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«Guerre», magnifique écho de nos maux

L’écrivain suédois Lars Norén. SP

Le grand écrivain suédois Lars Norén crée sa propre pièce au Théâtre de Vidy-Lausanne.

Très bien interprété, le texte est en résonance avec l’actualité.

Brûlures des cœurs et des corps. Un univers en ruines, rassemblé en un rectangle de cendres qu’une petite fille viendra tantôt éparpiller d’un coup de main sec. L’horreur, dont nous ne verrons rien sur scène, se lit dans ce geste qui semble avoir mûri au soleil noir du désespoir.

Le décor ajoute au malaise: un taudis qui tient lieu de chambre à coucher. Il est habité par une mère, un père, leurs deux filles, et meublé de matelas pourris et de quelques chaises. Des chaises cassées ou bancales, devenues d’authentiques prolongements de corps mutilés ou destinés à la prostitution.

Le père est aveugle. Il vit dans le retrait du monde et porte la mutilation et la hantise d’un ailleurs que le grand écrivain suédois Lars Norén appelle «guerre» dans sa pièce du même nom.

C’est l’auteur lui-même qui la met en scène dans la petite salle de Vidy. Nul doute: pendant que nous suivons cette «guerre», il s’en déroule une autre sur le grand théâtre du monde. Et son écho nous parvient, se répercutant dans la chambre à coucher minable conçue par le scénographe Charles Koroly.

Tragédie antique

Maintenant qu’il est aveugle, le père voit qu’il n’y a rien à voir. Le passé est détruit, le futur inexistant et le présent sombre. A l’image de ces visages inquiets qu’arborent les acteurs interrogeant le destin dans la douleur.

Où installer l’intrus quand il représente un interdit? La question déclenche une monumentale scène de ménage, inattendue dans ce paysage de fin du monde.

Et voilà que, dans la tragédie moderne, s’introduit en filigrane la tragédie antique. Pendant l’absence de son mari, la mère a pris le frère de ce dernier comme amant. Inopiné, le retour de l’époux, à qui la guerre a enlevé la vue, pose problème.

Noirceur

Les yeux grands ouverts, Lars Norén regarde ici du côté d’Eschyle puis de Sophocle. La mère et son amant rappellent Clytemnestre et Egisthe. Tandis que le père, d’abord Agamemnon déboussolé, prend ensuite la figure d’Oedipe à qui sa fille Sémira – Antigone des temps modernes – promet de rendre la lumière.

Néanmoins, pas de vengeance, pas de jugement, pas d’acquittement chez Norén. Juste une poétique de la catastrophe magistralement dosée par l’auteur qui dirige, au clignement de cil près, cinq acteurs au sommet de leur art.

Simona Maïcanescu, Antoine Mathieu, Agathe Molière, Sophie Rodrigues et Gérard Watkins donnent à la guerre une noirceur terrassante.

swissinfo, Ghania Adamo

«Guerre»: Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au 16 novembre.
Tél: 021 619 45 45.

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