne. Le choix s’est fait dans la prestigieuse collection suisse de la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex. Laquelle a son siège au Musée Jenisch à Vevey.
Organisée par la Fundaciìon La Caixa, en collaboration avec la Suisse, l’exposition tourne depuis 2010 dans la péninsule ibérique. Cet été, elle fait halte à Palma, avant d’être présentée à Lleida (Catalogne), du 24 avril au 22 juillet 2012.
Pièces spectaculaires pour l’Espagne
«Pour l’Espagne, il fallait les grands noms de la gravure, confie Lauren Laz, conservatrice du Cabinet cantonal des estampes à Vevey. «De Dürer à Morandi» est une adaptation de la sélection que nous avions conçue en 2007 pour Vevey. Nous en avons modifié le contenu, et pour cause: le public espagnol – moins pointu dans ses goûts que le public suisse – aime bien les pièces spectaculaires».
Il faut dire que le spectacle est surprenant. Il se donne sur plusieurs scènes: religieuse, urbaine, champêtre, intime… Autrement dit, l’exposition se ramifie en différents thèmes: l’Ecriture Sainte, le paysage, les portraits, les scènes d’intérieur, les recherches techniques dans le dessin… Autant de sujets traités par les graveurs anciens et modernes, ces derniers s’inspirant de leurs aînés, sans forcément rester prisonniers de leurs modèles, allant même jusqu’à les dépasser.
«Le propos de l’exposition est lié à l’identité de la Collection Cuendet & Atelier de Saint-Prex qui montre le rapprochement entre les artistes d’aujourd’hui et ceux d’hier, explique Lauren Laz. Le Suisse Gérard de Palézieux, par exemple, doit énormément à Tiepolo; et Rembrandt a beaucoup compté pour des graveurs du XXe siècle face auxquels il fut un merveilleux coloriste en noir et blanc».
Dans la salle réservée aux paysages, figurent côte à côte «Les Moissonneurs» de Jean Morin (XVIIe siècle) et «Berlin» de Nicolas Poignon (né en 1963). La première gravure, qui dessine les courbes des collines et des silhouettes en action, tranche avec la deuxième qui insiste sur la rectitude des immeubles alignés en bordure d’une route. L’une est chargée de poésie, l’autre vidée de toute psychologie.
Dans le rapprochement spatial des deux œuvres, se lit leur différence. De siècle en siècle, le style change, bien sûr, et avec lui l’état d’esprit des créateurs. Si Morin est romantique, Poignon, lui, se montre pratique, digne fils de son temps. Un temps marqué par l’efficacité du trait.
Destinée artistique
On pourrait ainsi multiplier les exemples de rapprochement et de différence dans cette exposition qui, au fil des ans, suit le cheminement de l’inspiration artistique, comme on suit les lignes d’une vie. Car il y a ici une destinée dans l’évolution des sujets dont traitent les artistes. Dürer et Rembrandt ont vénéré Dieu en servant les textes bibliques. «Leurs œuvres ont remplacé l’enluminure», comme le dit très bien Florian Rodari, commissaire de l’exposition.
Chez leurs successeurs, le Créateur s’efface au profit de la nature, devenue elle- même divine. C’est le règne des paysagistes, eux-mêmes écartés par les portraitistes qui saisirent chez l’être humain ce qu’il y a de plus beau et de plus triste, de plus comique et de plus tragique.
Tout est «Vanités», disions-nous au début. Les artistes disparaissent. Le souffle qui inspira leurs œuvres demeure quant à lui vivant. Il passe de générations en générations.
«De Dürer à Morandi»
Caixa Forum, Palma de Majorque, jusqu’au 25 septembre.
Caixa Forum, Lleida (Catalogne), du 24 avril au 22 juillet 2012.
Elle a été créée en 1977 par les héritiers du pasteur suisse William Cuendet, collectionneur d’estampes, et les membres de l’Atelier de Saint-Prex.
Depuis 1987, elle a son siège au Musée Jenisch, à Vevey.
Elle comprend d’importants ensembles de gravures d’Albrecht Dürer, Rembrandt, Claude Lorrain, Jean Morin, Robert Nanteuil, Canaletto, Tiepolo, Giambattista Piranesi, Camille Corot, Edgar Degas, Pierre Bonnard…
Elle comte également de nombreuses planches issues de l’Atelier de Saint-Prex et réalisées, entre autres, par Albert Chavaz, Marianne Décosterd, Jean Lecoultre, Ilse Lierhammer, Edmond Quinche, Pietro Sarto, Denise Voïta, Albert Yersin…
Elle s’est enrichie de nombreux dons, legs et dépôts (Henry Bischoff, Jean Huber, collection André Desponds, collection P.).
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